Caravanes populaire

« J’ai rencontré une maman seule qui rationne tout » – Récits des caravanes populaires qui ont sillonné le pays cet été

Cet été, pendant que certains avaient la chance de partir en vacances, les insoumis ont sillonné le pays. Les caravanes populaires sont allées à la rencontre des Français·es. Quartiers populaires, zones rurales, partout les témoignages sont les mêmes : la France est en état d’urgence sociale. L’Insoumission a rencontré Leïla Ivorra et Clarence Mac Dougall, respectivement 27 et 24 ans. Ces deux insoumis ont tous deux participé aux 20 étapes sur les deux caravanes populaires du jeudi 11 au samedi 20 août (retrouvez la carte du trajet des caravanes ici). Un récit concret pour mesurer le pouls du pays. Entretien croisé.

Leïla et Clarence, pouvez-vous nous expliquer brièvement le concept des caravanes populaires ?

Clarence : Les caravanes populaires ont été créées par Mathilde Panot en 2016. Les campagnes sont parfois différentes, mais le format reste le même : une ou plusieurs caravanes partent pendant plusieurs jours pour aller au plus proche des gens, dans les quartiers et discuter avec eux, être à leur écoute notamment en porte-à-porte. On se rend la plupart du temps dans des endroits où l’abstention est forte, là où les pouvoirs publics ont abandonné nos concitoyens. L’enjeu est d’être en campagne permanente et que nous, militants insoumis, soyons toujours au plus proche du peuple sans jamais quitter le terrain.

Cet été, nous avons choisi de faire campagne sur le pouvoir d’achat. Nous avons aussi annoncé notre grande marche contre la vie chère qui aura lieu courant octobre. 

Leïla : Chaque jour, nous faisons une nouvelle ville, on arrive sur place à 16h, toujours accueillis par les militants locaux. On monte un stand afin de créer un espace convivial de discussions. Très vite, nous partons en porte-à-porte avec les militants. Le porte-à-porte est le meilleur moyen de toucher un maximum de personnes. Les études le montrent : en tractage c’est une personne sur cent qui sera réceptive à la discussion, alors qu’en porte-à-porte, c’est une personne sur dix !

Le thème choisi pour ces caravanes était donc le pouvoir d’achat, mais nous sommes avant tout à l’écoute des gens et de leurs préoccupations.

Vers 19h, on se retrouve avec les militants et quelques habitants au point fixe afin de partager un apéritif citoyen. Quand un député est là, il prend la parole pour rendre compte de son travail parlementaire et prolonge les discussions qui ont eu lieu en porte-à-porte

Pouvez-vous nous livrer votre ressenti global après ces caravanes à travers le pays ?

Leïla Ivorra : Lors de ces caravanes, les gens se demandaient pourquoi on était là, alors qu’il n’y avait pas d’échéance électorale derrière. Quand on arrive comme ça en plein été dans les quartiers populaires, il ne reste que celles et ceux qui n’ont pas pu partir en vacances. Lors de ces caravanes, on a pu beaucoup discuter des préoccupations sociales des habitants, de leur situation aussi. On a un peu tout fait ! Ça nous a aussi conduits à aider des habitants très isolés dont le siphon était bouché ou dont la lampe avait grillée… Autant de manières de rencontrer des gens, d’engager la conversation et de se montrer utile.

« Les gens se demandaient pourquoi on était là, alors qu’il n’y avait pas d’échéance électorale derrière »

On a rencontré beaucoup de mères seules avec des enfants en bas âge, ainsi que beaucoup de personnes âgées avec de trop petites retraites pour pouvoir partir en vacances. On a eu de très bons retours avec la plupart des gens qui nous ont félicités et encouragés dans notre action. Quand on vient discuter en dehors des périodes électorales sur une thématique comme celle du pouvoir d’achat, de la lutte contre la vie chère, forcément ça parle ! Les quartiers où on est allés sont fortement marqués par l’abstention et la pauvreté. On essaie de recréer de la confiance dans la politique.

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Leïla Ivorra (au centre), lors des caravanes populaires de l’été 2022

Clarence Mac Dougall : Oui effectivement. Parfois les gens se demandaient pourquoi on était là, alors qu’il n’y avait pas d’échéance électorale à venir. Après leur avoir expliqué que nous serons toujours sur le terrain pour les écouter, ils étaient davantage contents de nous voir. Partout en France, les militants insoumis s’étaient engagés à revenir après la présidentielle et les législatives et nous avons tenu notre promesse !

Très souvent, les gens nous parlaient d’eux-mêmes du pouvoir d’achat comme tout le monde est touché par la hausse des prix. Les propositions de la NUPES comme le SMIC à 1500 euros net, le gel des loyers et le blocage des prix faisaient immédiatement écho.

Pouvez-vous nous raconter ces témoignages qui vous ont marqué ?

Leïla Ivorra : Avant de raconter, je tiens à dire qu’on a parfois rencontré des gens dont les témoignages étaient très durs à encaisser psychologiquement. Et je tiens à ajouter, car on ne l’a pas dit tout à l’heure, qu’on a fait beaucoup d’étapes avec des députés insoumis où on expliquait comment le député pouvait être un relai pour aider.

« Quand on voit l’état de la France dans certains quartiers, on se dit que l’urgence est partout »

Clarence MacDougall : Certains témoignages sont parfois pénibles à entendre. Je me rappelle d’un retraité lors de l’étape de Tarascon-sur-Ariège (commune rurale de 6 000 habitants, en Ariège, NDLR) qui vient discuter avec nous sur notre stand après le porte-à-porte. Il sort une feuille A4 et commence à écrire le montant de sa retraite : 1 360 euros. Puis, il écrit tous ces prélèvements : loyer, assurance pour sa voiture, gaz, électricité, eau… À la fin, il ne lui reste que 60 euros pour vivre. Il y a beaucoup de colère. Je me rappelle qu’il nous a dit : « si ça continue comme ça, à la fin, ça va être une révolution, nous n’aurons pas d’autre choix ».

Je me rappelle que la même personne avait ajouté qu’elle avait de la chance, malgré ses 67 ans, car elle pouvait toujours travailler au black tandis que d’autres « étaient plus dans la merde que lui », car arrivés à la retraite, ils sont épuisés et touchent une véritable retraite de misère. Vous voyez le problème ! Nous, on veut des retraites pour toutes et tous, à 60 ans, à taux plein et revalorisées. Ça suffit que des gens se crèvent à la tâche pour des salaires de misère jusqu’à leurs vieux jours. Il y a un droit au repos !

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Clarence MacDougall (à droite), Camille Noury (au centre) et Simon Veissiere (à gauche), lors des caravanes populaires de l’été 2022

Un deuxième témoignage marquant que je pourrais raconter, c’était celui de Thierry. On était à Nantes. Lorsqu’il a ouvert la porte, on a tout de suite vu qu’il était usé et qu’il se sentait complètement perdu. Au fil de la discussion, il nous a dit être au RSA et à la recherche d’un emploi. Seulement, la dernière offre que Pôle Emploi lui avait proposée, c’était un poste en boucherie… alors qu’il a une formation d’informaticien ! Il l’a donc refusée. Il demande juste à travailler afin de pouvoir vivre et cotiser pour sa retraite. Son logement était particulièrement insalubre, avec des fuites entraînant une forte humidité, mais il ne pouvait pas se payer mieux. Thierry a voté pour Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle et pour la NUPES aux législatives. Pour lui, notre programme représentait un véritable horizon d’espoir. Quand on s’est quitté, il m’a dit que tout aurait tant changé si on avait gagné. 

En caravanes, on rencontre énormément de monde. Pour nous militants, même si nous sommes déjà convaincus, c’est toujours bon de se rappeler pour qui et pourquoi nous faisons cela. Si on ajoute l’enchaînement des étapes aux histoires des habitants, à la fin, quand ça se termine, on est très fatigué, mais cette fatigue est très passagère et à peine rentrés, on se souvient des gens rencontrés. On redevient surmotivés pour retourner sur le terrain et pour militer parce qu’il y a urgence à changer les choses maintenant ! 

Leïla Ivorra : ce qui m’a particulièrement touchée, c’est les inscriptions à l’ASPA (l’Allocation de solidarité aux personnes âgées, NDLR). Ça concerne les retraités gagnant moins de 916 euros quand ils sont seuls, 1 400 euros quand tu es un couple de retraités. C’est une aide de 200 euros !

« J’ai rencontré une maman seule qui rationne tout, sauf le lait en poudre pour son bébé. Dès qu’elle touche sa paye, elle a 400 euros de découvert »

À Saint-Étienne, j’ai rencontré une maman seule qui rationne tout, sauf le lait en poudre pour son bébé. Dès qu’elle touche sa paye, elle a 400 euros de découvert. Elle m’a dit qu’elle avait voté Macron en 2017 et qu’elle regrettait vu comment il méprise les gens et casse la France. Si tu enlèves le lait, elle rationne tout. Elle utilise une sorte de balance pour ne pas dépasser les 100 grammes par jour de nourriture pour elle. C’est affreux.

Voilà le quotidien d’une mère seule qui est aide à la personne et qui travaille tous les jours. Elle accumule des retards de loyer. Elle m’a dit : « la seule raison de ne pas m’être mis une balle, c’est mes enfants ». C’est terrible. Et tu veux savoir en plus pourquoi elle est seule ? Car elle a fait une procédure contre son ex-mari pour violences conjugales. Elle a obtenu une mesure d’éloignement. Il devrait verser une pension pour les enfants, mais il ne la verse pas. Elle a mis 2 ans pour trouver une crèche. Avec l’augmentation de l’essence, elle perd 50 à 100 euros chaque trimestre. Pendant 1 an et demi, elle est partie au travail avec son bébé, elle ne pouvait pas le faire garder.

Mon deuxième témoignage se déroule dans le quartier de la Canardière à Strasbourg. J’étais avec le député Emmanuel Fernandes (député insoumis de la 2ème circonscription du Bas-Rhin, NDLR) et on croise une personne seule avec un chariot. On lui parle, elle ne s’arrête pas. On continue et elle finit par s’arrêter. Elle laisse tomber son chariot. Elle nous dit « je suis fatiguée, je suis fatiguée ». Puis, elle ouvre sa veste, et elle nous montre : elle a pleins d’électrodes collées. Elle nous raconte. Elle est sortie de l’hôpital, elle est toute seule.

Elle se sent isolée en plein été, pas d’argent, rien du tout, complètement déboussolée. Au point de ne pas retrouver son appartement. On finit par trouver sa carte d’identité, on la raccompagne. Elle nous raconte. Le COVID, horrible. Plus aucun repère, elle avait l’impression d’avoir perdu la tête. 86 ans, enfermée des mois durant, toute seule. Personne ne vient la voir. Quand les pompiers sont venus la chercher, ça a été une délivrance. Elle aurait presque préféré rester à l’hôpital avec des gens.

Cette personne a besoin de ce lien social qu’on a essayé d’apporter avec ces caravanes. On a vidé son siphon, changé sa lampe, fait sa vaisselle. Ces caravanes ont vraiment été très différentes des précédentes, celles de la présidentielle et des législatives. Sans échéance électorale, les gens ont eu plus de facilité à demander de l’aide immédiate, c’est physique, c’est tout de suite.

Clarence MacDougall : Et on a constaté les mêmes problématiques, les mêmes urgences, dans les quartiers populaires et dans les zones rurales, que ce soit à Tarascon-sur-Ariège, une ville très rurale de 6 000 habitants, ou à Villefranche-de-Rouergue, une ville de 10 000 habitants dans l’Aveyron, ou dans les quartiers populaires de Bordeaux ou de Toulouse.

« Avec les caravanes populaires, on a constaté les mêmes urgences dans les quartiers populaires et dans les zones rurales »

Et beaucoup de nouveaux députés sont venus avec nous sur les différentes étapes de ces caravanes, sans oublier la quinzaine à la trentaine de camarades, tous les militants et sympathisants locaux sur chaque étape, sans qui, rien n’aurait été possible. Eux aussi sortent de 22 mois de campagnes ! 

Pouvez-vous nous raconter votre plus beau souvenir, votre souvenir le plus fort de ces caravanes ?

Leïla Ivorra : À Metz, dans le quartier du Sablon, sur un terrain de pétanques, on a rencontré des gens qui ont voté pour le Rassemblement national. 40, 50, 60 ans, des chauffeurs routiers, des retraités, des ouvriers en usine, un ancien employé de La Poste qui a perdu son emploi quand elle a fermé. On est sur un ancien bastion ouvrier. On lance la discussion.

Quand les électeurs RN ont appris que Marine Le Pen avait voté contre l’augmentation du SMIC, ils étaient furieux. L’intégralité des gens présents autour du terrain de pétanque ne nous croient pas. On a été obligé de sortir nos téléphones, d’aller chercher les votes à l’Assemblée nationale, et de leur montrer les votes du RN et de Marine Le Pen. Et là, il se passe un truc : « mais nous on a voté pour eux pour le pouvoir d’achat, on n’a pas de quoi payer 4 jours à la mer à nos enfants et eux, ils nous font ça ? ».

On a parlé de tout plein de problèmes sociaux qu’on a rencontrés sur les étapes des caravanes et aussi de nos propositions. On a fini par faire une partie de pétanque avec eux. Je crois qu’on les a convaincus, qu’on a réussi à les convaincre que c’étaient nous les insoumis qui défendions leurs intérêts. Je pense qu’avec les caravanes populaires on fait la preuve qu’on peut convaincre tous les résignés, les fâchés mais pas fachos. C’est une véritable leçon de militantisme et de vie. 

« Quand les électeurs RN ont appris que Marine Le Pen a voté contre la hausse du SMIC, ils étaient furieux »

Clarence MacDougall : Mon plus beau souvenir, je dirais que c’était à Bordeaux à la cité des Aubiers. Les insoumis bordelais étaient déjà passés dans l’immeuble au moment de la campagne présidentielle. La personne était super contente de nous revoir. Elle nous a raconté que, durant la campagne, sur le palier ou dans l’ascenseur, tout le monde ne faisait que discuter dans l’immeuble de politique. Tout le monde voulait que Jean-Luc Mélenchon gagne. Cette dynamique, c’était notre enjeu avec les correspondants d’immeuble : discuter, faire le relais militant, continuer le travail de bouche à oreille jusque dans les immeubles.

Le fait qu’il me raconte aussi l’excitation qu’il y a eu dans son immeuble au moment de la présidentielle m’a fait beaucoup d’effet. Les 7,7 millions de voix, ce n’est pas que des bulletins de vote glissés dans des urnes, c’est avant tout des gens qui ont échangé entre eux, débattu et qui sont ensuite allés voter parce que pour eux, ça pouvait tout changer.

Et votre pire souvenir ?

Leïla Ivorra : Je n’ai pas de pire souvenir ! Si ce n’est peut-être parfois, les trombes d’eau qui nous sont tombées dessus (rire).

Clarence MacDougall : Pas de pire souvenir ! Même si les témoignages ont été un peu durs à encaisser, on voit aussi que la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon a suscité énormément d’espoir. L’accueil est toujours super, les gens sont contents de nous voir !

Alors, après ces 20 étapes, après avoir sillonné la France, quelle est la température, le pouls du pays ?

Leïla Ivorra : La pauvreté, constante. Ce n’est pas une situation passagère. Ce n’est pas le « il faut rebondir » de Macron, mais un état constant. Pour de trop nombreux Français, payer le loyer, manger à sa fin, ne pas avoir de dette, c’est un rêve. Nous, on a des solutions à leur proposer. Et jamais avec des discours politiques culpabilisants. J’insiste sur ce point : il y a plein de discours politiques qui font culpabiliser les gens. Résultat, 50 % des retraités n’osent pas demander l’ASPA alors que c’est un manque à gagner de 200 euros. Le système écrase les gens mentalement, il écrase leur vie, il écrase leur fierté.

« Le système écrase les gens mentalement, il écrase leur vie, il écrase leur fierté »

Je me rappelle avoir toqué à la porte d’une femme. Elle m’ouvre avec son bébé et me dit : « j’ai tellement honte, je préfère ne pas manger et acheter mon maquillage pour pas qu’on me voit comme une pauvre ». Et ça, je l’avais déjà vu quand je faisais mon mémoire sur l’hébergement d’urgence (Leïla Ivorra est démographe, NDLR) entre BNF et Crimée. J’avais déjà rencontré des femmes sans-abris qui me disaient la même chose : c’est terrible ce que les gens vivent.

Clarence MacDougall : Pour moi, la température du pays, c’est pouvoir d’achat, pouvoir d’achat, pouvoir d’achat ! Et beaucoup la retraite aussi.

Dernière question. Comment les gens se sont autant confiés à vous, comment avez-vous réussi à nouer ces relations de confiance à chaque étape de votre tour de France ?

Leïla Ivorra : Souvent, c’est grâce au mot magique : Mélenchon. C’est vraiment le mot magique pour la relation de confiance. Quand on dit Mélenchon, les gens ouvrent. Normal, vu qu’il a suscité pour des millions de Français l’espoir qu’un autre monde soit possible.

Propos recueillis par Pierre Joigneaux, pour l’insoumission.fr