« Gogols 88 » contre « traîtres à la race ». Depuis le 19 juin 2023 se tient à Paris le procès « WaffenKraft ». Un moment historique : c’est la première fois que l’on juge une affaire de terrorisme d’extrême droite devant une cour d’assises en France. Sur les bancs des accusés : quatre jeunes néonazis. Ils ont aujourd’hui 22, 25, 26 et 27 ans. Outre la passion des jeux vidéos, ces quatre jeunes Français partageaient une fascination pour Adolf Hitler et pour Anders Breivik, le terroriste d’extrême droite qui a tué 77 personnes le 22 juillet 2011 à Oslo.
Le projet « WaffenKraft » ? Une tuerie de masse sur le sol français. Les cibles : un meeting de Jean-Luc Mélenchon, le rappeur Médine, des mosquées, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), le conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), des ministères, le Parlement européen, etc. L’objectif ? « Faire au moins 50 morts, faire pire que le Bataclan », selon les mots du leader du groupe, Alexandre Gilet.
L’insoumission.fr est présente à la cinquième journée d’audience ce vendredi 23 juin 2023 et va continuer à couvrir le procès jusqu’au 30 juin. Pour ce troisième épisode, nous allons pénétrer dans les méandres de la nébuleuse de l’extrême droite, guidés par deux témoins appelés à la barre : Lucas Sztandarowski, un royaliste qui déclare mépriser les nazis, mais qui traduit et publie pourtant leurs œuvres ; D.B., semblant avoir été utilisé par la Défense pour montrer que d’autres jeunes ont suivi le même chemin de radicalisation que celui des accusés, sans avoir été à ce jour poursuivis par la justice. Récit.
Le bon facho et le mauvais facho
Ce matin du 23 juin 2023, Lucas Sztandarowski est le premier témoin de la journée du procès WaffenKraft. À l’appel du Président de la Cour, il s’avance vers la barre. L’habit ne fait pas le moine : le port de la redingote n’est pas réservé aux monarchistes. Mais celle-ci constitue tout de même un sérieux indice. Dans le mille. M. Sztandarowski se présente comme royaliste. Pour dépasser les clichés, on repassera. Questionné par le magistrat en robe rouge sur ses liens avec les quatre accusés, il nous plonge dans les débats idéologiques qui agitent l’extrême droite.
Précisons que ce militant est également poursuivi en justice, toutes ses informations et réponses sont donc en partie guidées par l’objectif de se dédouaner, de masquer ses accointances avec les franges les plus dangereuses et violentes de la nébuleuse.
Voici comment Lucas Sztandarowski présente les différences entre royalistes et (néo)nazis. En matière de religion, les premiers sont « catholiques », les seconds « païens ». En terme de stratégie politique, les premiers sont partisans de la « conciliation », les seconds de la « violence ». Sur l’immigration « extra-européenne » (en réalité « non blanche », disons-le), les premiers sont « assimilationnistes », les seconds « racialistes » et prônent la « remigration ». Les royalistes seraient alors des modérés ? Cette affirmation de M. Sztandarowski sera mise en pièce l’après-midi même lorsque D.B., le second témoin cité dans notre article, évoquera son rôle de dirigeant du groupuscule d’extrême droite Vengeance patriote.
Pour aller plus loin : Vengeance Patriote, le groupuscule d’extrême droite qui prépare ses militants au combat
Deuxième thèse : les nazis seraient des « gogols 88 », les royalistes des « mous »
Voilà l’expression donnant le titre à ce récit. Poussé par le Président de la cour à évaluer la dangerosité des accusés, Lucas Sztandarowski répond : « on les traite de gogols 88 ». 88, un signe de ralliement nazi bien connu, renvoyant deux fois à la 8ᵉ lettre de l’alphabet. HH : Heil Hitler.
Pour aller plus loin : Croix, chiffres, crânes ou guêpes : ces symboles utilisés par l’extrême droite en France que vous devez connaître
En réponse, ils « nous trouvent trop mous », « nous traitent de traîtres à la race ». Pour résumer, les néonazis ne seraient pas dangereux, tout juste bons à se faire bannir des serveurs publics Discord pour propos racistes et incitation à la haine selon le 1ᵉʳ témoin. Lucas Sztandarowski explique que lui, « ne les prend pas au sérieux », qu’il faut remettre les propos dans un contexte de réseau de gaming « plein de trolls » où il serait « difficile de faire le tri ».
Faire le tri, c’est justement l’objet de ce procès. Entre l’incitation à la haine (un délit passible d’un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende) et préparation d’attentat terroriste comme c’est le cas dans cette affaire, jugé aux assises, passible de 30 ans de réclusion criminelle. Les groupes nazis ne seraient pas dangereux en raison de leur idiotie ? « Quand beaucoup de gogols 88, comme vous dites, se rassemblent sous l’autorité d’un chef efficace, l’Histoire des années 30 en Europe démontre que cela peut faire beaucoup de dégâts ». Rappel salutaire du Président.
Sztandarowski publie « un peu de tout »… mais surtout des ouvrages fascistes
Du côté de la partie civile, l’avocate de la LICRA interroge enfin le témoin sur les livres qu’il a édités. Tout au long de ses réponses, Sztandarowski n’a jamais assumé ses liens avec les terroristes d’extrême droite. Espérons que son procès l’obligera à dévoiler son véritable visage. La technique utilisée cette fois-ci pour esquiver est la même utilisée par Jean-Marie Le Pen et sa maison de disques qui produisait des 33 tours de chants à la gloire du IIIe Reich : « il n’y a pas de ligne éditoriale, on publie un peu de tout ».
La recherche du pluralisme permet-elle de justifier la diffusion du Manifeste de Brenton Tarrent, qui a assassiné 51 personnes le 14 mars 2019 ? Le procureur fait ensuite remarquer que, sur la page de garde de son site, la maison d’édition propose « Siège », un recueil des thèses de James Mason, surnommé rien de moins que le « Parrain du terrorisme fasciste ». Réponse du royaliste, revendiqué non-violent : « Oui, c’est parce que c’est moi qui en fait la traduction ». Pas de commentaire de la part du parquet.
L’objectif de telles publications et de telles traductions ? La pure recherche de la connaissance, sans aucune arrière-pensée politique, d’après M. Sztandarowski. « Naïvement, je pensais que tout le monde avait le recul nécessaire, j’ai réalisé uniquement quand j’ai vu une personne avec ce livre dans une main et une arme dans l’autre (Aurélien Chapeau, ndlr.) Difficile d’assumer ce genre d’idées.
D.B., une bien étrange ligne de défense
14 heures 30. C’est au tour de D.B., un étudiant de 21 ans à Strasbourg d’être appelé à la barre. Le Président l’interroge sur ses liens avec les quatre accusés. Cela permet de révéler une procédure imaginée par Alexandre Gilet en cas de perquisition et démontrer donc que les « gogols 88 » étaient au moins conscients qu’ils enfreignaient la loi.
Puis, vient l’avocate de la défense. Elle récapitule le passé de D.B. Des conversations « politiques » (une sorte de nom de code dans cette nébuleuse pour des propos racistes, fascistes et séditieux) avec « Siel » (lire notre portrait) sur la plateforme Discord, une demande de participer aux séances de tirs d’Alexandre Gilet, la possession d’une arme, des séances de tirs avec ses amis dans la forêt, dont une personne qui prévoyait de propager la terreur fasciste en empoisonnant l’eau ou des bonbons. En vérité, peu de choses sépare D.B. et ses amis de son client et des autres accusés.
Où veut-elle en venir ? L’hypothèse la plus plausible à ce stade du procès semble être que l’avocate prépare une défense que l’on pourrait résumer ainsi : il y en a d’autres qui ont fait des actes aussi graves, mais qui ne sont pas poursuivis par la justice.
À ce stade du moins, l’enseignement pour tout le camp antifasciste est clair : oui, il existe des centaines, peut-être des milliers de jeunes qui clament en ligne leur haine de la différence, de l’égalité fondamentale du genre humain et de la République. Ils sont alimentés dans leur recherche de sens, dans leur construction idéologique par des militantes chevronnés comme M. Sztandarowski qui, sous leur dehors d’ardent défenseur de la liberté d’expression, ne font que propager l’idéologie fasciste et suprémaciste blanche.
Cette nébuleuse a ses débats, ses polémiques, probablement des oppositions violentes, à n’en point douter. Mais de ses méandres, l’hydre fasciste puise la force de chacune de ses multiples têtes. Différentes, elles n’en restent pas membres d’un même camp, unies par des références historiques et des haines communes.