Pour l’Insoumission, le président de la commission des finances revient en détail sur le vote du budget au Sénat. Dans son analyse, Eric Coquerel le démontre de façon implacable : « Les concessions budgétaires au groupe socialiste constituent un écran de fumée ».
Reprenant dans le détail, ligne budgétaire après ligne budgétaire, le député insoumis démontre en quoi le budget présenté devant le Parlement est « bien plus austéritaire et récessif que le budget Barnier », le budget le plus austéritaire de ces 25 dernières années. La conclusion est limpide : « Il faut donc voter contre, et censurer en cas de 49.3 ce budget Barnier en pire ». Notre article.
La patte austéritaire de François Bayrou sur le budget 2025 – La mise au point d’Éric Coquerel
Le PLF (projet de loi de finances, ndlr) 2025 a été adopté ce jeudi 23 janvier au Sénat. C’est désormais la CMP (commission mixte paritaire, ndlr) du 30 janvier qui va retravailler le texte en vue, espère le gouvernement, d’une CMP conclusive dont les conclusions seraient soumises à l’Assemblée le 3 février. Il est donc désormais possible de dresser avant la CMP un inventaire à la fois de la réalité des concessions budgétaires annoncées par François Bayrou pour éviter sa première censure et des votes au Sénat qui confirment un budget ultra-austéritaire.
J’affirme d’emblée que les concessions budgétaires au groupe socialiste constituent un écran de fumée. En réalité, il y a très peu de mesures réellement nouvelles dans ce long inventaire déjà acquis pour une grande part, soit au moment de la censure du gouvernement Barnier, soit grâce à la censure.
Ces concessions nouvelles constituent seulement 439 millions d’euros, soit bien peu par rapport aux 7 milliards de baisses de dépenses supplémentaires adoptés au Sénat sous forme d’amendements. À l’issue du débat, ils viennent considérablement amputer la version initiale du budget de l’État présenté par Michel Barnier. D’autant que cette baisse se concentre sur les moyens opérationnels de l’État.
Au total, en tenant compte de l’inflation et de la croissance tendancielle des dépenses, le budget de l’État adopté pour 2025 au Sénat est inférieur de 24 milliards d’euros à la loi de finances initiale pour 2024 ! Le texte présenté au Parlement est donc le budget le plus austéritaire depuis 25 ans.
Toute la semaine, des amendements en ce sens ont été proposés au Sénat par le gouvernement ou par des sénateurs agissant sur commande. Rappelons en effet, comme je l’ai précisé dès mi-décembre, que seule la partie dépenses pouvait être modifiée après la censure du gouvernement Barnier puisque la partie recettes était déjà adoptée par le Sénat. La règle dite de l’entonnoir empêchait d’intégrer tout nouveau dispositif fiscal.
À côté du gonflement artificiel des concessions accordées par le gouvernement, il y a d’autres tromperies sur les chiffres. Ainsi, depuis la rentrée, le Gouvernement communique sur un coût de la censure évalué à 12 milliards € afin d’agiter un épouvantail pour éviter une nouvelle censure. Ce chiffre n’a aucune cohérence. Il impute à la seule censure la baisse de la croissance qui aurait coûté 6 milliards €, baisse qui est surtout causée par l’environnement international et par les mauvais résultats de la politique économique des gouvernements précédents. Quant aux 6 autres milliards, ils seraient liés au retard dans l’adoption des textes. Mais le gouvernement ne prend même pas la peine d’en fournir le détail.
Mieux encore : le gouvernement se contredit en expliquant en parallèle que les services votés dans le cadre de la loi spéciale permettraient une économie d’environ 2 milliards € et ne dit rien des 12,5 milliards d’euros de crédits non-utilisés en 2024, crédits qu’il a décidé de ne pas reporter au prétexte de la loi spéciale et qui sont autant d’économies bien réelles.
Reprenons tout cela en détail.
Bayrou a annoncé concéder des mesures pour seulement 439 millions d’euros de dépenses supplémentaires par rapport au budget de M. Barnier…
Afin d’éviter la censure de son gouvernement, F. Bayrou a revendiqué dans un courrier du 16 janvier 2025 un ensemble de « concessions » sur le budget 2025. Mais après une lecture attentive de ce document, les mesures réellement nouvelles apparaissent bien maigres face à l’ampleur des économies qu’il tente d’imposer : 439 millions d’euros de mesures supplémentaires pour l’État. Seules 3 décisions peuvent finalement être véritablement retenues :
- L’abandon de l’ajout de deux jours de carence pour les agents publics (289 millions d’euros)
- La majoration des concours financiers de l’État pour les « maires bâtisseurs »
(100 millions d’euros) - L’abandon de la suppression de 4 000 postes d’enseignants (50 millions d’euros en année 2025)
L’abandon de la baisse prévue des crédits pour la mission Outre-mer n’est en effet pas réelle. Si des amendements ont été adoptés pour augmenter ses moyens, force est de constater que les dispositifs victimes des coupes n’ont pas été préservés. La hausse des crédits vise surtout à financer la reconstruction de bâtiments à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, soit des dépenses qui y auraient nécessairement figuré.
Quant à l’augmentation annoncée du Fonds vert, parfois présentée comme une avancée, un amendement du Gouvernement adopté par le Sénat le 20 janvier vient certes augmenter de 150 millions d’euros les autorisations d’engagement mais acte une diminution, et c’est ce qui importe vraiment, de 1,3 milliard d’euros par rapport à 2024 tout en rognant encore de 100 millions d’euros les crédits de paiement pour 2025. Au sujet des deux jours de carence, notons que l’amendement abaissant l’indemnité journalière maladie représente une économie bien supérieure pour l’Etat.
Enfin à la sortie du Sénat la non-suppression des 4000 enseignants promise n’a pas été adoptée. Il est probable que le gouvernement tentera de le faire en CMP. Mais il ne faudrait pas que ce rétablissement soit l’arbre qui cache l’austérité imposée au ministère de l’éducation nationale. Il est même probable qu’en CMP le gouvernement essaie de rétablir aussi l’un de ses amendements présentés au Sénat et qui a été battu. Il consistait à abaisser de 50 millions supplémentaires les crédits de ce ministère soit… le coût exact de la non-suppression des 4000 postes pour 2025 !
Le solde serait donc nul : pas de gain. Ajoutons aussi que le ministère a été la grande victime des annulations de crédit en 2024 et du non-report de 12 milliards décidé à par l’actuel gouvernement. Il ne serait pas étonnant que ce manque à gagner se compte en nombre de contractuels par exemple.
S’ajoute également sur le budget de la sécurité sociale le rehaussement de l’ONDAM à 3,3 % (+1,2 milliard d’euros). Mais après la prise en compte de l’augmentation des cotisations versées à la CNRACL et de l’inflation intégrées dans chiffre, l’augmentation s’avère marginale pour les hôpitaux et la santé publique.
Pour aller plus loin : Décryptage – Censure : comment François Bayrou a enfumé le Parti Socialiste

… pour nous vendre un budget avec plus de 30 milliards d’euros d’économies.
En raison du ralentissement de l’activité et des mesures abandonnées par M. Barnier car refusées par une majorité au Parlement, le gouvernement de F. Bayrou se fixe un objectif de déficit de 5,4 % au lieu des 5,1 % prévus initialement. Pour y parvenir, le gouvernement veut imposer un effort de 50 milliards d’euros pour l’ensemble des administrations publiques, dont plus de 30 milliards d’euros de baisses de dépenses.
Amélie de Montchalin a donc annoncé vouloir réduire de 1,8 % en volume le budget de l’État (NB : Le gouvernement communique sur le « périmètre des dépenses de l’État », soit un périmètre réduit du budget qui exclut principalement les dépenses liées au versement des pensions des agents de l’État et la charge de la dette). C’est environ 9 milliards d’économies supplémentaires par rapport à la loi de finances pour 2024, dont 7 ajoutés par le gouvernement Bayrou. C’est une partie de ces coupes qui ont été présentées aux sénateurs et largement adoptées.
À noter que pour les collectivités territoriales, selon l’Association des Maires de France, ce sont même au total et en réalité plus de 6 milliards d’euros d’économies par rapport à 2024 qui ont été adoptées et non les 2,5 milliards d’euros annoncés par le gouvernement.
Les nouvelles baisses de dépenses enregistrées au Sénat
Le Sénat a abaissé le budget de l’Etat proposé par M. Barnier de 6,5 milliards d’euros. Le périmètre retenu par la ministre chargée des comptes publics ne peut être retrouvé par la simple lecture du texte adopté par les sénateurs. En revanche, il est possible de l’approcher en déduisant certaines lignes du PLF (missions « Remboursements & dégrèvements » et « Engagements financiers de l’État » ainsi que l’état D). Avec cette méthode, l’addition des amendements votés par la chambre haute permet d’arriver à un montant légèrement inférieur.
Le tableau ci-dessous indique la part des 6,5 milliards d’euros de coupes budgétaires due au gouvernement Bayrou au sein du budget adopté au Sénat. Elle est énorme puisque ces seules coupes provoquent au final une baisse de 5 milliards d’euros sur le même périmètre du budget 2025 comparé à la LFI 2024 soit – 15 milliards d’euros si on tient compte de l’inflation. Ce qui signifie que si ces coupes supplémentaires n’avaient pas été proposées au Sénat par François Bayrou, le budget Barnier n’aurait pas baissé en valeur en euro constant.
Le budget Bayrou est donc bien plus austéritaire et récessif que le budget Barnier. Si on tient compte des coupes budgétaires non-adoptées au Sénat, mais que le gouvernement tentera sûrement de remettre sur la table lors de la CMP, ces baisses pourraient être aggravées de 1,4 milliard d’euros ce qui porterait leur total à 7,9 milliards d’euros.

Les missions principalement visées par des baisses sont les suivantes, en tenant compte de l’inflation (2 % en 2024) :

En tenant compte de l’évolution naturelle des dépenses, les économies se chiffrent en réalité à 24 milliards d’euros.
Cependant, la seule prise en compte de l’inflation ne suffit pas à évaluer l’effort demandé. Chaque année, en l’absence de mesures nouvelles, les dépenses augmentent naturellement avec l’inflation, mais aussi en raison par exemple de l’avancement des fonctionnaires dans leurs carrières ou encore du vieillissement de la population qui induit une hausse des dépenses de santé. Les économies entre deux exercices doivent ainsi tenir compte de cette évolution tendancielle des dépenses, évaluée à 3,043 %.
En d’autres termes, si le gouvernement avait souhaité maintenir le même niveau de services publics entre 2024 et 2025, il aurait dû augmenter le budget de l’État de 3,043 %. Sur le périmètre évoqué par la ministre Amélie de Montchalin, le budget aurait donc dû augmenter de 15 milliards d’euros (3,043 % de 493 milliards). Ce qu’il n’a pas fait. Ne pas l’avoir fait constitue évidemment une baisse budgétaire d’autant.
Baisse à laquelle le gouvernement a retranché 9 milliards d’euros supplémentaires sur le budget 2024, le portant à 484 milliards d’euros. On vient de voir plus haut que c’est le gouvernement Bayrou à qui peut être attribuée une très grande part de cette baisse soit 7 des 9 milliards d’euros sous la forme d’amendements au Sénat. Le budget sorti du Sénat est donc inférieur de 24 milliards d’euros à celui qui aurait dû être présenté pour seulement maintenir le même niveau de financement des services publics. C’est d’ailleurs sur ce montant que le gouvernement communique.
À ces baisses de dépenses sur le budget s’ajoutent les efforts sur la sécurité sociale (8,4 milliards d’euros et sur les collectivités locales (2 milliards d’euros), pour un montant total de 10,4 milliards d’euros. Il y a donc bien une baisse totale des crédits du budget de 34,4 milliards d’euros.
Le budget Bayrou est également aggravé par des baisses de recettes
Concernant les mesures en recettes, le budget Bayrou abandonne dans le périmètre Etat 3,3 milliards d’euros de hausses de recettes. Cette différence avec le budget Barnier s’explique par :
- La fiscalité des entreprises (-1,3 milliard d’euros) notamment du fait de renoncements sur la fiscalité environnementale (-800 millions d’euros).
- La fiscalité sur les particuliers (-2 milliards d’euros). Cette dégradation s’explique par l’abandon légitime de la hausse injuste des taxes sur l’électricité. Il est regrettable que cette mesure n’ait pas été compensée par une hausse plus juste d’autres impôts.
Cependant une partie de ces 18 milliards d’euros de recettes supplémentaires omettent la perte de recettes de 7 milliards d’euros votée par les sénateurs.
En conclusion, mieux vaut poursuivre un temps avec la loi spéciale qu’un mauvais budget
Le budget proposé est donc bien celui de M. Barnier, en pire. En toute cohérence, il est donc nécessaire de le rejeter, ou de le censurer en cas de 49.3, car une absence de budget est toujours préférable à un mauvais budget.
La loi spéciale permet effectivement d’assurer la continuité de l’État et le fonctionnement régulier des services publics. Le blocage que le gouvernement a mis en œuvre des crédits ouverts en 2024 et reconduits en 2025 peut être levé, ce qui permettrait à l’État de fonctionner avec 5 milliards d’euros de plus que les crédits utilisés en 2024. Pour les retraités, on a déjà vu que c’était même un progrès. De même pour les collectivités territoriales qui ne subiraient pas les baisses attendues. Et si cela ne suffisait pas, 12,5 milliards d’euros supplémentaires pourraient être reportés.
Quant aux mesures attendues par les Français.es, comme l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu, il suffit au gouvernement de déposer une loi ordinaire comme nous l’avons demandé avec Charles de Courson le 14 décembre dernier. Ce ne serait, certes, pas une solution pour l’année entière, même si l’Espagne utilise pour la 3ème fois consécutive son budget de l’année précédente sans que son économie ne s’arrête, bien au contraire, mais elle serait suffisante pour attendre un nouveau budget proposé par un nouveau gouvernement et répondant enfin aux besoins du pays et de ses habitants.
Par Éric Coquerel
Quelques documents annexes
Les tableaux ci-dessous présentent l’effet du budget Bayrou sur les missions les plus affectées (coupes supérieures à 5% du budget de la mission) :


