Macron. L’Insoumission et le média espagnol Diario Red (Canal Red) s’associent pour proposer à leurs lecteurs des contenus sur les résistances et les luttes en cours en France, en Espagne et en Amérique du Sud. À retrouver sur tous les réseaux de l’Insoumission et de Diario Red.
Pour ce nouvel article, nos deux médias se sont entretenus avec Arnaud Le Gall, député insoumis et membre de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale.
Motion de censure, indépendatisme français, accord Mercosur-UE, présidentielle anticipée, Gaza, Nouveau Front Populaire… Dans cet interview complète, le député LFI Arnaud Le Gall balaie toute l’actualité politique et internationale du moment. Suite au renversement du gouvernement de Michel Barnier et face au blocage institutionnel dont Emmanuel Macron est l’unique responsable, l’évidence est de mise selon le député insoumis : « la démission semble, à terme, inévitable », souligne Arnaud Le Gall. Notre entretien.
« Macron est un homme dogmatique, qui ne comprend ni les rapports politiques dans son pays, ni ceux du reste du monde, ni les enjeux de son époque. », Arnaud Le Gall
Diario Red / L’insoumission : Pourquoi LFI a décidé de soutenir une motion de censure contre le gouvernement Barnier ?
Deux raisons fondamentales expliquent le dépôt d’une motion de censure par le Nouveau Front Populaire (NFP). Tout d’abord, depuis le premier jour, Macron refuse le résultat des urnes, qui a mis la coalition de gauche, le NFP, en tête. Le Président avait l’obligation politique et morale de nommer un Premier Ministre issu de la coalition arrivée en tête aux élections, le NFP, à qui il aurait incombé de mettre en place un rapport de force suffisant au parlement pour appliquer son programme.
Il faut donc partir du principe que le gouvernement soutenu par Macron est illégitime : son Premier Ministre, Michel Barnier, est issu d’un parti politique qui n’a réuni que 6 % des votes. De fait, ce gouvernement ne pouvait tenir que grâce au soutien de l’extrême droite. Une fois celui-ci perdu, sa chute était inéluctable.
La deuxième cause est plus immédiate. Incapable de réunir une majorité pour voter le budget, notamment celui de la sécurité sociale, Macron a été obligé de recourir au 49.3, un article inouï de la Constitution qui autorise un gouvernement à faire passer une loi sans vote, en mettant en jeu sa responsabilité face aux parlementaires. Pour les parlementaires du NFP, le seul moyen d’éviter un budget d’austérité était donc de renverser le gouvernement de Michel Barnier en votant une motion de censure.
Il faut bien comprendre que nous avons à faire à un gouvernement dogmatique qui plonge le pays dans une situation ubuesque. Nous parlons d’un gouvernement minoritaire et illégitime qui a tenté de faire passer sans vote le budget de la sécurité sociale, après avoir rejeté son propre budget car trop amendé par les parlementaires du NFP ! C’est une honte absolue !
En réalité, le gouvernement refuse toute autre politique qu’une austérité budgétaire couplée à des cadeaux fiscaux pour les ultra-riches. Il était inacceptable pour lui de soutenir un budget que nous avions amélioré avec des mesures de relance de la consommation et de la production.
Pour nous, il n’y avait pas d’autre choix que la censure, car accepter le 49.3 revenait à nous soumettre. Dans ce chemin, sans que nous ne lui ayons rien demandé, le RN a décidé de voter cette motion de censure dans la mesure où il considérait que le gouvernement ne répondait pas à certaines de ses attentes en termes d’immigration.
« Pour les parlementaires du NFP, le seul moyen d’éviter un budget d’austérité était donc de renverser le gouvernement de Michel Barnier en votant une motion de censure. »
Diario Red / L’insoumission : Comment expliquer le refus du Président d’entériner le verdict populaire en nommant un Premier Ministre issu du NFP ? Qu’est-ce que cela dit de la nature du pouvoir et du régime en place en France ?
Le régime politique français repose sur une Constitution bien plus autoritaire que celle de la plupart des autres États européens.
Créée par Charles de Gaulle, un général du XIXᵉ siècle, la Constitution de la Vᵉ République entérine une « monarchie républicaine » : son esprit était de donner des pouvoirs exorbitants au Président de la République, tout en lui conférant une légitimité forte grâce à son élection au suffrage universel direct.
Ce système fonctionnait à peu près lorsqu’il s’agissait du Général de Gaulle, un homme disposant d’une légitimité historique et populaire forte, et qui n’hésitait pas à se soumettre au verdict des urnes, allant jusqu’à démissionner quand celui-ci lui était défavorable. Rien de tel pour Macron, un Président avec une légitimité populaire faible, souffrant à fortiori, je le crois, de déficiences psychologiques personnelles, notamment d’une très forte immaturité.
Le Président Macron a été élu au second tour de l’élection présidentielle de 2022 par défaut, essentiellement du fait d’un report de votes de gauche rejetant catégoriquement l’extrême droite. Contrairement à ce qu’il annonçait le soir de son élection, le Président n’a pas tenu compte de ce vote, et a poursuivi une politique libérale en faveur des ultra-riches, notamment en menant une effroyable réforme des retraites. Macron est un homme dogmatique, qui ne comprend ni les rapports politiques dans son pays, ni ceux du reste du monde, ni les enjeux de son époque.
Son paradigme politique est celui de la « mondialisation heureuse » et du thatchérisme (« There is no alternative ») : il n’y a selon lui aucune autre alternative à une politique néolibérale qui consiste à engraisser les plus riches et à couper dans les services publics. Mais ses mesures, qui consistent essentiellement à attribuer des cadeaux fiscaux aux plus riches, ne fonctionnent pas : en France, la consommation populaire se grippe alors que les industries ferment les unes après les autres. Les temps ont changé, et le pays a besoin d’une politique de relance et de forts investissements publics pour se réindustrialiser.
Ce dogmatisme est d’autant plus scandaleux qu’il le conduit à miner la démocratie dans le pays. Refusant toute alternative à son projet, Macron a décidé de bloquer le pays au moment où son parti a perdu les élections législatives anticipées en n’acceptant qu’un ministre disposé à appliquer sa politique. Il a ainsi fait de l’humiliation des forces d’opposition une affaire personnelle, et a été soutenu dans cette sinistre cabale par les médias de milliardaires.
Enfin, j’aimerais revenir sur la dimension psychologique du personnage Macron, tant elle me semble importante pour comprendre les déboires actuels du pays. Macron est un « premier de la classe » qui n’a jamais rencontré de vrais échecs dans sa vie. Je pense que le personnage souffre d’une projection narcissique grave : Macron s’aime trop lui-même pour écouter ce que les autres pensent de lui. Sur le plan psychiatrique, il n’est pas capable de la moindre remise en cause…
Ce qui l’a conduit à tenir un discours ahurissant au lendemain de la motion de censure, accusant les oppositions d’être responsables du blocage qu’il a lui même causé en convoquant des élections parlementaires anticipées ! Nous avons à afire un personnage, vous l’aurez compris, assez spécial.
Diario Red / L’insoumission : Comment LFI se prépare-t-elle à une possible élection présidentielle anticipée ?
La démission du président semble, à terme, inévitable. Certes, Macron s’accroche au pouvoir, mais on l’imagine très mal persister dans cet entêtement ridicule et sans issu pendant encore trois ans. Depuis le début, La France Insoumise est le premier parti à répéter que, dans la mesure où la convocation de nouvelles élections législatives est impossible avant juin 2025, la démission du président de la République est le seul moyen de sortir de l’impasse.
Nous avions été insultés lorsque nous avons soutenu cette idée, mais nous voyons souvent juste bien avant les autres. Aujourd’hui, 60 % des Français soutiendraient le départ d’Emmanuel Macron, et même certaines figures politiques issues de son camp et de la droite souhaitent son départ. De plus, les milieux d’affaires commencent à se détourner de lui et se préparent à soutenir l’accession du RN au pouvoir. Dans des périodes difficiles, le capital choisit toujours les fascistes.
Pour aller plus loin : 63 % des Français pour la destitution, Macron poussé vers la sortie de toutes parts
Que comptons-nous faire, nous, insoumis, dans ce contexte. Nous du principe que la démission de Macron est inéluctable. Nous nous préparons donc à gouverner à l’issue d’élections présidentielles anticipées. Dès à présent, nous faisons campagne auprès des publics abstentionnistes sans chercher le soutien des médias des milliardaires et du journalisme corrompu.
Nous savons que nous n’aurions qu’un délai de 20 jours pour faire campagne en cas de présidentielle anticipée. Dans la mesure où il est difficile, dans un délai aussi court, de créer une forte notoriété, Jean-Luc Mélenchon, fort de ses 22 % aux présidentielles de 2022 et d’une aura indiscutable auprès des milieux populaires, serait le candidat le plus à même de mener cette bataille.
Lors des précédentes présidentielles, aucune autre force de gauche n’a dépassé les 5 %. Nous n’attendons le feu vert de personne, et chacun devra donc prendre ses responsabilités. De notre côté, nous portons un programme auquel les Verts, les communistes et les socialistes ont déjà souscrit à deux reprises, en 2022 et 2024.
Les socialistes français, qui ont souscrit à la détestation médiatique de Jean-Luc Mélenchon, sont-ils prêts à rompre l’alliance et à avaler des couleuvres en sauvant la présidence agonisante de Macron ? Ce ne serait pas une première dans l’histoire politique européenne qu’un parti social-démocrate trahisse son électorat pour se ranger derrière des politiciens néolibéraux.
Diario Red / L’insoumission : Vous êtes coordinateur des relations internationales du mouvement. Sur quels principes voulez-vous fonder notre politique étrangère ?
Au regard de sa politique étrangère, la France n’est pas un pays occidental comme un autre. Longtemps non alignée sur l’OTAN, notamment pour préserver ses intérêts coloniaux, elle a décidé, sous les mandats du général de Gaulle, d’adopter une politique étrangère plus indépendante, sans rompre les liens de solidarité avec l’Europe de l’Ouest et les États-Unis.
En 1966, la France s’est retirée de l’OTAN. L’ambition de De Gaulle était que la France parle d’une voix singulière à toutes les nations du monde. Dans un contexte de guerre froide, la France était le seul membre du Conseil permanent de sécurité de l’ONU à parler à toutes les parties.
Cette politique a connu plusieurs moments marquants. En 1973, la France est à l’initiative de la conférence de paix entre les États-Unis et les communistes vietnamiens, mettant fin au conflit deux ans plus tard. En 2003, la France s’est illustrée par son rejet de la guerre d’agression menée par les États-Unis contre l’Irak, une position qui n’avait rien de naturel dans le monde occidental, on s’en souvient. Le chef de gouvernement espagnol de l’époque, José María Aznar, avait soutenu cette expédition honteuse malgré une forte mobilisation populaire en faveur de la paix.
Vous l’avez bien compris : cette position permettait à la France d’être un interlocuteur crédible partout dans le monde, une chance à l’heure de la désoccidentalisation du monde.
Depuis 2007 et la prise de pouvoir de Nicolas Sarkozy, un tournant pro-américain s’est opéré. Le président Sarkozy a pris comme première décision de réintégrer la France dans le commandement intégré de l’OTAN, motivant cette décision par son souhait que la France réintègre « le camp occidental ».
La vision d’une politique étrangère alignée sur les intérêts d’un « monde occidental » est complètement contraire à celle que nous défendons, fondée sur l’universalisme du droit international. Sur quel principe se fonde la notion « d’Occident » ? La démocratie ? De nombreuses démocraties existent hors de ce prétendu « Occident », qui inclut par ailleurs des régimes autoritaires d’extrême droite. La religion ? Cela n’a aucun sens. En vérité, la notion « d’Occident » va aujourd’hui de pair avec une vision du monde belliqueuse et inquiétante, celle du « choc des civilisations ».
« Depuis 2007 et la prise de pouvoir de Nicolas Sarkozy, un tournant pro-américain s’est opéré. Le président Sarkozy a pris comme première décision de réintégrer la France dans le commandement intégré de l’OTAN ».
Pourquoi disons-nous que la politique étrangère française, comme celle d’autres pays européens et des États-Unis, est influencée par le choc des civilisations ? Parce qu’elle considère que certains pays, du fait de leur appartenance au monde « occidental », peuvent s’affranchir du droit international, et qu’en parallèle, certaines vies humaines valent moins que d’autres en fonction de leur origine géographique et ethnique.
Cette théorie du choc des civilisations s’est pleinement déployée lors de la guerre criminelle menée par Israël en Palestine et au Liban, où le monde entier a découvert qu’aux yeux des occidentaux, une vie palestinienne ou libanaise ne valait pas une vie israélienne. Ce deux poids deux mesures montre qu’en réalité, cette théorie s’inscrit dans la continuité de la vision suprématiste du colonialisme, autrefois pratiqué par les États d’Europe de l’Ouest et les États Unis sous une autre forme, aux XIXe et XXe siècles.
Dans le soutien inconditionnel pratiqué par la France et d’autres pays dits « occidentaux » à Israël, il n’y a rien de plus que la continuité de l’histoire coloniale. Rappelons que dans les années 1950, au moment où la France tentait de sauver son empire colonial, elle accentuait en parallèle son soutien à l’OTAN et à l’État d’Israël, auquel elle s’était associée pour agresser militairement l’Égypte en 1956 afin de mettre un terme à la nationalisation du canal de Suez.
À rebours de ce néocolonialisme, notre position diplomatique est donc la suivante : le droit international, rien que le droit international !
En ce sens, le droit international n’autorisait pas le Hamas à commettre des massacres dans le sud d’Israël, comme il n’autorise pas Tsahal à perpétrer un génocide dans la bande de Gaza ou à agresser militairement ses voisins. Nous avons été à la pointe de la dénonciation de ce processus génocidaire, ce qui nous a valu de subir des accusations scandaleuses d’antisémitisme. Cette position nous a honorés, dans la mesure où elle nous a permis de dénoncer une vision raciste du monde, mais aussi de soutenir nos concitoyens d’origine musulmane, qui sont évidemment visés à l’intérieur de nos frontières par les promoteurs de la théorie du choc des civilisations.
Diario Red / L’insoumission : L’accord UE-Mercosur suscite à raison une vive opposition… Quelle relation devons-nous construire avec l’Amérique Latine ?
L’Amérique latine a toujours été une source d’inspiration pour le mouvement insoumis. Avant la création de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon s’inspirait des révolutions citoyennes, notamment en Équateur et en Bolivie, particulièrement des processus constituants et des manières de redonner le pouvoir au peuple.
L’Amérique latine est une source d’inspiration pour toute politique anti-impérialiste. Elle est le premier continent à avoir tenté de rompre la chaîne du néolibéralisme.
« Le monde a changé : nous pensons, à l’inverse, qu’il faut mettre un terme au « grand déménagement du monde » »
En outre, les gauches latino-américaines ont conscience des dangers de l’impérialisme et de la nécessité de défendre la souveraineté des nations. Nous retrouvons, par exemple, cette préoccupation chez AMLO et Claudia Sheinbaum au Mexique, ainsi que Gustavo Petro en Colombie, qui sont pour nous aussi des dirigeants amis.
À l’inverse, l’Union européenne voit l’Amérique latine comme un continent périphérique, simple fournisseur de matières premières. Elle a ainsi pondu un accord commercial avec le Mercosur, qui aura pour effet, en Europe, de détruire l’agriculture familiale et, en Amérique latine, de dégrader encore plus les termes de l’échange et d’aggraver la dépendance du continent aux exportations de matières premières, au détriment de l’industrialisation.
À La France Insoumise, nous assumons une position radicalement opposée à cet accord opaque, mis en œuvre dans des conditions antidémocratiques scandaleuses, sans l’aval des parlements des principaux pays concernés. Le monde a changé : nous pensons, à l’inverse, qu’il faut mettre un terme au « grand déménagement du monde », réinvestir dans nos territoires et lutter contre le réchauffement climatique ainsi que la destruction de la biodiversité. Cet accord est inacceptable.
Propos recueillis par Rafael Karoubi