McKinsey, un de ces cabinets qui conseillent Macron, pour la bagatelle de plus d’1 milliard d’euros en 2021, n’aurait pas payé d’impôts sur les sociétés en France pendant 10 ans. Ce même cabinet qui conseille à nos dirigeants l’austérité budgétaire, aux conséquences sanglantes notamment dans nos hôpitaux. Jeudi 17 mars, une commission d’enquête du Sénat publiait un rapport au vitriol sur ces cabinets de conseil et leur place grandissante dans la sphère publique, sans aucune légitimité démocratique et aux coûts exorbitants. Il y a un mois, Mathieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, auteurs du livre-enquête Les infiltrés, nous racontaient l’histoire d’un « phénomène tentaculaire« , en parlant d’un « putsch progressif » au sein de l’Etat. Des révélations édifiantes. Notre article.
Fraude fiscale : un mensonge sous serment du directeur associé de McKinsey France ?
Quelle ironie ! McKinsey est un cabinet de conseil connu dans le monde entier, au réseau étendu et détenant une influence très importante dans la conduite de l’action publique de nombreux pays, que peu d’entre nous pouvons mesurer. Un cabinet qu’Emmanuel Macron connaît bien puisqu’il l’a conseillé lors de sa campagne présidentielle. Bien que puissant, c’est un cabinet qui semble souhaiter rester discret. C’est raté. Il est désormais mis sur le devant de la scène suite à des accusations de fraude fiscale.
Après 4 mois de travaux menés par une commission d’enquête du Sénat, cette dernière a révélé que McKinsey n’avait pas payé d’impôts sur les sociétés en France depuis 10 ans. Ce même cabinet qui n’hésite pas à prodiguer de nombreux conseils à nos dirigeants, comme celui de charcuter dans les dépenses publiques et de s’attaquer à l’Etat social. Des recommandations qui sont elles-mêmes vendues à prix d’or. En 2021, les sommes dépensées par la macronie en direction des cabinets de conseil atteignaient 1 milliard d’euros. Un record. Il fallait oser.
Concernant les accusations de fraude fiscale, les rapporteurs de la commission d’enquête « évoquent un ‘exemple caricatural d’optimisation fiscale.' » Pourtant, la question avait été posée avait été posée à Karim Tadjeddine, directeur associé de McKinsey France, lors de son audition par la même commission d’enquête. En effet, celui avait déclaré : « Nous payons l’impôt sur les sociétés en France et l’ensemble des salariés qui y travaillent sont dans une société de droit français. » Face à ces révélations à ce qui semble être un mensonge sous serment, le sénateur Arnaud Bazin, président de la commission d’enquête, a indiqué que le Sénat allait saisir le procureur de la justice pour une « suspicion de faux témoignage« . Les preuves semblent accablantes. Affaire à suivre.
Des cabinets de conseil qui coûtent une fortune à l’Etat
Combien coûtent ces cabinets privés ? Combien coûtent tous ces « power point », ces « missions d’évaluation » parfois inutiles ? Très cher. Que l’État paye autant pour sous-traiter ses fonctions, souvent pour ce soient toujours les mêmes conseils qui soient appliqués (cure d’austérité sanglante, baisse du nombre de fonctionnaires, réorganisation managériale de la fonction publique à la sauce du privé) est un scandale démocratique. Surtout si, comme McKinsey, ceux-ci ne paient même pas leurs impôts à l’Etat, Etat qu’ils dépècent en se substituant à lui sur de plus en plus de missions. Les chiffres sont édifiants.
Le record d’argent versé aux cabinets de conseil date de l’année 2021 : les dépenses de l’Etat ont dépassé le milliard d’euros en 2021. 1 milliard d’euros d’argent public. Amélie de Montchalain, ministre de la transformation et de la fonction publique avançait le chiffre de 140 millions d’euros par an. De 2018 à 2021, la progression des dépenses est constante. Les dépenses des ministères de la macronie en la matière ont été multipliées par 2,36.
McKinsey payé 4 millions d’euros… pour conseiller de baisser les APL de 5 euros
Le cabinet McKinsey a été payé 4 millions pour réfléchir à l’une des premières réformes qui a confirmé le caractère de président des ultra-riches de Jupiter. « Nous avons également identifié une prestation de 4 millions d’euros de McKinsey pour mettre en oeuvre la réforme des APL, cette même réforme qui réduisait les aides de 5€ par foyer » , a expliqué Eliane Assassi, présidente du groupe communiste au Sénat et rapporteure de la commission d’enquête.
Parfois même, certains dépenses de conseil ne servent à rien. L’Etat a en effet payé 497 800 euros à McKinsey pour réfléchir « aux évolutions attendues du marché de l’enseignant« en vue d’un colloque. Ce dernier a été annulé du fait de la pandémie, mais le demi-million d’euros, lui, il a bien été dépensé. C’est l’équivalent de 1 600 purificateurs dans 1 600 restaurants scolaires ou 1 million de FFP2. Enfin, l’omniprésence des cabinets de conseil pendant la crise sanitaire a été majeure. 68 commandes ont été passées à ces derniers pour un montant total de 41,05 millions d’euros« . La campagne de vaccination, elle, a été en partie sous-traitée à McKinsey pour la somme de 12 millions d’euros. Des chiffres phénoménaux.
Cabinets de conseil : « un putsch progressif » et inquiétant au sein de l’État
L’influence grandissante des cabinets de conseil à l’image de McKinsey au sein de l’État pose de nombreux problèmes. D’abord, quelle est leur légitimé démocratique ? La question se pose d’autant plus que les consultants ont été en première ligne tout le long du quinquennat d’Emmanuel Macron. Selon le rapport de la commission d’enquête, « les cabinets de conseil sont intervenus sur la plupart des grandes réformes du quinquennat, renforçant ainsi leur place dans la décision publique ». Certains ministres minimisent leur influence et parle du caractère ponctuel, notamment pendant la crise sanitaire.
Pourtant, « le recours du gouvernement aux cabinets de conseil a été massif tout au long du mandat d’Emmanuel Macron, et ce bien avant la pandémie ». Ainsi, 1 600 missions auraient été réalisées par différents cabinets de conseil, comme McKinsey, Citwell et Accenture. Eliane Assassi met ainsi en cause leur légitimité, tant leur influence n’a jamais été aussi grande : « Des pans entiers des politiques publiques sont délégués à des consultants, qui n’ont toutefois aucune légitimité démocratique. Il s’agit d’une intrusion en profondeur du secteur privé dans la sphère publique. » La sénatrice déplore un recours aux cabinets de conseil qui est devenu « un réflexe de la part de celles et ceux qui nous gouvernent, et peu importe l’argent qu’on y met. »
La place prise par ces cabinets de conseil dans la sphère publique est inquiétante. Mathieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, auteurs du livre-enquête Les infiltrés, n’hésitent pas à parler « putsch progressif » au sein de l’Etat. Selon Caroline Michel-Aguirre, « on a parlé de putsch progressif, mais consentant, parce que ce n’est pas un coup d’Etat au sens où l’Etat ne l’aurait pas voulu. Au contraire ! Les politiques et les hauts fonctionnaires eux-mêmes ont ouvert grand les portes. » C’est donc bien « un choix politique » selon les deux auteurs.
Ce choix politique a commencé sous Nicolas Sarkozy au milieu des années 2000, qui a mis en place la « Révision Générale des Politiques Publiques » (RGPP). Ce qui s’est joué en réalité, c’est un grand plan de réduction des coûts de l’Etat qui a été confié à des consultants, ainsi qu’une « volonté d’appliquer des méthodes différentes à la fonction publique, importées par des multinationales du conseil » comme McKinsey.
Quand l’État paye pour disparaître
Ces multinationales sont arrivés petit à petit dans la sphère publique pour y diffuser les méthodes du privé, en s’attaquant à l’État dans son fonctionnement. Ils ont ainsi appliqué à la sphère publique leur vision du « mieux d’Etat, c’est moins d’Etat » en participant à l’application de politiques d’austérité aux conséquences sanglantes que l’on connaît. Une réduction des dépenses, à laquelle ne s’est pas ajoutée une réduction du champ des compétences de l’État, car selon eux, on peut faire toujours « autant avec moins. »
C’est là où le serpent néolibéral se mord la queue. L’État paie des conseillers une fortune pour des PowerPoints qui semblent inoffensifs, mais qui ont des conséquences réelles pour la vie des gens, car l’État est dépecé de ses fonctions fondamentales, et a de moins en moins de moyens pour mener ses missions essentielles, pour ses services publics qui sauvent la vie des gens. Pour pallier à cela, l’État a recours de manière plus intense aux consultants qu’il pait toujours une fortune pour leurs sous-traiter certaines missions.
Enfin, certains de ces cabinets qui aident l’État à réduire ses dépenses, ne paieraient même pas leurs impôts en France, coûtant d’autant plus cher à l’État et à la société. L’État paie pour disparaître. Définitivement, « le recours aux prestataires privés fonctionne comme un « cliquet » à la fois technique et budgétaire, qui interdit tout retour« . Il est temps de balayer l’oligarchie néolibérale qui nous gouverne et d’enfin mettre en place un plan de séparation de l’argent et de l’État.
Par Nadim Février