Succession

Fortunes, héritage et pouvoir : « Succession », cette série magistrale sur le capitalisme de notre époque

La série « Succession » est une fresque fidèle et magistrale du capitalisme contemporain. Elle peint les déchirements d’une fratrie d’héritiers, dont chaque membre souhaite reprendre tout ou partie du conglomérat bâti par le père. Si Succession fait parler d’elle outre-Atlantique, récoltant les louanges des critiques et des spectateurs, elle ne récolte pas le même succès en France.

Les acteurs et la série ont pourtant obtenu un nombre impressionnant de Golden Globes ou d’Emmy Awards (avec 25 nominations en 2022 dont 14 pour les comédiens), mais ce succès n’a pas dépassé les frontières en termes d’audiences. C’est bien dommage. Il vous reste quelques jours avant la sortie de l’ultime saison de la série, pour regarder les trois premières. Dans cet article, vous trouverez quatre bonnes raisons (bien entendu, cette liste n’est pas exhaustive) de regarder cette série magistrale.

L’insoumission lance sa rubrique culture : entretien avec Édouard Louis « ramener le réel en politique », série de portraits de femmes révolutionnaires, Rosa Luxemburg et Louise Michel, mais aussi critique de livres, de films, de séries, de documentaires, de pièces de théâtre, d’exposition, de BD… Rejoignez la bataille culturelle, écrivez nous à [email protected] et proposez nous une œuvre culturelle que vous souhaiteriez mettre en avant grâce à l’insoumission.fr !

Un générique à faire pâlir tous les autres

Commençons par ce qui ouvre chaque épisode de la série Succession, à savoir son générique. Celui-ci mêle des images d’enfants, la fratrie Roy avec des plans larges de Wall Street, entremêlant ainsi l’histoire d’une famille et des affaires. Ce générique captivant, repris comme générique d’émissions comme Affaires culturelles sur France Culture et également remixé (notamment par Pusha T) reste en tête et le thème de Nicholas Britell (également à l’origine du thème de Don’t Look Up) témoigne d’une réalisation fine, à l’instar des images, des dialogues. Le mieux reste encore de le regarder et de l’écouter :

À cet égard, le journaliste Max Dozolme note dans une émission pour France Musique que le thème est un mélange de hip-hop et de quatre accords mélancoliques, qu’on retrouve en 1785 à la fin de la fantaisie en do mineur K.475 de Wolfgang Amadeus Mozart puis par Ständchen de Schubert en 1826, et finalement repris par Liszt pour piano seul. Le journaliste note que Britell trouve régulièrement son inspiration dans des musiques anciennes. Cette démarche inscrit l’histoire contemporaine dans une filiation et le générique n’est pas exempt de cela.

Si vous n’avez pas envie de regarder la série après avoir écouté et vu le générique de la série, régulièrement loué pour sa qualité, vous trouverez ci-dessous quelques arguments pour vous éprendre de cette histoire aux allures du destin des Atrides, avec pour toile de fond une fresque du capitalisme contemporain.

La dynastie, le pouvoir et l’héritage

Une fois la mise en bouche passée avec le générique, venons-en à l’intrigue. Succession, c’est l’histoire d’une famille et d’héritage : le patriarche (magistralement interprété par Brian Cox dont vous avez pu faire la connaissance dans Le Sixième sens de Michael Mann en 1986) est vieillissant, ses quatre enfants qui sont également ses héritiers, ont envie de prendre sa suite à la tête de la Waystar RoyCo.

À partir de là, ceux-ci vont multiplier les alliances, changements d’alliances, des coups-bas, tentatives de rachats, stratégies pour obtenir de gré ou de force la préférence de leur père. Kendall, Roman, Siobhan (souvent appelée Shiv), Connor (même si le fils aîné est davantage intéressé par la politique) ont chacun des projets pour le conglomérat bâti par leur père, Logan Roy.

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Capture d’écran issue de la vidéo The Beauty Of Succession

Au fil des saisons, les personnages s’allient avant de faire évoluer leurs alliances. Ils ne sont pas seuls dans cette aventure : le cousin Greg, que l’on rencontre déguisé et salarié d’un des parcs d’attraction fait très rapidement irruption dans les affaires familiales, à l’instar de Tom Wambsgans (incarné par Matthew Macfadyen), l’époux de Shiv, ou encore Marcia (jouée par Hiam Abbass), la nouvelle femme de Logan, pour ne citer qu’eux. Le souffle de la série est celui de ces alliances, faites de rencontres d’ambitions.

Succession ou l’histoire du capitalisme contemporain

Succession, c’est l’histoire du capitalisme contemporain : si Logan Roy a fait fortune en bâtissant un empire composé de médias, de parcs d’attractions et de croisières (toute ressemblance avec les scandales de MSC Croisières est fortuite…), ce portefeuille impressionnant est-il encore utile à l’heure des réseaux sociaux, de la presse en ligne ? Cette série devait initialement être une somme de longs métrages sur le magnat Rupert Murdoch mais le showrunner Jesse Armstrong s’est finalement orienté vers un panorama plus large de Wall Street.

La série se déroule dans les murs du siège de la Waystar RoyCo, au cœur des grandes avenues de la deuxième ville étasunienne et s’étend au monde au fil des saisons : les personnages sont régulièrement héliportés de New-York à d’autres villes se situant parfois en Europe, pour passer des week-ends où les liens familiaux, amicaux ne sont jamais très éloignés des affaires.

À cela s’ajoute le fait que les choix effectués par les personnages sont souvent liés à des décisions stratégiques : ouvrir le portefeuille de Waystar RoyCo à des médias en ligne, que faire des chaînes de télévision (notamment les chaînes de télévisions locales), s’ouvrir ou non et à quel point à des actionnaires alors que le contrôle de l’entreprise est avant tout familial ou en lien avec de vieux compagnons de route en qui Logan Roy à toute confiance.

Se pose aussi la question des liens avec les acteurs politiques et la porosité liée à une certaine homologie de position entre les acteurs politiques et privés, particulièrement quand Shiv travaille pour le candidat à la présidentielle Gil Eavis (dont les discours ne sont pas sans rappeler les prises de position de Bernie Sanders).

La série fait référence à trois grandes familles étasuniennes : les Murdoch (la famille est entre autres à la tête de Fox News, 20th Century Fox, New York Post, The Sun) en premier lieu, les Redstone (Sumner Redstone notamment, placé sous tutelle bien qu’encore à la tête de son empire) et les Sulzberger également.

La série est par ailleurs parsemée de références à des événements qui se sont réellement déroulées, par exemple la fuite de Logan Roy partant en jet à Sarajevo (épisode 2, saison 3), comme un clin d’œil à la fuite rocambolesque de Carlos Ghosn du Japon, à Beyrouth, au Liban le 29 décembre 2019. Ce dernier avait en effet été libéré par la justice japonaise le 25 avril 2019, sous caution. Cette caution a bien entendu été perdue (pour 1,5 milliard de yens soit plus de 12 millions d’euros) lors de son évasion. Il était monté dedans de manière clandestine de nuit dans un avion en provenance de Turquie pour partir au Liban, où il a retrouvé son épouse.

La série a cela d’intéressant qu’elle souligne certaines grandes tendances du système économique. Saadé (CMA-CGM, auditionné notamment par Manuel Bompard en octobre 2022 concernant les super-profits), Bolloré, Arnaud, Pinault ou encore Lagardère : voici autant de noms auxquels le spectateur pensera lorsqu’il verra la série. Arnaud Lagardère, le fils unique de l’ancien président de Matra et Hachette a par exemple enchaîné les remises en cause concernant ses compétences de gestionnaire. Endetté et affaibli, il est attaqué par Bolloré, ou encore par fond Amber. L’empire bâti par son père se retrouve ainsi progressivement démembré, sur fond de compétitions avec d’autres grands acteurs et d’OPA.

Un plaisir visuel et auditif

Enfin, l’image et la musique font que chaque épisode est un plaisir à regarder. Les acteurs pour certains issus du théâtre, excellent dans le jeu de leurs personnages : Kendall, en proie avec ses démons, Shiv qui tente de s’imposer dans un univers très masculin, ou encore Connor, le frère loin des affaires, et bien sûr Logan Roy dont la seule présence à l’écran écrase les autres personnages, à l’image de la place qu’il occupe dans sa famille et l’empire qu’il a bâti.

Un nombre important de plans viennent imiter et épouser les mouvements de la série (disgrâce d’un personnage, ascension d’un autre, etc.). Les prises de vue viennent souvent souligner l’extrême solitude des personnages, en proie à leurs choix : si les dialogues sont peu propices aux épanchements individuels, c’est l’image qui leur donne toute leur complexité.

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Capture d’écran issue de la vidéo The Beauty Of Succession

En guise de conclusion d’article, quoi de mieux que la bande-annonce de cette quatrième saison :

La dernière saison sera diffusée à partir du 28 mars 2023 sur OCS ! Si elle n’est pas forcément à recommander pour tous les publics, elle est à regarder sans modération.

Par Marion Beauvalet