Lycée Averroès musulman

« On se sent lésés, insultés » : au lycée musulman Averroès, la coupure politique des subventions suscite l’indignation

Les 450 élèves du lycée privé musulman d’Averroès de Lille pourront-ils poursuivre leurs études à la rentrée de septembre ? Jeudi 7 décembre, le préfet du Nord ne semble pas l’entendre de cette oreille. Décision a été prise par ses soins de résilier le contrat d’association qui lie ce lycée à l’Etat depuis 25 ans. « On ne comprend pas, c’est un excellent lycée. Des grands médecins, des avocats sont sortis de là. On ne fait qu’étudier les programmes. La semaine dernière, on a vu la théorie de l’évolution de Darwin » raconte une lycéenne.

Suscitant colère et indignation, la décision préfectorale a déjà fait couler beaucoup d’encre et une même question revient sans cesse : la même extrême vigilance des préfets sera-t-elle faite auprès de tous les lycées privés confessionnels et laïcs ? Inspection des cours, existence d’un contrat d’association individuel, contenu des bibliothèques, remise des comptes : toutes ces obligations prévues par la loi devraient être scrutées par les préfets et Gérald Darmanin pour tous les établissements privés, et non seulement ceux de confession musulmane.

Pourquoi l’un des deux seuls lycées musulmans de France concentre-t-il le plus grand nombre d’inspections du Rectorat quand les autres établissements privés sous contrat à 99% catholiques, juifs, protestants et laïcs passent en dessous des radars ?

C’est bien le fond de l’affaire : un deux poids, deux mesures par un traitement tout spécial, discriminatoire, réservé au lycée Averroès. Battus en brèche par les faits, les arguments du préfet ne tiennent pas. Une décision qui marque une énième dérive islamophobe dans un climat politique et médiatique déjà saturé de stigmatisations contre la communauté musulmane. Notre article.

Depuis 2019, le lycée musulman Averroès dans le viseur de la droite et de l’extrême droite

La décision de couper les vivres au lycée Averroès s’est prise sur un coin de table, dans la soirée du lundi 27 novembre. Déjà, une présence inhabituelle préfigurait un traitement particulier pour l’un des deux seuls lycées musulmans du pays. Dans ce département d’élection du ministre de l’Intérieur, le président de la région, Xavier Bertrand, était assis autour de la table aux côtés des autorités préfectorales.

En contentieux depuis des années avec le lycée Averroès, et sous pression des élus du Rassemblement National, l’élu mène une guerre ouverte et sans répit contre l’établissement scolaire en raison d’une confession qu’il prend régulièrement pour cible. Pourquoi a-t-il été autorisé à cette commission et en quel droit ? Personne ne le sait, mais tout le monde s’en doute : par une volonté délibérée et partagée avec le pouvoir de prendre pour cible les citoyens de confession musulmane.

En parallèle, le député insoumis Paul Vannier et le député Christopher Weissberg (Renaissance) avaient tous deux dit leur souhait d’assister à la réunion. Une demande largement justifiée au regard de leur statut de co-rapporteurs de la mission d’information sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat. Résultat ? Une fin de non-recevoir sans explications. Pourquoi tolérer la présence d’un élu de droite et refuser celle d’un élu insoumis ? Là aussi, le silence des autorités sème le trouble.

Sans doute les partages de vues entre la préfecture et le président de région sont une clé d’explication. Depuis 2019, le président de région bloque les subventions publiques au lycée Averroès en dépit de ses obligations d’élu.

Dans un courrier adressé au ministre, les députés insoumis Adrien Quatennens, Ugo Bernalicis et David Guiraud ont vivement réagi. Comment se fait-il que le Président de région, en bloquant les subventions, fasse « comme si nos concitoyens de confessions musulmanes n’étaient pas des contribuables à part entière ? » soulignant aussi les multiples injonctions du tribunal de Lille et du Conseil d’État contre Xavier Bertrand. Pour les insoumis, la ligne est clair : fonds publics, écoles publiques. Mais pas question pour autant de ne pas réagir à un traitement discriminatoire flagrant et demander des comptes.

Des « manquements » évoqués par le préfet qui n’existent pas d’après l’Inspection générale de l’Éducation nationale

« Rien ne permet de penser que les pratiques enseignantes (…) ne respectent pas les valeurs de la République » concluait l’inspection générale de l’Éducation nationale dans un rapport de 2020 sur le lycée Averroès. Une conclusion balayée d’un revers de main par le préfet du Nord ce jeudi 7 décembre qui a mis fin aux subventions versées au principal lycée musulman de France. Quels sont donc les griefs invoqués pour cette décision inédite qui cible le 2ème lycée musulman de France dont les résultats se classent en haut du podium de tous les établissements privés ?

Le préfet du Nord évoque des « manquements », balayés donc par l’Inspection générale de l’Education. Comble de l’histoire : ces « manquements » concernent le collège hors contrat attenant au lycée sous contrat Averroès. Pourquoi ce qui est reproché au collège conduit à une décision concernant le lycée ? Là aussi, comme sur l’ensemble du dossier, les autorités s’enfoncent dans le silence lorsqu’elles sont confrontées à ce type d’interrogations.

À juste titre, les avocats du lycée estiment que l’établissement est « la cible de multiples propos et rumeurs ». Pour preuve, le préfet utilise à maintes reprises le conditionnel dans ses justifications. Et quand bien même il parlerait avec certitude, le fait est que le rapport de l’inspection générale va à rebours de ses déclarations.

Aussi, la question des « manquements » sur ce lycée musulman en appelle d’emblée une autre. Des manquements sont constatés : quid de ceux largement répandus, et décriés, dans les établissements d’autres confessions ? Les exemples ne manquent pas. En juin dernier, le lycée catholique de Compiègne avait été épinglé par un rapport d’inspection du rectorat.

En cause ? Des propos homophobes tenus par le Directeur et une censure de la projection de films sur Simone Veil pour faire du sujet de l’avortement un grand tabou. Le financement public a-t-il été coupé ? Une décision de la préfecture a-t-elle été prise similaire à celle du lycée Averroès ? Non, la justice a été saisie, et les financements publics laissés en paix.

Le faux grief du financement étranger

Un autre grief est évoqué par la préfecture pour justifier sa décision, d’ordre financier cette fois : le lycée musulman bénéficie de financements privés. Un « cadre légal et reconnu par l’Inspection générale de l’Éducation nationale » a parfaitement rappelé le député insoumis Paul Vannier dans une conférence de presse mardi 12 novembre. Est-ce à dire que Gérald Darmanin va scruter de près les comptes des milliers d’établissements confessionnels du pays ?

Ils sont plus de 9 000, à 96% catholiques, et eux aussi largement concernés par la question des financements privés et étrangers. Dans son dernier rapport de 2023 sur l’enseignement privé, la Cour des comptes a indiqué que beaucoup d’établissements privés sous contrat ne respectaient pas les obligations légales, transmission des comptes, à l’inverse du lycée Averroès, respectueux et en règle. La question se pose : à quand l’égalité dans le contrôle ?

Un deux poids deux mesures hautement islamophobe

Au total, tout indique que la décision de couper les vivres au lycée Averroès est hautement politique. Aucun argument rationnel ne justifie la mesure de couper les financements à l’un des deux seuls lycées musulmans de France, aux excellents résultats, aux comptes bien tenus, remplissant ses obligations légales et ne faisant preuve d’aucun manquent au « respect des valeurs de la République » comme l’a souligné le rapport de l’Inspection générale de l’Éducation nationale.

Alors la question se pose : à quand la rectification du tir ? À quand la restauration des financements à cet établissement musulman ? Pourquoi tant d’acharnement à mettre à l’écart une partie de la population décrétée de seconde zone en raison de sa religion ? Comment ne pas comprendre que cette décision va aboutir à moins de contrôle de l’État en poussant le lycée vers le hors contrat ?

Par Sylvain Noël, rédacteur en chef

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