Un projet de ferme aquacole de saumon essaie de s’implanter à la pointe du Médoc sur la commune du Verdon-sur-mer. Porté par la société Pure Salmon, ce projet prévoit de produire 10 000 tonnes de saumon par an. Pure Salmon le présente comme un projet cherchant à « contribuer à l’indépendance alimentaire de la France en proposant un saumon sain, local et abordable, élevé dans le plus strict respect de l’environnement et du bien-être animal », comme on peut le lire sur leur site. Pas si sûr. À noter qu’un projet identique de l’entreprise a déjà échoué à voir le jour près de Boulogne-sur-mer.
Le porteur de ce projet anti-écologique ? Un fond singapourien, basé à Abu Dhabi. Un projet énergivore, aux proportions démesurées, qui sera probablement submergé par la montée des eaux dans moins de 20 ans. Sur place, la résistance s’organise, tandis que l’entreprise attaque ses opposants en justice. Notre article.
L’or rose produit en Vert, selon Pure Salmon
Aujourd’hui, la France est le 2ᵉ plus gros consommateur de saumon. 99% du saumon que l’on consomme est d’importation. Le projet du Verdon pourrait produire à lui seul 5 % de la consommation des Français. Toujours d’après Pure Salmon, ce projet serait une première mondiale par la quantité produite. Le système utilisé est appelé « RAS » : « Re-circulating Aquaculture Systems ». Celui-ci permettrait de tenir les espèces indigènes de saumon à l’écart et d’obtenir un meilleur rendement.
Le porteur de projet ? Un fond singapourien : 8F Asset Management, basé à Abu Dhabi. Il promet 250 emplois pour un investissement de plus de 270 millions d’euros. Cette ferme-usine est présentée comme verte. La technologie de circuit fermé permettrait de réutiliser 99% de l’eau exploitée, l’élevage et la préparation sur place et la consommation de 100% d’énergie verte (dont 25% produit sur place avec des panneaux photovoltaïques) nous promet un saumon « made in Médoc », sans antibiotique et sans OGM. Vraiment ?
Un saumon français produit par Pure Salmon ? Le projet en chiffres
Quelques chiffres pour se rendre compte du gigantisme et du caractère anti-écologique de ce projet. La taille de l’exploitation est de 14 hectares, soit l’équivalent de 19 terrains de football. La consommation d’eau quotidienne (3300 m³ d’eau) serait équivalente à celle d’une ville de 10 000 habitants par jour. L’usine pourrait avoir une dépense énergétique équivalente à celle de 14 000 habitants qui ne serait compensée qu’à hauteur de 20% par l’installation des 24 000 panneaux solaires sur le site. L’objectif est notamment d’abaisser la température de l’eau à 12°, température idéale pour les saumons.
L’entreprise annonce 3 500 m³ de rejets chaque jour dans les zones protégées des environs. 10 000 tonnes de saumon pourraient être produites chaque année, soit l’équivalent de 2 millions de saumons. Le tout en concentrant 70 kilos de saumon au m3, soit quatre fois la densité maximale autorisée. C’est l’équivalent du volume d’une feuille A4 par poisson. Tout cela en ne respectant pas 18 directives européennes, selon le collectif Eaux Secours Agissons. Pour couronner le tout, selon les scientifiques, le site pourrait être… submergé par la montée des eaux vers 2040.
Sur place, des représentations politiques très divisées
La population locale voit d’un bon œil cette ferme-usine. Il faut dire que Pure Salmon n’y est pas allé de main morte pour convaincre les Médocains ; dégustation de saumon sur les marchés, réunions publiques (ou presque), puissant lobbying auprès des élus. La promesse de 250 emplois dans une zone sinistrée fait briller les yeux des plus anciens qui voient là une aubaine pour redynamiser leur station balnéaire très vivante en période estivale, mais désertée 10 mois sur 12.
Le Maire du Verdon-sur-mer Jacques Bidalun (DVD), Le Maire de Talais également Vice-président de la communauté des communes Médoc atlantique et vice-président du Parc Naturel Régional du Médoc Franck Laporte (D), l’ancienne Députée et conseillère départementale Pascale Got (PS), le conseiller départemental et vice-président du département, Stéphane Lebot (PCF) se sont tous prononcés publiquement en faveur du projet. Le seul argument de l’emploi leur permet de se positionner favorablement.
Quelques personnalités politiques locales s’opposent publiquement à ce projet : Christine Seguinau (EELV), Conseillère régionale et Olivier Maneiro (LFI), Conseiller municipal à Saint Estephe ont participé à des réunions publiques d’oppositions, aux côtés de Benoit Biteau Eurodéputé (EELV). Au niveau départemental et national, les députés de Gironde Nicolas Thierry (EELV) et Loïc Prud’homme (LFI) les députés européens Benoit Biteau (EELV), Caroline Roose (EELV) et Manon Aubry (LFI) se sont positionnés contre ce projet.
La résistance s’organise localement, Pure Salmon attaque les opposants au projet en justice
En août 2022, à la Maison de la Nature et de l’Environnement à Bordeaux, est née une volonté d’agir conte ce projet d’élevage intensif.
« Le caractère intensif et risqué de l’usine nous ont poussé ensemble à agir. Il y avait urgence de se mobiliser pour l’abandon de ce projet au vu de la désinformation auprès du public, des allègements des procédures environnementales… », écrit le collectif Eaux Secours Agissons. Créé en janvier 2023, le collectif peut se targuer de nombreux soutiens associatifs, tels que Greepeace, L214, Estuaire 2050, Bloom, Extinction Rébellion, ou politiques comme Les Écologistes (ex-EELV), LFI ou le NPA
Devenu aujourd’hui association, ce collectif enchaîne les réunions publiques d’information, les tractages sur les marchés locaux et les conférences de presse. Eaux Secours Agissons a lancé une pétition regroupant plus de 50 000 signataires, trouvable en ligne ici. Une requête a également été déposée auprès de la commission Européenne. Esther Dufaure, représentante de Eaux Secours Agissons a même été entendue par la commission des pétitions de l’Union européenne.
Cette opposition locale se voit aujourd’hui attaquée en justice. Esther Dufaure et Alice Soulié, une autre membre de Eaux Secours Agissons, se sont vues assignées en justice par Pure Salmon, pour diffamation. L’association et ses deux représentantes risquent jusqu’à 30 000 euros d’amende. Les soutiens organisent à ce titre un rassemblement le 2 novembre devant le tribunal de Bordeaux.
Où en est le projet ?
Au mois de juin, le dossier ICPE (Installations classées protection de l’environnement, ndlr) du porteur de projet a fait l’objet de demandes supplémentaires de la part de l’administration. Pure Salmon a donc retiré provisoirement son dossier et a fait savoir par voie de presse qu’elle redéposerait un permis de construire et un dossier ICPE avant la fin du mois de septembre.
Afin de faire passer le dossier ICPE qui a reçu un avis négatif de la part du SAGE Estuaire (Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux, ndlr) pour sa forte consommation en eau potable qui servirait dans le processus final à nettoyer les saumons, PureSalmon se lance dans un projet de désalinisation de l’eau. Cette eau étant impropre à la consommation humaine ne pourrait être utilisée pour laver les saumons qu’avec une dérogation de l’État
Pur Salmon espère un début des travaux au premier trimestre 2024 pour un lancement de production, fin 2025/début 2026. Comme l’écrit Blast, « la guerre du saumon est déclarée ».