Viols de Mazan. De l’ordre de l’impensable. L’expression la plus crue, la plus indéniable et effroyable de la culture du viol.
Dominique Pelicot, âgé de 71 ans, est accusé d’avoir drogué sa femme aux anxiolytiques pendant plus de dix ans pour la violer. Les faits ne s’arrêtent pas là. Dominique Pelicot recrutait des hommes pour violer sa femme inconsciente et filmait l’intégralité de ses crimes. Des centaines de vidéos ont été retrouvées dans son ordinateur.
Ce procès criminel, qui s’est ouvert le 2 septembre 2024 au tribunal judiciaire d’Avignon, durera quatre mois. Dominique Pelicot et cinquante autres hommes y sont jugés. À la barre : le patriarcat. Dans l’audience, des humiliations pour la victime à qui le Président a demandé si elle était « en capacité de consentir », si « elle était en mesure de s’opposer ». Inversion de la charge par une justice qui classe sans suite 94 % des affaires de viol. « Notre rage doit se traduire en actes. Notre pays doit être à la hauteur et enfin tourner la page de la culture du viol et de l’impunité », déclare la députée insoumise Clémence Guetté. Récit de notre reportrice présente au tribunal ce 17 septembre. Notre article.
Un époux et un père de famille « bienveillant et attentionné » ?
Lors de sa première convocation au commissariat de Carpentras, Gisèle Pelicot ignore l’horreur dont elle est victime. Elle décrit son mari comme un homme bienveillant et attentionné. Ils ont trois enfants ensemble et six petits-enfants. Ils vivent dans une jolie maison dans le village de Mazan. Ils sont tous les deux à la retraite et semblent mener une vie ordinaire.
Pourtant, c’est dans la nourriture qu’il cuisine pour elle ou dans le verre de Gisèle Pelicot qu’il verse les doses de Temesta, un puissant anxiolytique, qui rend sa femme inconsciente. Elle et ses enfants n’ont rien vu venir. Ils n’ont pas soupçonné les viols, les horreurs, et les « actes de barbarie », comme le reconnaîtra plus tard Gisèle Pelicot.
Ce procès nous rappelle que le violeur ce n’est pas l’autre, l’homme seul dans le fond d’un parking. Neuf victimes de viol sur dix connaissaient leurs agresseurs. Et dans la moitié des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits.
Un violeur et 50 autres identifiés
Les experts informatiques datent les premiers faits de viol par un tiers en 2011. Dominique Pelicot passait par le site « coco.fr » (qui a été fermé en juin 2024). Il avait, par ce site, accès à un forum de discussion intitulé « À son insu », où il pouvait échanger avec d’autres violeurs. Lors de son procès, l’ex-mari de Gisèle Pelicot affirme avoir tenu le même procédé pendant des années : son pseudonyme interrogeait certains utilisateurs qui venaient le contacter en message privé. Pelicot leur confiait alors qu’il cherchait quelqu’un pour abuser de sa femme droguée à son insu.
D’après sa propre description, le mode opératoire était identique pour l’ensemble des viols commis : les hommes devaient se garer à quelques rues de la maison et s’y rendre à pied, pour que les allées et venues n’éveillent pas les soupçons des voisins. La consigne était claire pour ces hommes : ils ne devaient ni mettre du parfum ni fumer avant de venir. Une fois au domicile, ils devaient se déshabiller dans la cuisine et se laver les mains à l’eau chaude pour que la différence de température ne réveille pas Gisèle Pelicot.
Ces hommes commettaient ensuite les viols en série sous le regard et la caméra de Dominique Pelicot, qui utilisait un Nikon sur trépied et parfois son téléphone portable. Pendant des années, il prend sa femme pour son objet sexuel. Il évoque « une addiction » dont il ne pouvait plus se passer. Gisèle Pellicot a contracté quatre maladies sexuellement transmissibles, dont le papillomavirus qui est souvent à l’origine des cancers du col de l’utérus.
Des actes également commis sur sa fille Caroline Darian ?
Dans l’ordinateur récupéré par les enquêteurs, deux photos de sa fille, Caroline Darian, ont également été retrouvées. Elle est allongée sur son flanc gauche. Elle porte des sous-vêtements qui ne lui appartiennent pas et dort dans une position qu’elle ne reconnait pas (elle le certifiera lors de sa première audition). Comme elle le dit dans son livre Et j’ai cessé de t’appeler papa. Quand la soumission chimique frappe une famille paru en avril 2022, Caroline Darian est persuadée d’être la deuxième proie de son père.
Dominique Pelicot nie les faits et persiste à dire qu’il n’est pas l’auteur de ces photos. Il avait pourtant un album photo intitulé « ma salope et sa fille ». En employant le terme « sa » il refuse de reconnaitre qu’il est aussi le père de Caroline. Comme si, lorsqu’il commettait ses faits, il ne considérait plus sa fille comme sa fille, mais uniquement comme la fille de son épouse. Au-delà de la culture du viol, c’est bien la culture de l’inceste qui est omniprésente dans cette affaire.
La soumission chimique, une violence cachée par la culture du viol
Tout le monde ou presque a déjà entendu parler du GHB, communément appelé « la drogue du violeur ». Cependant, dans l’imaginaire collectif, la soumission chimique n’est limitée qu’aux boîtes de nuit et n’est que le fait d’un inconnu pour assouvir ses désirs sexuels.
Il y a bien eu l’affaire Sandrine Josso (elle est devenue, plus tard, marraine de l’association #Mendorspas, fondée par Caroline Darian), qui a commencé à faire parler du fléau de la soumission chimique. Sandrine Josso, députée de Loire-Atlantique, a été droguée par le sénateur centriste Joël Guerriau. Sentant que quelque chose n’était pas normal, elle avait réussi à s’enfuir. Cette affaire avait eu un retentissement médiatique et politique important.
Malgré un état de santé fortement dégradé, Gisèle Pelicot faisait face à des errances médicales. Aucun des nombreux examens médicaux ne menait à une conclusion. Aucun professionnel de santé ne lui a fait passer des tests toxicologiques, qui auraient pu révéler la présence d’anxiolytique dans son sang. Aucun n’a pensé qu’une femme de 68 ans aux moments des faits pouvait être droguée et violée par son époux et des inconnus depuis une dizaine d’années.
Ce procès, c’est aussi celui du système patriarcal et la culture du viol qui prennent racines dans la continuité d’une société marquée par le patriarcat, la domination masculine, complice des violeurs et des agresseurs. Certaines questions posées à Gisèle Pelicot au procès en attestent. Le Président lui a demandé si elle était « en mesure de s’opposer » et en « capacité de consentir » ! Face à l’injure, Gisèle Pelicot a répondu « Je n’ai pas eu à choisir car le problème ne se posait pas pour moi ». Pourquoi la question du consentement est-elle inversée ?
Une humiliation qu’a dénoncée Gisèle Pelicot et qui témoigne de la minimisation du viol par la justice (Le taux de classements sans suite pour les affaires de violences sexuelles s’élève à 94 % pour les viols) : « Depuis que je suis arrivée dans cette salle, je me sens humiliée, on me traite d’alcoolique, car soi-disant, je suis dans un état d’ébriété tel que je ne me rends pas compte qu’on me viole. Il faut avoir un degré de patience pour supporter tout ce que j’ai pu entendre. »
Pour aller plus loin : Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles : le carton de Mona Chollet
Un procès public
C’est aussi parce que la soumission chimique est une violence sexuelle encore trop méconnue que Gisèle Pelicot a choisi de rendre ce procès public. Mais surtout pour que « la honte change de camp ». Ces hommes doivent prendre conscience de leurs actes, ils doivent affronter le regard de la société civile. Finalement, le huis clos n’aurait-il pas été une faveur ? Ne leur aurait-il pas accordé un certain confort ? Une certaine protection ?
Madame Pelicot fait le choix, difficile, mais courageux, de s’exposer médiatiquement et à l’échelle internationale. Elle souhaite que ces atrocités soient connues du plus grand nombre, pour qu’aucune femme n’ait plus à en souffrir. Sa décision témoigne d’un dévouement absolu pour protéger les autres femmes. Elle fait de cette affaire criminelle d’une gravité sans précédent un combat pour toutes les femmes du monde.
Sept ans après #MeToo, elle devient, sans jamais s’en réclamer, le symbole de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Sa force et son courage nous oblige à apporter une réponse forte et à en finir avec la culture du viol.
Par Anaëlle Boutault