« Comme Lactalis, l’un des leaders mondiaux des produits laitiers dont le nom n’apparaît sur quasiment aucun produit de ses marques à succès (Président, Bridel, Roquefort, Lactel…), Emmanuel Besnier, quarante-sept ans, est aussi peu connu du grand public que puissant. Un milliardaire invisible ». Ces mots ne sont pas de nous, mais des Échos. Nous les faisons nôtres avec un objectif diamétralement opposé.
Le journal libéral en fait une invitation à comprendre comment on peut si bien mêler le charme de la discrétion à la beauté de 20,4 milliards de fortune personnelle. Nous y voyons un défi pour démasquer un assisté d’en haut. Pour dévoiler la vérité sur cet énorme tas de capital, aussi retors pour voler 220 millions d’euros à l’impôt que rétif à assumer sa responsabilité dans la contamination de 37 nourrissons. Notre article.
Emmanuel Besnier, les 20,4 milliards d’euros les plus invisibles pour la presse, comme pour le fisc
Si vous recherchez « Emmanuel Besnier » sur internet, il y a deux choses que vous ne pourrez pas manquer. 1. Il est riche. Très riche. La 6ème fortune française. 20,4 milliards en 2023. Un immense tas de capital privatisé. 2 / Il est discret. Si discret que vous ne connaissiez peut-être pas son nom. Et pourtant, il est fort probable que vous l’enrichissiez un peu plus à chaque plein de courses au supermarché.
Si vous êtes coutumiers de nos colonnes, vous le savez. Démasquer les milliardaires invisibles, rappeler que ces personnes qui dirigent et profitent de l’économie capitaliste ont des visages, des noms et des adresses. C’est notre marque de fabrique, notre discipline favorite. Alors Emmanuel Besnier, c’est un peu notre derby, cette rencontre que l’on attend avec impatience.
Et ce derby-là tient toutes ses promesses. Car quand on creuse un peu derrière le portrait mirifique dressé par Forbes, Challenges ou Le Figaro, la réalité est plus sombre. Au programme : évasion fiscale, scandale environnemental et sanitaire, entrave à la liberté de la presse et non-respect des lois de transparence économique.
Lactalis, un leader mondial des produits laitiers plus connu pour ses scandales sanitaires que pour sa production économique
Lactalis. Vous ignorez peut-être que ce groupe laitier se cache derrière de nombreuses marques qui font partie de la vie de tous les jours : Président (2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires) connu notamment pour son camembert, Galbani (1,8 milliard) et sa mozzarella, les camemberts Lepetit et Lanquetot, le roquefort Société, Leerdammer ou encore les laits et beurres Bridel et Lactel.
Pour le fisc français, le nom de Lactalis est également un peu trop invisible. On le rappelle, Lactalis est désormais le plus grand groupe laitier du monde et Emmanuel Besnier est assis sur un énorme magot de 20,4 milliards d’euros prélevé sur la survaleur produite par des milliers de travailleurs dans le monde. Mais ce n’est jamais suffisant pour ces assistés d’en haut.
En plus d’être gavés de subventions publiques, ils veulent en plus ne pas payer leur contribution à la société. En matière d’évasion fiscale, Emmanuel Besnier n’est pas au niveau de Jean-François Pinault et ses 2,5 milliards d’euros en 8 ans. Il n’en reste pas moins un concurrent sérieux. Plus de 220 millions d’euros d’impôt sur les sociétés dus par Lactalis auraient échappé au fisc entre 2013 et 2018, selon le média d’investigation Disclose.
Pour aller plus loin : Évasion fiscale : au Luxembourg, Lactalis boit du petit lait
En revanche, le nom de Lactalis est désormais largement associé à « l’empoisonnement de nourrissons à la salmonelle ».
Le groupe agro-industriel est sorti de l’ombre en 2017 à la suite d’un grave scandale sanitaire : Santé publique France a découvert que 37 enfants avaient été atteints de salmonellose en France fin 2017. Les salmonelloses sont des intoxications alimentaires, qui vont de la gastro entérite bénigne à des infections plus graves, notamment pour les jeunes enfants, les personnes âgées ou affaiblies.
Toutes les personnes intoxiquées avaient consommé du lait produit par Lactalis essentiellement de marque Milumel ou Picot, sorti de l’usine de Craon, située en Mayenne « dans les trois jours précédant la date de début de leurs symptômes ».
Le processus de retrait chaotique et de nombreux dysfonctionnements ayant mené à la contamination mis au jour
Après plusieurs semaines de crise, le groupe, réputé pour sa culture du secret, avait retiré mi-janvier 2018 la totalité de ses laits infantiles produits dans l’usine incriminée, dont la production avait dû être suspendue pendant plus de six mois.
L’affaire est si grave qu’Emmanuel Besnier est forcé de sortir de son silence. Pour la première fois de sa vie, il s’exprime publiquement. Heureusement, il trouve une oreille compatissante au Journal du Dimanche. Pratiquement aucune contradiction n’est portée même lorsque le PDG prétend que « Les résultats de nos analyses reçus à ce jour nous permettent de situer le problème probablement au cours du premier semestre 2017. Au premier trimestre, nous avons fait des travaux dans cette usine. »
Le site avait déjà subi une contamination à la salmonelle en 2005. L’Institut Pasteur avait ensuite annoncé être arrivé à la conclusion que la bactérie présente à Craon avait subsisté entre 2005 et 2017.
En 2023, 6 ans après l’intoxication des nouveaux-nés, « La société Celia de Craon et la société Groupe Lactalis ont été mises en examen pour « inexécution de mesures de retrait et rappel », « tromperie aggravée » et « blessures involontaires » et placées sous contrôle judiciaire avec un cautionnement de 300.000 euros chacune.
Emmanuel Besnier et son groupe Lactalis menacent l’avenir des enfants
Les intoxications à la salmonelle ne sont pas les seules dangers que Emmanuel Besnier et sa gigantesque multinationale font peser sur les nouvelles générations.
Les usines de la multinationale ont plusieurs fois été condamnées pour pollution de l’environnement.
Une filiale du groupe Lactalis, la Société Laitière de Rétiers (SLR), a été condamnée par le tribunal correctionnel de Rennes à une amende de 250.000 euros pour la pollution, en août 2017, d’une rivière d’Ille-et-Vilaine qui avait entraîné la mort de milliers de poissons. La SLR devra également verser environ 70.000 euros aux associations de pêche et de protection de l’environnement qui s’étaient portées parties civiles, a précisé Thomas Dubreuil, leur avocat.
Pour aller plus loin : Les pieds sur terre, la pollution de la rivière de la Seiche.
Avril 2019, une autre filiale de la multinationale, la fromagerie L’Etoile du Vercors, a été condamnée par le tribunal correctionnel de Grenoble à 100.000 euros d’amende, dont 50.000 avec sursis, pour le rejet d’eaux usées non traitées dans l’Isère.
Pour finir, l’entreprise laitière dirigée par Emmanuel Besnier refuse farouchement de développer les alternatives au lait de vache. Résultat, ce milliardaire est responsable de 20% des émissions de méthane en France. Pour rappel, le méthane est un gaz à effet de serre au pouvoir réchauffant 80 fois plus important que le CO2 sur une période de vingt ans. Il n’est pas besoin de rappeler ici la crise climatique qui nous menace.
« Lactalis est au-dessus des lois »
Suite à ces révélations sur la toxicité de leurs produits, Elise Lucet et son équipe de Cash investigation mènent l’enquête. Et comme toujours, nous ne pouvons que vous recommander chaudement le visionnage complet de ce précieux travail diffusé le 17 janvier 2018.
Cette enquête permet de révéler combien Emmanuel Besnier, qui aime à se présenter comme un homme trop absorbé par son travail pour consacrer du temps à la communication, est en réalité un délinquant multirécidiviste qui pratique la loi du silence afin de mieux contourner les lois. Le PDG n’a pas l’air de se sentir concerné par l’égalité républicaine de toutes et tous devant la loi.
C’est si net que le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert (juin 2017 – octobre 2018) dans « Cash Investigation » en vient à expliquer clairement que « Lactalis est au-dessus des lois ». C’est déjà bien qu’il en ait conscience. On aurait peut-être préféré qu’il mette un terme à cette impunité.
Depuis 2016, la loi Sapin 2 oblige toutes les entreprises à la transparence. On imagine combien ce mot donne des hauts le cœur à notre cher assisté d’en haut. Aussitôt la loi promulguée, aussitôt Emmanuel Besnier décide de ne pas la respecter.
En 2017, Stéphane Le Foll avait demandé à Lactalis de se mettre en conformité avec les exigences de la loi, pas de réponse. (et pas de contrainte non plus d’ailleurs). Lorsque Elise Lucet rencontre Stéphane Travert, il n’a même pas encore renouvelé la demande. De l’impunité des puissants en macronie.
Lactalis ne donnera finalement une version lisible de ses comptes qu’en 2019, soit trois ans après la promulgation de la loi Sapin 2.
Autre exemple de loi malmené par le milliardaire : la liberté de la presse.
Emmanuel Besnier avait ainsi porté plainte pour atteinte à sa vie privée contre France Télévisions après la diffusion d’un Envoyé Spécial en octobre 2020 sur Lactalis où apparaissait des images de sa propriété lavalloise. Mais sa plainte, tout comme sa demande d’interdire toute rediffusion du reportage, a été rejetée par la justice.
L’occasion de dire quelques mots de cet Envoyé spécial. Le sujet est fondé sur la résistance de trois agriculteurs, qui cherchent à faire front commun contre Lactalis et son système tellement pernicieux que, s’ils produisent plus que prévu, c’est à eux de payer le surplus… que Lactalis va quand même collecter, transformer et vendre !
Le documentaire n’est plus accessible sur le replay de France télévision, si en lisant ces lignes, vous vous souvenez avoir eu la brillante idée de l’enregistrer, ce serait un super cadeau que de le recevoir dans notre boite mail : [email protected]
Puisque la justice a confirmé la primauté du droit d’informer, l’insoumission.fr peut donc rester fidèle à sa devise qui choque tant les chiens de garde du système : les milliardaires ont des noms et des adresses.
Inflation à 25% sur l’alimentaire, M. Besnier « pas concerné » par la nécessité de restreindre ses marges afin que les gens puissent manger
En 2023, le PDG de Lactalis s’est considérablement enrichi. De 14 milliards d’euros en 2022, la fortune passe à 20,4 milliards d’euros. 6 milliards en 12 mois. 300 000 années de SMIC brut. Un super-profit ? Où ça un super-profit ?
Cet immense accroissement de capital n’est nullement dû à son génie. Personne ne vaut 300 000 fois plus que les autres. Gardons en tête cette rime claire et nette de Youssoupha dans le titre Mon Roi.
Vu qu’c’est pas en travaillant dur qu’on devient riche, en vrai
Sinon, toutes les daronnes africaines seraient millionnaires
L’enrichissement d’Emmanuel Besnier est le fruit d’une spéculation financière aussi inutile que potentiellement destructrice. Une spéculation qui mène à une inflation à deux chiffres sur les prix alimentaires presque partout dans le monde. Et pour celles et ceux qui comme Lactalis maîtrise toute la chaîne d’approvisionnement de produits considérés comme essentiels pour subvenir aux besoins vitaux des humains, c’est le jackpot.
Malgré l’inflation, qui a dopé de plus de 10% le prix de ses produits l’an passé, ses ventes en volumes n’ont reculé que de 1,2%. Résultat, un chiffre d’affaires de 28,3 milliards d’euros, en 2022, en hausse de 28,4% sur un an. « Par nature, les produits laitiers sont accessibles, avec deux tiers d’entre eux coûtant moins de 2,5 euros, décrypte Emmanuel Besnier. Les camemberts sont par exemple repartis assez fortement à la hausse ces derniers temps. »
Cette résistance de l’activité donne au groupe le pouvoir de ne pas se précipiter, à l’heure de revoir ses tarifs. Le gouvernement presse les industriels de répercuter la baisse leurs coûts ? Lactalis est inflexible. « Nous ne nous sentons pas concernés », juge le PDG.
Bon cette fois-ci, vu que c’est Bruno Le Maire, il n’y a bien sûr aucune loi. La technique Le Maire, vous la connaissez maintenant : « Bruno demande », on l’appelle. Adresser une supplique, implorer les milliardaires de bien vouloir laisser quelques miettes aux travailleurs pour éviter l’embrasement de la révolte. Vous imaginez combien cela fait trembler un milliardaire qui met 3 ans pour obéir à une loi dûment votée au Parlement.
Son excuse principale, cette fois, c’est qu’il paye plus cher le lait. Certes, Lactalis a augmenté de 25% le prix payé à ses éleveurs. Cependant, il faut rappeler que la multinationale était régulièrement accusée de payer le lait en dessous du prix de revient. Lactalis obligeait donc les éleveurs à vendre à perte ce qui est illégal. Autant dire que ce n’est pas vraiment par bonté d’âme que la multinationale et son PDG délinquant multirécidiviste a accepté d’augmenter son prix d’achat pour le lait.
Être milliardaire est immoral
Super-profits, évasion fiscale et impunité ; dissimulation des menaces sanitaires et environnementales : telle est la recette du magot d’Emmanuel Besnier. On ne le rappellera jamais suffisamment : être milliardaire est immoral.
Pas seulement parce que l’argent isole et abêtit. Mais parce que le système capitaliste récompense toujours celles et ceux qui trichent, fraudent, exercent leur pouvoir pour échapper à la justice. La loi contraint les profits, donc les marges. Plus une entreprise est délinquante, plus elle prend des parts de marché à ses concurrents. Dans le capitalisme, si vous êtes honnête, vous ne pouvez pas jouer dans la cour des grands. Ils vous écraseront.
Pour aller plus loin : Fortunes, héritage et pouvoir : « Succession », cette série magistrale sur le capitalisme de notre époque
Par Ulysse