Action française. Ces derniers temps l’ont montré, l’extrême droite pullule de façon inquiétante dans le pays et menace tout un chacun. Elle recouvre une galaxie de groupuscules, de méthodes, de visages qui ont en commun la même idéologie de racisme, de haine et de mort. Sa cartographie est nécessaire pour mieux la combattre, travail qu’a brillamment mené l’Institut la Boétie lors son dernier colloque. Qu’elle agisse en blouson, par le bruit médiatique ou au cœur de l’hémicycle, comprendre la dynamique de l’extrême droite permet de mieux organiser la lutte politique pour la vaincre.
L’Insoumission.fr participe de ce travail et publie un nouvel article consacré à l’Action française. Si dans plusieurs villes sa présence sur le terrain se résume à des autocollants vite arrachés (soit parce que le contexte local lui est défavorable, soit parce qu’elle n’est pas le groupe d’extrême-droite dominant), ce n’est que la face immergée des activités de ce mouvement vieux de plus d’un siècle. Côté pile, elle forme des militants, donne des conférences sur ses thématiques, édite des livres et vend son journal. Côté face, elle participe et organise de violentes agressions homophobes, transphobes, xénophobes, contre des militants de gauche.
Qu’est ce que l’Action Française, d’où vient-elle, et surtout où va-t-elle ? Notre article.
Les origines antisémites et collabos de l’Action française
L’Action Française (AF) naît pendant et à cause de l’Affaire Dreyfus. En 1899, “l’Affaire” déchire l’opinion publique française. Pour résumer, les républicains et anticléricaux (la gauche) prennent le parti du capitaine Dreyfus, injustement condamné pour trahison parce que juif. De l’autre côté, la droite réactionnaire, monarchiste, pour « sauver l’honneur de l’armée », défend mordicus la thèse du juif traitre à la patrie et répand son antisémitisme et ses injures dans sa presse.
C’est dans cette période que le clivage gauche-droite, au sens que l’on entend aujourd’hui, se crée. C’est aussi à ce moment que l’extrême-droite que l’on connaît apparaît. L’AF, fondée par H.Vaugeois et M. Pujo est de ceux-là. Bien vite, sous l’impulsion de Charles Maurras, le mouvement devient monarchiste, en plus d’être nationaliste, antisémite et réactionnaire. Bien vite, l’AF se dote de son propre journal en 1908 : les lecteurs d’extrême-droite ont chaque jour leur dose de haine antisémite signée Maurras.
Car si Maurras se veut être un grand intellectuel (il théorise notamment le nationalisme intégral, sur lequel on reviendra), il est surtout connu pour ses violentes invectives, voire appels au meurtre dans les colonnes du journal l’Action Française, où il écrit un édito quotidien.
Pour lui, Léon Blum, le leader socialiste souvent attaqué pour ses origines juives, est « un homme à fusiller, mais dans le dos ». Pour le leader intellectuel de l’AF, il faut se défendre contre la menace juive, « au couteau de cuisine » s’il le faut, et une condamnation à six mois de prison ferme ne changent rien à ses glaçants appels à la haine. À ce sujet, il est vital de lire l’éclairant ouvrage de Daniel Schneidermann, La guerre avant la guerre (2022, éditions du Seuil).
Justement, voilà la deuxième Guerre Mondiale, et son flot de violence, de haine et d’antisémitisme. Fascisme et nazisme se répandent et dominent la majeure partie de l’Europe. Dans la France occupée, contrairement à ce que prétend encore l’Action Française, Charles Maurras et la plupart de ses fidèles entretiennent la gangrène nazie, et s’y vautrent.
Pour preuve, nombreuses sont les figures du mouvement à être condamnées à la Libération. Maurras est condamné pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi, idem pour son ami d’enfance, l’ancien député Xavier de Magallon, membre de l’AF lui aussi (Laurent Joly, Les collabos, Tallandier). De même à la Libération le journal Action Française est interdit, mais il saura réapparaître et il connaîtra d’autres noms jusqu’à aujourd’hui.
Pour aller plus loin : Cartographie des groupuscules d’extrême-droite en France : tendances, bastions et modes d’actions
Un rôle de formation
Depuis le début, on parle de l’Action Française comme d’un « mouvement » et pas comme d’un « parti », et pour cause : l’AF n’a pas de visée électorale (ce qui ne l’a pas empêché de compter dans ses rangs des parlementaires, voire de futurs ministres). Le rôle qu’elle se fixe est idéologique, « culturel». L’AF fournit à la droite radicale et à l’extrême-droite un cadre idéologique, le nationalisme intégral, et forme des militants pour propager la bonne parole maurrassienne hors des cercles de l’AF.
Ce nationalisme intégral est un ensemble d’idées contre-révolutionnaires (donc très réactionnaires et monarchistes), xénophobes, qui prône une politique décentralisatrice et avec une fibre « sociale » (dans le but d’extraire la classe ouvrière de l’influence des « Rouges »).
Encore aujourd’hui l’Action française forme ses membres (ou proches) à ses idées réactionnaires, et certains se retrouvent sur ces plateaux télé qu’on adore détester. Parmi les plus connus on retrouve par exemple Eugénie Bastié du Figaro. Cette proximité avec l’AF se ressent dans son article sur le sujet, où elle qualifie d’« actions spectaculaires » des agressions de militants de gauche… En somme de l’extrême-droite à la droite « conservatrice » et « respectable ».
« Respectable », c’est l’image que l’Action Française veut se donner parmi l’extrême-droite française : d’autres groupes comme le GUD ou les néonazis spécifiques à chaque région se contentent d’actions violentes, mais l’AF se veut être un mouvement d’intellectuels.
C’est ce que démontre un article de Streetpress qui décrit ces formations, le réseautage qu’elles permettent… Il y a d’abord les cercles de formation, réservés aux militants : on y parle histoire, politique intérieure, économie, géopolitique… Le cercle de Flore, quant à lui, organise des conférences ouvertes au public. Cette façade d’organisation fréquentable fonctionne d’autant plus que l’AF tente de faire croire qu’elle a abandonné ses racines antisémites, notamment sous l’influence de Pierre Boutang dans les années 80. Pourtant, des indices laissent penser que ce sombre aspect de l’AF n’a pas disparu.
En 2013, le mouvement maurrassien a par exemple invité l’essayiste antisémite et homophobe Alain Soral. Puis, renvoi d’ascenseur : un dirigeant de l’AF est intervenu dans une conférence d’Egalité & Réconciliation, le mouvement de Soral. D’autres intervenants dans les formations maurrassiennes ont également un passé pour le moins sulfureux. C’est le cas de Bernard Lugan, ouvertement pétainiste, fan de Hitler et Mussolini, aussi passé par le FN et Reconquête! Plus simplement, l’AF continue d’étudier Maurras, dont l’œuvre est fréquemment rééditée, même par des éditeurs mainstream.
En somme, voilà un groupe qui se veut plus intello que le reste de l’extrême-droite. L’AF peut servir d’école de cadres, qui ont la possibilité par la suite se caser au RN, à Reconquête! voire dans des partis plus républicains. On pense tout de suite à Gérald Darmanin. S’il semble ne pas avoir été membre, il a pourtant écrit des articles dans un journal affilié à l’AF, tandis que son mentor Christian Vanneste a bien été membre actif du mouvement. Darmanin reviens, l’Action française en a besoin », scandaient des militants de l’Action française dans les rues de Paris le 14 mai 2023.
Mais Maurras lui-même disait vouloir un mouvement « intellectuel et violent », alors l’Action Française est violente. Déjà verbalement, comme on l’a vu, dès les années 30, où Maurras et sa meute appellent au meurtre de juifs. Mais déjà à cette époque, son « influence semble déconnectée de [son] audience réelle, et plutôt proportionnelle à [son] volume sonore ». « En insultant, en appelant au meurtre plus fort que tous les autres, ils sidèrent le public » (D.Schniedermann, La guerre avant la guerre). Mais il est (trop) souvent arrivé que les militants de l’AF passent des paroles aux actes.
Des « intellectuels violents » (et racistes, transphobes…), un groupe qui se renouvelle depuis les années 2010
Déjà, que pèse concrètement l’Action Française en effectifs ? En 2018, le mouvement revendique 3 000 adhérents : une progression « de 54% en 5 ans » ! Petit problème, le même chiffre est avancé deux ans plus tôt, en 2016 (à prendre avec des pincettes : c’est selon un article du Figaro écrit par une sympathisante de l’AF). Pourtant, pendant les années 2010, le mouvement connaît un « regain d’activité » à partir de 2013 (selon les renseignements). La réalité est bien plus modeste : selon Streetpress, l’AF compte un millier d’encartés, auxquels rajouter des militants occasionnels (comme Gérald Darmanin en son temps…).
Ça n’empêche pas les Camelots du Roi (surnom des militants AF, ndlr) de faire des démonstrations de force : le 14 mai dernier, ils étaient 500 à défiler dans les rues de Paris. Pour autant, cela n’empêche pas certains éléments les plus radicaux de l’AF de s’illustrer dans la presse par leurs violences. À Aix par exemple, en 2016 : incursion dans un local PCF, attaque de militants communistes à coup de matraques (ajoutés à une inaction de la Justice). De manière générale, la section d’Aix-en-Provence se démarque des autres villes par sa radicalité, sa violence et son racisme exacerbé.
Encore récemment, l’un de leurs membres, Paul-Antoine Schmitt, a été condamné pour « violence volontaire en réunion à caractère raciste ». Petit détail important : Schmitt était à l’époque responsable de la section locale de Génération Zemmour (l’organe de jeunesse de Reconquête!). Toujours dans le sud, un lycéen marseillais a été envoyé à l’hôpital en 2017 par des royalistes pour s’être opposé à un tractage de l’AF. Des cas comme ça sont fréquents dans la décennie 2010 : attaque d’un rassemblement pro-réfugiés à Lyon (mais les manifestants ne se sont pas laissés faire), violentes tentatives de déblocages de facultés sur le site de Tolbiac de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, et à Strasbourg, intrusion au conseil régional d’Occitanie…
Mais la fin 2021, et la déclaration de candidature de Zemmour marquent un tournant dans les violences d’extrême-droite. L’Action Française ne fait pas exception. Il faut d’abord souligner la proximité entre le président de Reconquête!, maurrassien assumé, et l’Action Française. On a déjà évoqué l’implication de l’ex-responsable Génération Z d’Aix, mais d’une manière générale, la plupart des militants AF ont fait la campagne d’Eric Zemmour en 2022. Au meeting de lancement de Reconquête! en décembre 2021 (où plusieurs militants antiracistes ont été violemment agressés par des gros bras d’extrême droite), on a même pu voir l’AF vendre son journal, Le Bien Commun, à la criée.
Mais la fin de la campagne de 2022 n’a pas calmé les violences d’extrême-droite, bien au contraire. A Angers, octobre 2022, Sam, personne non-binaire, est frappée un soir par plusieurs personnes. L’un d’eux est identifié : un membre de l’Action Française. Ce dernier a été condamné à cinq mois de prison avec sursis. Fait rare, la cour a reconnu le motif « en raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre » de la victime, une qualification saluée par l’association locale Quazar. Dans d’autres villes, les possibilités de violences offertes par l’Action Française ne suffisent pas, alors certains grenouillent ailleurs dans l’eau croupie de l’extrême droite.
A Clermont-Ferrand, Louis Boudon, membre historique du syndicat étudiant d’extrême droite de la Cocarde locale, est aujourd’hui membre de l’Action française. En plus de ces engagements « classiques » pour l’étudiant réac moyen, Boudon traînait aussi avec Clermont-Ferrand Nationaliste, groupuscule néonazi, prêt à « chasser du rouge ». Il semble aujourd’hui membre de Clermont Non Conforme, nouveau groupe déjà tenu responsable de plusieurs agressions sur des militants de gauche, et dont la députée insoumise Marianne Maximi a demandé la dissolution.
D’autres sections de l’Action Française, jusqu’ici calmes, se sont illustrées ces derniers mois. Lors des manifestations d’extrême-droite à Saint Brévin (contre l’installation d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile), on a ainsi pu voir l’AF de Nantes parader aux côtés des pétainistes, de Civitas, un grouscule catholique intégriste…
C’est d’ailleurs en septembre dernier qu’ont été condamnés, après 6 ans, quatre hommes liés au GUD et à l’AF. Ceux-ci avaient agressé deux jeunes en 2017, à coup de bouteilles en verre, de barres de fer. Enfin la section lilloise, si elle reste discrète du fait de la forte présence des Identitaires de la Citadelle, compte des amitiés douteuses. Selon Libération, des membres et dirigeants locaux de l’AF traînent avec les néonazis parisiens de la Division Martel et les Nationalistes-Révolutionnaires du GUD (Groupe Union Défense).
Pour certains, l’Action française est trop molle, mais elle occupe toujours une place centrale au sein de l’extrême droite française
De manière incontestable, l’Action Française est un mouvement aux origines antisémites, nationalistes, xénophobes, et réactionnaires. En plus d’un siècle, l’organisation maurrassienne a bien sûr connu des évolutions. Mais elle n’a pas bougé sur les fondamentaux. Elle invoque l’influence de Pierre Boutang et la scission de son aile la plus virulente et antisémite en 2019, pour se dédouanner et se laver les mains de tout propos contre les juifs.
Mais ce narratif ne résiste pas à l’épreuve des faits : on a vu les sympathies soraliennes, et l’adhésion de l’AF au discours de Zemmour. Ce même Zemmour, qui met l’Histoire de France au coeur de son idéologie, qui remet en doute l’innocence du capitaine Dreyfus, l’implication du régime de Vichy dans la Shoah… Évidemment que le maurrassien moyen, sûr de sa connaissance de l’histoire grâce à sa formation militante, est séduit par ce discours !
Végétative depuis plusieurs années, l’AF connaît un renouveau depuis les années 2010. Elle devient plus visible, conserve une petite base militante qui s’accroît (selon elle du moins), et renoue avec sa tradition violente. Surtout depuis le milieu de la dernière décennie (avec une accélération en 2022), ces agressions, transphobes, xénophobes, contre des militants de gauche, se font souvent en association avec d’autres groupuscules d’extrême-droite. Dans certains cas, les militants de l’AF font partie d’autres groupuscules.
À tel point que pour ses membres les plus radicaux, l’AF est trop sage, pas assez radicale, pas assez violente. En janvier dernier, c’est toute la section rennaise qui a quitté le navire pour fonder l’Oriflamme, aux inspirations davantage néofascistes que royalistes, mais aussi plus radicales sur le fond et la forme. Même processus à Aix et Marseille en 2018, où nombre de royalistes ont rejoint le Bastion Social (dissous en 2019) ou Tenesoun, plus fans de Mussolini que de Maurras. Ces jeunes d’extrême-droite sont tentés par des groupes comme le GUD, par des idéologies comme le nationalisme-révolutionnaire : l’AF est perçue comme trop intello, modérée. Ringarde presque.
Mais après 115 ans d’existence, l’Action Française est toujours là. Elle occupe une place centrale dans l’extrême-droite : elle n’est pas électoraliste, mais joue à fond la bataille culturelle. Son rôle de formatrice lui offre la place de lien entre les groupes d’extrême-droite les plus radicaux et les partis traditionnels. Après tout, elle nous a offert Gérald Darmanin…
Par Alexis Poyard