Benalla. Tout commence le 1er mai 2018, et tout se terminera peut-être ce vendredi 29 septembre à la Cour d’appel de Paris grâce à Simon, un militant insoumis du 20ème arrondissement. Le nom de Benalla est depuis 2018 synonyme de cataclysme à répétition pour Emmanuel Macron. L’affaire incarne la première grande concrétisation de la dérive autoritaire du pouvoir : un déchainement de violences par les bandes organisées du Président qui en auguraient bien d’autres. Elle est aussi le symbole d’un État noyauté et mis au service d’un monarque. Notre article.
Violences, port d’armes, liens avec l’Élysée, l’affaire Benalla est vite devenue une affaire d’État et non une « affaire d’été » comme le prétendait Emmanuel Macron
Les images des barbouzes de l’Élysée, Alexandre et son complice Vincent Crase ont fait le tour du monde.
L’homme de confiance du chef de l’État avait été condamné en novembre 2021 à trois ans d’emprisonnement dont un ferme, sous bracelet électronique. En cause : avoir molesté cinq personnes, dont un militant insoumis, en marge de la manifestation du 1er mai 2018 alors que les deux barbouzes aidaient la police en tant qu’ « observateurs » (disaient-ils). Alexandre Benalla a fait appel. Il se défend d’avoir commis des violences, va jusqu’à parler d’« acte citoyen » pour faire pleurer dans les chaumières. Il reconnait des « gestes maladroits » pour qualifier ses coups de pieds d’une violence inouïe contre les manifestants.
Il opère un tri sélectif dans son palmarès de factieux pour tenter d’éviter le courroux. Il a reconnu quasiment tous les faits qui lui étaient reprochés : port illégal d’une arme de poing, utilisation de passeports diplomatiques après son licenciement de l’Élysée, faux en écriture pour un passeport de service etc…L’intervention massive des insoumis et de leur commission d’enquête avait aidé à faire toute la lumière sur l’affaire.
Mais sur les violences du 1er mai, c’est non. Le barbouze nie et persiste. Demain, le délibéré de son appel aura lieu. Demain, Simon.D, militant insoumis qui faisait partie des cinq molestés du 1er mai 2018, obtiendra peut-être une victoire historique : celle de la justice face au pire de la macronie et de ses bandes organisées.
Peux-tu nous faire le récit de ton 1er mai 2018 ? Que s’est-il passé et pourquoi les violences que tu as subies ne sont toujours pas sanctionnées ?
Avec des amis et camarades nous étions à la traditionnelle manifestation du 1er mai à Paris, comme chaque année. Dans l’après-midi nous avons fait le choix de partir en passant par le Jardin des plantes. Nous tombons sur 3 personnes que nous pensions être des policiers en civil au vu de leur tenue et de leur attitude. Nous continuons sur notre lancée pour sortir du jardin mais quand un des trois s’aperçoit qu’une camarade présente filme avec son portable, elle est tout de suite ceinturée violemment.
Quand j’entends son cri de douleur, je me retourne mais je n’ai pas le temps d’intervenir que je suis balayé par derrière, projeté au sol et maintenu la tête à terre. C’est là que tout commence. Je serai ensuite emmené à un premier commissariat dans le 18e arrondissement, puis à un second dans le 8e. Je resterai 48h en garde à vue, on m’accusera de violence contre policier avec arme. Je n’avais bien évidemment ni été violent, et encore moins porté d’arme.
Ces 48 heures, il faut les imaginer à 3 dans une cellule de 5m², sans information sur la procédure, sous les commentaires acerbes des « forces de l’ordre » qui pensent avoir à faire à un « agresseur de policiers » et avec la pression du Ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérard Collomb, qui appelait à ce que les condamnations des manifestants arrêtés soient exemplaires dans la fermeté.
Je sors au bout de 48h, lessivé, sans aucune explication. Des semaines de vives angoisses commençaient. Ce n’est qu’une fois que l’affaire Benalla est révélée par le Monde en juillet 2018, que mon avocate reconnait A. Benalla et V. Crase sur la vidéo que filmait ma camarade au moment de l’arrestation. Ceux qui étaient à l’origine de mon arrestation n’étaient finalement pas policiers. Nous avons immédiatement déposé plainte.
Depuis 2018, les violences policières n’ont fait qu’exploser, et les affaires d’État aussi (McKinsey, Uber Files), pour toi, que signifie politiquement l’affaire Benalla ? A-t-elle été un signe avant-coureur de ce qui a suivi ?
Cette affaire représente, je pense, le pire de la macronie. Elle illustre bien sûr, la volonté manifeste de réprimer les opposants politiques bien sûr, mais également la barbouzerie, le copinage malsain, les passe-droits qui paraissent être monnaie courante.
Un des plus proches collaborateurs du Président de la République française qui passe sa journée à frapper des manifestants, un salarié de la République en marche qui porte une arme sans autorisation lors d’une manifestation, des bandes vidéo de la manifestation effacées, l’Élysée qui assure avoir mis à pied le-dit collaborateur et la presse qui se rend compte du contraire, un Chef de l’état qui, même acculé, défend bec et ongles ces agissements. Mais dans quel régime sommes-nous ?
Elle témoigne de l’arrangement de toute cette caste avec la loi qui, selon eux, ne les concerne pas. C’est une République à deux vitesses qui se dévoile devant nous en juillet 2018, celles des arrangements, ou tout est permis et celle du peuple, méprisé et piétiné. Cette affaire est assurément un tournant du quinquennat, à partir de ce moment-là, E. Macron ne pouvait plus faire fit : ivre de sa toute-puissance, tout le monde comprend qu’il est véritablement dangereux pour les libertés publiques.
Vendredi 29 septembre aura lieu le délibéré en appel, j’imagine toute la fatigue qui doit être la tienne après cinq années de procédures qui traînent : comment appréhendes-tu ce délibéré ?
Oui, cinq années sont passées depuis ce 1er mai 2018. Après notre plainte en juillet 2018, l’instruction a duré 3 ans, avec son lot inévitable de convocations et d’interrogatoires. Un premier procès a eu lieu en septembre 2021 sur la totalité des affaires (1er mai, passeports, selfie, etc.) et où Vincent Crase et Alexandre Benalla ont tous les deux ont été condamnés pour les faits me concernant, mais les deux ont fait appel.
J’attends donc qua la sanction soit confirmée en appel. Il faut que la justice de notre pays triomphe sur la « République des copains ». Sans avoir RIEN fait, j’ai été violenté et privé de liberté pendant 48h. Dans notre pays ces faits ne peuvent être admis. Une décision des juges en faveur des victimes est essentielle pour nous rendre justice et préserver les libertés fondamentales. Après avoir vécu pendant longtemps avec « l’appréhension, vampirique, de s’attaquer à Goliath » comme l’écrivait très bien un journaliste de Libération, je pourrai tourner la page avec le sentiment de la dignité retrouvée.
Propos recueillis par Sylvain Noel, rédacteur en chef.
Crédit photo couverture : PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP