Le discours dans son intégralité:
Mes chers collègues,
C’est aux portes de l’Europe que le peuple arménien a été l’objet d’une agression infâme, de celles que l’on croyait à tort révolues en même temps que le vieux XXème siècle. Ce peuple arménien, déjà bien maltraité par l’histoire, victime d’un génocide que la communauté internationale a eu tant de mal à reconnaître. Mais à l’horreur, charriée par les massacres des populations civiles et la mise à sac d’un territoire, s’ajoute la honte pour notre Nation d’avoir froidement mis à terre des années d’amitié entre l’Arménie et la France, d’avoir simplement regardé ailleurs quand les principes qui sont les nôtres se trouvaient bafoués. Ce qui s’est passé au Haut-Karabagh dépasse tout entendement.
Ce sont des armes à sous munitions qui ont été utilisées contre des populations civiles, de celles qui explosent pour tuer lentement mais sûrement, des armes illégales alors que les Arméniens se trouvaient avec si peu de moyens de défense et abandonnés par leurs alliés. Ce sont aussi des djihadistes qui sont remontés tout droit de Syrie pour prêter main forte à l’armée du satrape d’Azerbaïdjan.
Depuis de nombreuses années, l’esprit munichois s’est emparé des chancelleries occidentales, qui sont plus occupées à quémander les largesses du despote Aliyev qu’à exiger le respect du droit international. M. le Drian, qu’avez-vous fait pour éviter des milliers de victimes assassinées ? Savez-vous que l’inaction est une action ? Vous et vos prédécesseurs aviez 20 années dans le groupe de Minsk, avec les Etats-Unis et la Russie, pour tenter de trouver une solution pacifique à ce conflit vieux de plusieurs décennies. Étiez-vous trop occupés à négocier avec M. Erdogan le verrouillage des flux migratoires ? Les Arméniens ont au fond payé le prix de l’Europe forteresse ! Mais la France a aussi abandonné les sociétés civiles turques et azerbaïdjanaises qui se battent pour le droit et la paix, et notamment les intellectuels, auxquelles la France aurait dû apporter son soutien.
Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas dire que vous ne saviez pas ! Ils sont nombreux à vous avoir alerté, dès le début de la reprise du conflit, pendant que vous preniez soin de souligner votre amitié avec l’Azerbaïdjan. Il faut dire que le marché français des armes est fructueux avec Monsieur Aliyev. La vérité, elle réside dans les mots de la lettre que vous a adressé le comédien d’origine arménienne, Simon Abkharian. Il écrit : « A Pachinian le démocrate, vous avez préféré Aliyevle dictateur. Et au courage politique, le nettoyage ethnique. Je comprends, vous ne pouviez décemment compromettre vos engagements commerciaux. Mais en agissant de la sorte, c’est la jeune et fragile démocratie arménienne que vous faites échouer dans une région propice à la corruption et au totalitarisme. »
L’objectif général de cette résolution présentée par nos collègues LR est louable : que la France prenne position pour une reconnaissance du Haut Karabakh. Pour autant, mes chers collègues, je ne goûte guère à l’esprit de ce texte qui vient mettre du « choc des civilisations » là où l’expansion de régimes dictatoriaux n’est rendue possible que par le déshonneur de notre diplomatie.
L’Azerbaïdjan, premier partenaire commercial de la France dans le Caucase, sait monnayer à prix d’or notre cécité et son allié turc a trouvé dans notre gestion stupide des flux migratoires matière à nous forcer la main, jusqu’à la fracture. Je ne vois que trop bien le jeu hypocrite auquel se livrent ainsi ceux qui étaient au pouvoir hier, se parant de l’étonnement quand ils portent, eux aussi, une lourde responsabilité dans ce qui advient aujourd’hui.
Car il ne s’agit pas d’une affaire de religion, mais d’un nouvel impérialisme, que vous dénoncez ici, chers collègues, et encouragez dans le cadre de l’Otan. Je ne souscris pas à votre argumentation dans cette résolution mais je veux affirmer haut et fort notre solidarité la plus élémentaire, la plus humaine, la plus fraternelle avec le peuple arménien.
Celui-ci a eu le courage, il y a deux ans, de renverser l’autocratie et de mener sa propre révolution de velours. Il est aujourd’hui meurtri, acculé et menacé dans son intégrité démocratique et territoriale. C’est à l’ONU de reprendre en main la situation pour éviter une nouvelle effusion de sang, pour empêcher le règne du plus fort. Qui peut croire que la Turquie et l’Azerbaïdjan s’arrêteront là ?
En attendant, notre abandon pousse aujourd’hui les Arméniens dans les bras de la contre-révolution. Il resserre sur eux l’emprise d’une Russie dont ils cherchaient à s’émanciper. Il met à terre une amitié franco-arménienne nourrie depuis des siècles. Je veux qu’ils sachent qu’ils auront toujours, dans leur quête de justice, tout mon soutien, tout notre soutien.