Début mars, d’odieux tags antisémites, homophobes et anti-communistes ont découvert sur les murs du lycée Merleau-Ponty à Rochefort. Les appels à la violence sont explicites : « on brûle les juifs et les communistes », le nom « Soral », antisémite notoire, affublé d’un cœur et « les LGBT au bûcher ». Le proviseur du lycée, a déposé plainte auprès du commissariat de Rochefort. Meurti, un ancien élève de ce lycée, a pris la plume. « J’ai pris un coup de poing dans le ventre. Les larmes sont montées aux yeux sans que je sache l’expliquer », écrit-il. Notre brève.
« Les larmes sont montées aux yeux, sans que je sache l’expliquer […] il faut dire que l’on a une histoire particulière toi et moi » : lettre au lycée Merleau-Ponty
Mon cher lycée Merleau-Ponty,
Quand je t’ai vu apparaître sur mon écran de portable rempli de tags antisémites, homophobes, anti-communistes… j’ai pris un coup de poing dans le ventre. Les larmes sont montées aux yeux sans que je sache l’expliquer. Je n’ai ressenti aucune colère, juste de la tristesse.
Faut dire qu’on a une histoire particulière toi et moi.
Pour nous, les enfants de Libé (mon quartier), tu étais comme une forteresse imprenable. On savait que tu existais, on passait devant ton entrée, qui est aussi ta sortie au demeurant, lorsqu’on allait avec nos parents à Leclerc, mais jamais nos sœurs et frères ne venaient étudier chez toi. Pour nous, c’était plutôt Jamain ou Dassault, vers des voix professionnelles ou générales. C’était ainsi, tu étais le lycée de ceux du centre-ville.
Un jour, j’ai passé ta muraille. Je suis rentré suivre les cours que tu dispensais. Je suis passé par ton entrée, et donc ta sortie.
Avec la réflexion, si contrairement à mes copains de quartier, je suis venu passer un bac général, ce n’était pas tant parce que j’étais plus intelligent, ou que j’avais plus envie de toi que les autres. C’est surtout j’étais particulièrement imbécile avec mes mains. Je n’ai jamais su vraiment les utiliser. Je n’ai pas eu le choix que de compenser avec mon cerveau. Je n’étais bon à rien dans les activités manuelles dès la maternelle, sans parler des activités sportives.
Bref, notre rencontre est plus liée à mes difficultés d’habilité physique qu’à mes capacités intellectuelles.
J’ai tout appris auprès de toi.
L’amour, évidemment !
J’ai aimé passionnément une fille, MaÏlys, pour laquelle je suis tombé éperdument amoureux à la sortie du lycée. J’ai aussi embrassé pour la première fois un garçon. Damien, mon premier amoureux, venait en train depuis La Rochelle pour traîner avec nous, à la sortie du lycée.
L’amitié, pour toujours !
Ils sont toujours là, dans ma vie, mes copines et mes copains que tu m’as fait rencontrer. Toutes et tous. Enfin quasiment.
Martin a décidé de ne pas rester. C’était terrible de lui dire adieu il y’a quelques années. Mais du coup, on s’est tous retrouvés autour de lui, une dernière fois, et personne ne manquait à l’appel. Je le revois, ces longs cheveux noirs, son regard brillant et moqueur, m’expliquer comme je suis un traître de droite, lui l’anarchiste et moi, à l’époque, le jeune socialiste. Je crois d’ailleurs que la dernière fois que je l’ai vu heureux, c’était exactement à la sortie du lycée.
Sinon les autres sont là, bien présents. Adeline, Nelly, Rima, Estelle, Antoine, Simon, Anne, Juliette… on se voit pas souvent, mais j’ai toujours des nouvelles. Et puis à chaque fois, on se raconte les mêmes histoires. Nos excès, nos expériences, nos peines et nos joies, nos fous rires… tout ça se passait à la sortie du lycée.
La politique, à fond !
Tu sais, il y’a peu je suis revenu pour une campagne législative. Figure-toi qu’on était en tête à Rochefort en plus. J’étais pas peu fier. D’ailleurs, ça m’a fait tout drôle de voir des profs de l’époque venir assister à certains de mes meetings. Ceux-là même pour qui j’avais tant d’admiration. Je me souviens que parfois pendant les cours je faisais un peu le beau, je perturbais, mais j’étais impressionné dès que je l’ai croisé, en train de fumer ou de parler entre eux, à la sortie du lycée.
On t’avait bloqué aussi. C’était pour la réforme Darcos. La sortie des élèves et la sortie des profs étaient entravés par nos slogans sur du tissu, des palettes, des poubelles retournées.. Et nous, on vivait quasi là, à la sortie du lycée, du matin au soir. On organisait des AG, on jouait à des jeux, on partageait à manger et à boire… C’était l’hiver, il faisait froid, et pourtant la chaleur de la lutte nous tenait bien chaud. Tout ça s’est déroulé à la sortie du lycée.
Comme beaucoup, mes années de lycée sont fondatrices de ma vie d’adulte.
J’ai eu la chance de les vivre heureux, entouré de beaucoup d’amis, très fêtards, avides de découvrir le monde et les autres, d’apprendre tout ce que je ne savais pas. J’aimais le lycée principalement pour sa sortie, où nous zonions beaucoup entre les cours, et parfois même pendant les cours en les séchant.
Et puis ce long mur qui relie la sortie des élèves à celle des profs. Ce long mur est celui que j’ai vu tagué ce matin des pires horreurs.
Mon lycée, cette sortie et ce mur n’ont rien à voir avec les gens qui ont fait ça.
Mon très cher lycée, j’ai de la peine pour toi, mais j’ai surtout de la peine pour nous. Comment allons-nous gagner contre la haine qui se propagent si ce n’est en multipliant les sorties de lycée ?
Je t’embrasse, tiens le coup.
Par Nordine Raymond