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Retraites : 2,5 millions de salariés en burn out sévère, on accélère encore ?

Burn out. On fonce dans le mur, mais on continue à accélérer. Pied au plancher, le gouvernement veut faire passer la retraite à 64 ans contre l’avis de 80% des Français. L’état des troupes ? Peu importe. Peu importe que les Français soient déjà lessivés par le travail. Les chiffres devraient pourtant nous alerter. Un salarié sur deux est en état de détresse psychologique selon France Info. 2,5 millions de salariés sont en état de burn out sévère selon une enquête du cabinet Empreinte Humaine.

Et loin des clichés sur le burn out réservé uniquement aux jeunes cadres dynamiques, la recherche a montré que tous les secteurs sont touchés, en particulier les métiers de services : l’hôpital bien évidemment, mais aussi les serveurs, la grande distribution, les assurances, l’éducation nationale, la police, la téléphonie, les associations. Plus d’un agriculteur sur deux est en burn out, les chiffres d’épuisement professionnels chez les agriculteurs sont particulièrement alarmants. Chez le personnel politique, aussi. Aucun secteur n’est épargné par l’accélération. 81% des Français sont favorables à la proposition de loi insoumise sur le burn-out visant à faire reconnaître comme maladies professionnelles les pathologies psychiques résultant de l’épuisement professionnel.

« L’accélération sociale » un concept du (très grand) sociologue allemand, Hartmut Rosa. Une des plus puissantes figure moderne de l’insoumission. Dans le sillage de la théorie critique de l’école de Frankfurt, le penseur pose un paradoxe : plus la modernité devrait nous permettre, en théorie, de gagner du temps, plus le « temps libre » nous manque. Cette course folle à la recherche du temps perdu, le sociologue la nomme « la famine temporelle ». Cette accélération constante du temps n’épargne aucune sphère de nos vies. Au point de nous faire perdre de vue ce qui constitue l’essentiel, le plus précieux, le temps libéré du capitalisme, le droit au bonheur, notamment grâce à la retraite. Alors, on accélère encore ou on ralentit ? Notre article.

Le burnout et l’accélération sociale du temps concernent tout le monde

La peur du vide ? C’est la course, tout le temps. Dans chaque compartiment de nos vies, le rythme est démentiel. Les « to-do list » s’allongent, à mesure que le temps pour réaliser chaque tâche s’amenuise. On manque de temps pour tout. Même notre temps de sommeil diminue. C’est la « famine temporelle ». Un paradoxe, à l’heure de la modernité, on va y revenir. Chaque minute de cerveaux disponible est grignotée, aspirée. Il faut combler, occuper, chaque centimètre de vide. On n’arrive plus à accepter la frustration, tout doit arriver tout de suite. Et du coup, on court tout le temps. Cette accélération sociale du temps a été théorisée, on va y revenir, mais d’abord, quelques chiffres sur la folie de nos vies.

Le « burnout » en anglais , un « épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel », aux contours encore flous en France, atteint des cimes vertigineuses dans le pays. La dernière étude nationale sur le burnout, fait état de 2,5 millions de personnes en « burnout sévère ». Uniquement pour ce qui concerne les cas les plus graves. Selon une étude du cabinet Empreinte Humaine, 34% des salariés seraient en situation de burn out. Plus d’un salarié sur trois ! D’autres chiffres issus de cette étude devraient collectivement nous faire appuyer sur le frein. 50% d’entre eux auraient tendance à « s’isoler et à se couper du monde », 40% à perdre « souvent patience et à être facilement irritables », 25% à être « agressif pour tout et rien ».

Loin des clichés sur le burnout réservé uniquement aux jeunes cadres dynamiques, aucune catégorie de la population n’est épargnée, même si certaines sont plus durement touchées. Les jeunes sont ainsi 54% à se dire en détresse psychologique. Un chiffre en explosion, 13 points de plus que la moyenne et 13 points de plus que la dernière étude. Les femmes pointent à 47%, notamment du fait de la charge mentale. Les managers, qui sont 44% en détresse psychologique et 38% en burn out. Mais les cadres sont loin d’être les seuls à être touchés.

Une enquête publiée par l’European Society for Emergency Medicine (EUSEM), souligne que 62% des soignants affichent au moins un symptôme de syndrome d’épuisement professionnel. Près de deux tiers de nos soignants en burn out ! Les agriculteurs aussi sont fracassés par le burnout, et c’est Le Figaro qui le dit. 60% des agriculteurs expriment ainsi une compulsion à travailler, due à « l’absence d’alternative, l’isolement ou la volonté de rester dans la course coûte que coûte ». Les agriculteurs sont également 53% à se sentir usés à force de travailler et épuisés à la fin d’une journée de travail. Presque un agriculteur sur deux est fatigué quand il se lève le matin.

La recherche notamment en psychologie a montré que tous les secteurs sont touchés, en particulier les métiers de services : l’hôpital bien évidemment, mais aussi les serveurs, la grande distribution, les assurances, l’éducation nationale, la police, la téléphonie, les associations. Chez le personnel politique, aussi, où, comme dans les associations, la frontière poreuse entre vie professionnelle et engagement conduit à des vies aspirées tout entières par le travail. Et en plus du « burnout », se développent le « boreout », une forme d’épuisement professionnel provoqué par l’ennui et une sous-charge de travail, et le « brownout », une forme d’épuisement professionnel provoqué par une perte de sens.

Hartmut Rosa, le sociologue qui se bat contre l’accélération

« L’accélération sociale » un concept du (très grand) sociologue allemand, Hartmut Rosa. Une des plus puissantes figure moderne de l’insoumission. Dans le sillage de la théorie critique de l’école de Frankfurt, le penseur pose un paradoxe : plus la modernité devrait nous permettre, en théorie, de gagner du temps, plus le « temps libre » nous manque. Cette course folle à la recherche du temps perdu, le sociologue la nomme « la famine temporelle ». Cette accélération constante du temps n’épargne aucune sphère de nos vies.

Prenons la musique. Vous pouvez maintenant commander l’intégrale des compositions du chef d’orchestre Joe Hisaishi, vous faire livrer sur Amazon. Ou, encore plus rapide, y accéder pour neuf euros par mois sur Spotify. Mais la probabilité d’écouter, d’écouter vraiment la musique et de vivre une expérience intense à travers elle décroît. Le philosophe parle de « résonance ». La résonance, c’est quand on est touché par un morceau de musique, un lieu, un ami… qui trouvent un écho à l’intérieur de vous. La résonance, c’est quand vos yeux s’illuminent ou s’embuent. Mettre le monde à notre portée, c’est le projet de la modernité. Mais dans son ouvrage Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive, Hartmut Rosa insiste : la part d’ombre de la modernité, c’est le risque d’aliénation.

On gagne du temps dans tous les domaines, on est plus rapide dans nos déplacements, dans nos communications, mais on manque toujours de temps. Par rapport aux siècles passées, nous devrions être dans l’abondance de temps. C’est l’inverse. Le penseur insiste : l’histoire de la modernité est l’histoire de cette tension, gagner du temps par le progrès d’un côté, en perdre de l’autre. Mais où passe donc tout ce temps perdu ? L’insoumission insistait la semaine dernière sur un fait largement sous médiatisé : l’incroyable temps perdu sur nos téléphones, en moyenne… 4,8 heures par jour. Notre première activité après le sommeil, qui lui aussi diminue ! On dort en moyenne une heure de moins qu’il y a 50 ans.

On en fait tous l’expérience : au quotidien, plus pressant l’emporte sur ce qui compte vraiment. Sous l’eau, nous parons au plus pressé. Beaucoup de choses importantes n’ayant pas d’échéance fixe ou de date limite, nous ne les faisons jamais. Mais où passe une grande partie de ce temps perdu ? Au travail. Le capitalisme a besoin de créer toujours plus de valeur, chaque année, et donc d’augmenter la productivité, de produire plus en moins de temps.

Mais quelles sont donc les causes de cette accélération ? Le sociologue en identifie trois.

La première, la compétition, que le capitalisme arrive à gangréner dans chaque compartiment de nos vies. La compétition, pour faire face à la concurrence, au sommet de la hiérarchie des normes dans l’économie de marché. Hartmut Rosa pointe directement le responsable : la « société capitaliste ». C’est bien notre « modèle » économique actuel qui instaure une « compétition multiforme » dans tous les domaines de la société. Pour le champ politique, la « compétition électorale », induit l’accélération constante, il faut être partout, tout le temps, jamais de vide. Jamais de temps pour s’arrêter et réfléchir.

Le deuxième facteur de l’accélération sociale du temps selon le sociologue, « la recherche de l’éternité ». Hartmut Rosa insiste sur la « frustration », caractéristique centrale du temps moderne. Il nous faut tout, tout de suite. Il faut remplir le moindre centimètre de temps disponible, par peur du vide ? Le troisième facteur identifié par le sociologue, est la « division du temps de travail ». Nous y reviendrons plus longuement sur son concept d’accélération sociale, dans un portrait à venir sur l’insoumission.fr. Si en lisant ces lignes, vous vous demandez si vous êtes vous mêmes en burnout, pas de panique : le burnout est une « décélération », un refus de continuer à accélérer. Nous vous parlerons dans un futur article des « oasis de décélérations ».

En attendant, dans cette course folle, vous avez pris le temps de lire cet article jusqu’au bout. Et si vous êtes ici, vous allez prendre le temps de vous battre contre la retraite à 64 ans, contre cette folie de travailler toujours plus, pour toujours moins de temps libre. Face à l’accélération, l’insoumission va se battre pour une revendication : ralentir.

Par Pierre Joigneaux.