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« Je suis cassé de partout » – À Château-Thierry, la colère contre la retraite à 64 ans

Retraite. « Je suis cassé de partout », « Je ne me vois pas monter dans les arbres jusqu’à 64 ans », « J’ai 69 ans, je suis diabétique et moitié aveugle. Si je pouvais bloquer, j’irai, mais je ne peux pas. J’ai trié des patates, fait des ménages, travaillé avec des enfants handicapés. Je gagne 800 euros par mois et je paye 200 euros de loyer. Ça fait deux mois que je n’ai pas mangé un morceau de viande. Quand je paye le loyer, l’eau, le gaz, l’électricité, la mutuelle… Je peux pas me le permettre ! »

À Château-Thierry, la colère est omniprésente. Le 1er mars 2023, l’insoumission.fr se rend dans cette ville de l’Aisne pour suivre la 10ème et dernière étape de la caravane populaire de La France insoumise (LFI). Celle-ci reprenait la route du 20 février au 1er mars. À travers des étapes dans 10 villes de 4 régions différentes, des militants insoumis sont allés à la rencontre d’habitants de quartiers populaires.

Avec trois objectifs : informer les citoyens sur l’injuste réforme des retraites du gouvernement, déconstruire et répondre aux mensonges du camp présidentiel, et appeler tout un chacun à rejoindre les prochaines mobilisations. Après l’installation d’un stand convivial à Château-Thierry, les caravaniers partent faire du porte-à-porte, épaulés par les militants locaux. Bilan ? Personne n’est favorable à la retraite à 64 ans. Plus largement, les personnes rencontrées témoignent de leurs difficultés du quotidien. Des vies brisées par la misère, dans la 7ème puissance économique du monde.

À la fin de la journée, l’insoumission.fr demande aux trois caravaniers, Arthur, Jeroen et Gautier, de raconter ces 10 jours de militantisme, sillonnant les routes de l’Est du pays. De la rencontre avec des électeurs proies de l’arnaque sociale du Rassemblement national (RN), à des récits de survie quotidienne, les témoignages rapportés sont poignants. Ils témoignent de la profonde crise sociale qui continue à fracasser notre pays. « Les premiers violents, c’est vous », disait l’Abbé Pierre en s’adressant aux puissants. Ses mots n’ont pas pris une ride. Récit.

Arrivée à Château-Thierry, 10ème et dernière étape de la caravane populaire insoumise

15h30. L’insoumission arrive à bon port ce 1er mars 2023. Omar vient nous chercher à la gare de Château-Thierry. Ancien candidat LFI aux élections législatives de 2017, il vit ici depuis les années 80. Il milite à LFI depuis sa création, en colère contre la trahison du parti socialiste de François Hollande. Le contexte de cette 5ème circonscription de l’Aisne ? Omar nous le résume : « Un député RN qu’on ne voit jamais, élu face un candidat LFI-NUPES et un maire macroniste ».

Nous arrivons au point de rendez-vous, où la caravane populaire doit installer son barnum. En les attendant, c’est l’occasion de rencontrer les militantes et les militants de Château-Thierry, déterminés contre la retraite à 64 ans.

16 heures pétantes : la caravane populaire arrive en musique. En sort trois militants insoumis : Arhur, enseignant-chercheur en droit public à Clermont-Ferrand ; Jeroen, habitant de La Courneuve et étudiant en 1ère année de droit à Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Gautier, Rennais, étudiant en droit à Rennes-I. Arrive juste après le député LFI-NUPES Jérôme Legavre, venu prêter main forte.

Aidés par les militants locaux, les trois caravaniers montent le stand convivial. Ils y installent leur banderole, leurs drapeaux et de quoi se restaurer. Puis Jeroen, Arthur et Gautier prennent un micro et résume la situation politique du moment : le pouvoir macroniste veut faire travailler les Français deux ans de plus, contre l’avis de 80% d’entre eux, 93% des actifs et une intersyndicale unie. Face à cette déclaration de guerre sociale, l’objectif de la caravane est d’informer les citoyennes et citoyens, les appeler à se mobiliser. L’intersyndicale appelle alors à bloquer la France le 7 mars. Aux 4 coins du pays, 3,5 millions de personnes vont descendre dans la rue. La plus forte mobilisation du XXIe siècle, selon le ministère de l’intérieur.

« Les gens nous raconte qu’ils ont le dos cassé, combien ils sont mal en point, et qu’ils ne se voient pas travailler jusqu’à 64 ans… » : en porte-porte, la colère contre la réforme des retraites et la misère

C’est l’heure de l’action militante. Toujours avec l’aide précieuse des militantes et militants locaux, les caravaniers partent en porte-à-porte dans un quartier populaire de Château-Thierry. Nous les suivons pour recueillir des témoignages. « Je travaille au service des élagueurs à la mairie. Je ne me vois pas monter dans les arbres jusqu’à 64 ans », nous explique une première habitante, croisée en montant les escaliers de l’immeuble.

« Si ca continue comme ça on n’aura plus de retraite. On aura la retraite dans la tombe ! »

Travailler deux ans de plus ? Impensable pour les personnes rencontrées. Ici, un agent d’entretien travaillant depuis ses 17 ans rêverait d’arrêter de travailler à 60 ans : « Je suis cassé de partout », nous dit-il. Là, une dame âgée inquiète pour l’avenir de ses enfants et de ses petits-enfants : « J’ai une toute petite retraite. C’est aberrant ce qui se passe. On travaille tout une vie depuis 18 ans, et on est payé pas grand-chose ! ». Ou encore ce saisonnier travaillant dans les vignes depuis petit : « Le dos, il est cassé. Je travaille pour Moët et Chandon. Mon patron, c’est Bernard Arnaud ! »

« Travailler jusqu’à 64 ans ? On n’est pas des vaches à lait ! », un homme rencontré dans le hall d’un immeuble

Puis, viens ce témoignage qui nous serre le cœur, sûrement le plus marquant de tout ce porte-à-porte. « Quand on est déjà malade, on n’ira pas jusqu’au bout », nous confie cette dame. « J’ai 69 ans, je suis diabétique et moitié aveugle. Si je pouvais bloquer, j’irai, mais je ne peux pas. J’ai trié des patates, fait des ménages, travaillé avec des enfants handicapés. Je gagne 800 euros par mois et je paye 200 euros de loyer. À la fin du mois… Et ils ne font qu’augmenter les loyers. Ça fait deux mois que je n’ai pas mangé un morceau de viande. Quand je paye le loyer, l’eau, le gaz, l’électricité, la mutuelle… Je peux pas me le permettre ! ».

Il n’y a pas de mots pour décrire la violence sociale que vit cette personne, comme toutes les autres que le camp présidentiel veut faire travailler deux anns de plus pour financer des cadeaux aux assisés d’en haut.

« Il vit avec 800 euros par mois ; il n’avait pas mangé depuis 2 jours ; il a beaucoup pensé au suicide » : ces témoignages poignants rapportés par les caravaniers

À la fin du porte-à-porte, nous demandons aux caravaniers de nous raconter leur souvenir/témoignage le plus marquant de ces 10 jours de militantisme sillonant les routes. De la rencontre avec des électeurs victimes de l’arnaque sociale du Rassemblement national (RN), à des récits de survie quotidienne, les témoignages rapportés sont forts. Ils témoignent de la crise sociale qui fracasse le pays.

D’abord, Arthur nous raconte la rencontre avec un homme de 90 ans, ayant pris sa retraite à 62 ans. Parce qu’il s’était parfois blessé, cet homme a eu plusieurs arrêts de travail. Ses annuités sont donc incomplètes. « Aujourd’hui, il vit avec 800 euros par mois, au 5ème étage d’un immeuble sans ascenseur », nous raconte Arthur : « Il ne peut même plus sortir, ne voit personne, il y a juste une aide à domicile qui vient une fois ou deux par semaine, mais sinon il est parfaitement isolé avec une retraite de misère ! ».

« Les gens, s’ils se mobilisent, c’est parce que c’est une question de survie : soit ils se mobilisent, soit ils meurent. On se bat vraiment pour la survie de certaines personnes ! », Jeroen

Jeroen, lui, a été marqué par la rencontre avec un lieutenant chef qui a servi 10 ans dans la légion étrangère. Ce dernier l’a quittée parce qu’il avait des enfants et qu’il ne voulait pas mourir. Jusqu’à aujourd’hui, il n’a fait que des petits boulots. « Quand je l’ai rencontré, cela faisait littéralement deux jours qu’il n’avait pas mangé. Il a honte de demander de l’aide à ses enfants. Je lui ai proposé de nous rejoindre pour le moment convivial que l’on organisait à la fin du porte-à-porte. Il est venu, il a discuté avec beaucoup de gens, c’était un très beau moment », raconte le caravanier insoumis.

Enfin, c’est au tour de Gautier de nous rapporter le témoignage qui l’a le plus marqué. C’était à Clamecy, dans le Morvan. Il a rencontré une vielle dame, marchant sur la route, incapable de monter sur le trottoir. « Elle a travaillé toute sa vie en tant que caissière au Auchan d’à côté », nous raconte-t-il.

« Elle était tout le temps assise sur un tabouret qui lui a cassé le dos. Maintenant, elle ne peut plus passer de marches, elle ne peut plus marcher, elle est cassée. Elle m’a dit qu’elle avait tout fait pour toucher ses 42 annuités, de manière à gagner une retraite qui lui permettrait de survivre. Sauf qu’elle se retrouve avec une retraite de 930 euros qui ne lui permet pas, mais alors pas du tout de vivre. Elle a beaucoup pensé au suicide ! ».

« Plusieurs grands mères que j’ai croisées me disaient qu’elles voulaient se suicider parce qu’elles ne pouvaient plus vivre avec leur retraite et qu’elles étaient trop abimées pour pouvoir juste tenter de survivre », conclue Gautier. La pauvreté tue. Comment accepter que des gens vivent avec 930 euros par mois après avoir travaillé toute leur vie, dans la 7ème puissance économique ? Ces témoignages donnent la rage. « Les premiers violents, c’est vous », disait l’Abbé, en s’adressant aux puissants. Ses propos n’ont pas pris une ride aujourd’hui.

Comment tolérer qu’en France, on compte 8 millions de Français ayant besoin de l’aide alimentaire pour manger, 3 millions d’enfants pauvres, 300 000 sans abris, 14 000 morts du chômage, 2 000 morts de la rue, 1 200 morts au travail… Quand, « en même temps », 5 milliardaires possèdent autant que 27 millions de Français ? Quand, « en même temps », la fortune des 500 plus riches familles du pays soit passée de 570 milliards à 1 000 milliards en 5 ans ?

L’écrivain Nicolas Mathieu l’a ainsi dénoncé : « Savez vous qu’ils vont mourir un peu plus, et qu’ailleurs, l’argent coule à ne plus savoir qu’en faire ? Avez-vous pensé à ce monde sur lequel vous régnez et qui n’en pouvait déjà plus d’être continuellement rationné, réduit dans ses joies, contenu dans ses possibilités, contraint dans son temps, privé de sa force et brimé dans ses espérances ? »

« Certains ont été très déçus de voir que Marine Le Pen et le RN ne défendent pas du tout leurs intérêts »

Durant ces 10 jours de caravane, les militants insoumis rencontré des électeurs ayant voté Marine Le Pen à la présidentielle « par ras-le-bol de Macron ». Et « certains ont été déçus de la voir, elle et son parti, ne pas du tout défendre leurs intérêts, ne pas du tout se battre contre cette réforme des retraites mais simplement faire de la récupération politique et de se présenter soi-disant comme défenseurs des intérêts du peuple », assène Arthur.

Pour aller plus loin : « J’ai rencontré une maman seule qui rationne tout » – Récits des caravanes populaires qui ont sillonné le pays cet été

Un témoignage qui rappelle celui rapporté par Leïla Ivorra, militante insoumise et caravanière l’été dernier : « Quand les électeurs RN ont appris que Marine Le Pen avait voté contre l’augmentation du SMIC, ils étaient furieux. L’intégralité des gens présents autour du terrain de pétanque ne nous croient pas. On a été obligé de sortir nos téléphones, d’aller chercher les votes à l’Assemblée nationale, et de leur montrer les votes du RN et de Marine Le Pen. Et là, il se passe un truc : « mais nous on a voté pour eux pour le pouvoir d’achat, on n’a pas de quoi payer 4 jours à la mer à nos enfants et eux, ils nous font ça ? ».

Pour aller plus loin : Retraites : sur France Inter, Marine Le Pen ou l’arnaque sociale

Le RN, une arnaque sociale. Cela fait des mois et des mois que nous vous en parlons sur l’insoumission.fr. Sur tous les toits, Marine Le Pen a crié qu’elle était la candidate du peuple. Sauf que, elle a voté contre la hausse du SMIC, le blocage des prix et le gel des loyers à l’Assemblée nationale, elle défend les réquisitions contre les grévistes opposés à la retraite à 64 ans et préfère faire travailler les Français jusqu’à 67 ans plutôt que de taxer une infime partie de la fortune des 42 milliardaires. Démasquer l’arnaque sociale que constitue le RN est une urgence absolue. Avant qu’il ne soit trop tard.

Le pouvoir est seul, nous sommes les plus nombreux

Les caravaniers rangent leur barnum, aidés par les militants locaux. Chacun discute les uns avec les autres. On s’échange des témoignages marquants, on fait un bilan de ce porte-à-porte, on note plusieurs contacts, on discute de l’organisation de la manifestation du 7 mars. Le sérieux du militantisme fait place petit à petit à la chaleur de la camaraderie. Il va bientôt être le temps pour nous de repartir.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, des blocages et des rassemblements spontanés continuent d’avoir lieu aux 4 coins du pays pour dire non à la retraite à 64 ans. Dans tout le pays, la colère ne désemplit pas contre une réforme que le pouvoir macroniste veut passer en force, au mépris de la plus forte mobilisation depuis mai 68, d’une intersyndicale unie, de 93% des actifs et de 80% des Français opposés à cette réforme. L’intersyndicale appelle à une prochaine journée d’action jeudi 6 avril 2023.

Les forces de l’ordre sont épuisées. La société se radicalise face à l’extrême-radicalisation d’un pouvoir qui se claquemure à l’Élysée. 67% des Français sont pour le blocage du pays. Même la moitié des sympathisants LR sont pour le durcissement du mouvement. C’est dire où nous en sommes. Le pouvoir est seul, nous sommes les plus nombreux. Il ne mesure pas la rage qu’il a libérée. Comme l’a écrit avec brio l’écrivain Nicolas Mathieu, s’adressant directement au camp présidentiel : « ce monde-là est une nappe d’essence et vous n’êtes que des enfants avec une boîte d’allumettes ».

Par Nadim Février