Vincent Bolloré et Éric Zemmour, un duo inséparable. Tous les jours au téléphone, les deux hommes partagent un projet politique commun. Après Canal+, CNews, Europe 1, Paris Match, le JDD, le milliardaire breton lorgne désormais sur le Figaro. Par la censure, le licenciement de journalistes et l’acharnement judiciaire, le multi-milliardaire, 14ème fortune de France, impose par la terreur un agenda médiatique d’extrême-droite dans le pays. Une véritable OPA de Vincent Bolloré sur la campagne présidentielle. Au service d’un rêve, celui de propulser Éric Zemmour à l’aide de son empire médiatique au palais de l’Élysée le 24 avril 2022 . Notre article.
« Zemmourisation médiatique ». L’expression, marque déposée de l’insoumission.fr, intitulé d’une conférence aux universités d’été de La France insoumise (LFI) fin août, n’a jamais semblé autant appropriée que depuis la rentrée. Entre le 1er septembre et le 31 octobre, Éric Zemmour a été cité dans plus de 14 000 articles, sans même compter ses innombrables passages télés et radios. Cette omniprésence d’Éric Zemmour, l’homme qui impose jusqu’ici les thèmes et les polémiques de cette campagne présidentielle, dictant l’agenda médiatique à un champ suspendu au moindre de ses faits et gestes, a été voulue et préparée.
Derrière l’attraction médiatique de cette campagne, un homme : Vincent Bolloré. Le multi-milliardaire qui contrôle Canal+, C8, CNews, Europe 1, le JDD, Paris match et qui compte bien étendre son empire médiatique en engloutissant Le Figaro, a choisi son poulain pour 2022. Ce sera Éric Zemmour.
Le dîner entre Macron et Bolloré qui tourne au vinaigre
Pourtant, le milliardaire breton entretenait des liens cordiaux avec l’actuel locataire de l’Élysée. Mais ces liens entre Vincent Bolloré et Emmanuel Macron se sont froissés en juin, à l’occasion d’un dîner à l’Élysée. C’est ce que nous révèle un excellent article de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, deux grands reporters du journal Le Monde, fait suffisamment rare pour être souligné. Initialement intitulé « l’OPA de Vincent Bolloré sur la présidentielle », on aurait cru à s’y méprendre à un titre de l’insoumission, l’article du monde a été renommé « Comment Vincent Bolloré mobilise son empire médiatique pour peser sur la présidentielle ». Suite à un coup de fil du milliardaire breton à Xavier Niel ? Quoi qu’il en soit, la qualité du travail d’investigation des deux journalistes est à saluer dans la période.
Juin 2021. Vincent Bolloré est reçu à l’Élysée. « Comment peut-on vous aider ? » lui demande la locatrice des lieux. Une habitude pour le coupe présidentiel : quand on touche le monarque, on est béni. « Je vous remercie, Madame. En rien ». La réponse du multi-milliardaire à Brigitte Macron ne trompe pas : Vincent Bolloré n’a pas besoin de l’aide du président de la République. Mieux, l’empereur médiatique est agacé par l’actuel locataire de l’Élysée.
Le 26 février dernier, dans une affaire de corruption au Togo pour laquelle il avait plaidé coupable et négocié 12 millions d’euros d’amendes, Vincent Bolloré est renvoyé au tribunal. Et le multi-milliardaire est convaincu que le président est derrière cette décision judiciaire selon Le Monde. Un autre dossier provoque la colère de l’empereur médiatique : le contrôle du groupe Lagardère. Vincent Bolloré considère qu’Emmanuel Macron a poussé Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France et leader mondial du luxe, à le concurrencer sur la prise de contrôle du groupe propriétaire d’Hachette, d’Europe 1, du JDD et de Paris match.
Quand Vincent Bolloré choisi des lieutenants d’extrême-droite à la tête de son empire
Après CNews, Europe 1. Après Europe 1, le JDD et Paris Match. Après le JDD et Paris Match, le Figaro. Où s’arrêtera l’empire médiatique Bolloré ? Emmanuel Macron aurait lancé à Vincent Bolloré, toujours selon le journal Le Monde, « vous achetez tout ». Ire du magnat breton. Vincent Bolloré le répète à l’envie : « Macron a perdu le combat civilisationnel ». Et la radicalisation idéologique du patron de presse de se traduire dans ses nominations, ses licenciements et la terreur qu’il fait régner dans son empire médiatique.
Exit Hervé Gattegno de la tête de Paris Match et du JDD. Bonjour Patrick Mahé. Qui est le nouveau chef à la tête de Paris Match ? Un ancien militant d’Occident, groupuscule d’extrême-droite dissout en 1968. Proche de Le Pen père durant des années, Patrick Mahé est également un ancien membre du groupuscule ultra-nationaliste Jeune Europe. Bonjour également Jérôme Bellay, nouveau chef du JDD, habitué des cocktails du Paloma, le yacht de Vincent Bolloré. Mais également et surtout à toute la clique d’extrême-droite à la tête de CNews, avec Pascal Praud en vedette.
Preuve de la protection toute particulière du grand chef envers les théories d’extrême-droite y compris les plus immondes, les cas Sébastien Thoen et Stéphane Guy. Le premier pour avoir osé réalisé un sketch sur Pascal Praud, licencié. Tourner en dérision l’extrême droitisation des débats sur CNews ? Lettre de licenciement le jour de noël, après 23 ans de bons et loyaux services. Son confrère Stéphane Guy ose lui témoigné son soutien à la mi temps d’un match de foot ? Licencié. En exemple. Le prochain qui oserait parler est prévenu. La terreur sauce Bolloré.
Éric Zemmour et Vincent Bolloré tous les jours ensemble au téléphone, déjeuner tous les mois
Mais si le grand chef a un chouchou dans sa myriade de champions d’extrême-droite, c’est bien Éric Zemmour. David Perrotin, le journaliste qui a révélé le scandale Michel Zecler, fraichement arrivé chez Médiapart, a en effet révélé l’incroyable contenu d’une réunion du comité social et économique de Canal+ qui s’est tenu le 7 octobre dernier.
Le directeur général du groupe Canal +, Frank Cadoret, bras doit de Vincent Bolloré, y a défendu la présence d’Éric Zemmour sur « son » antenne, ou plutôt sur celle du milliardaire breton. Et le DG de Canal+ est même allé (beaucoup) plus loin. Amené par les syndicats à réagir aux propos racistes d’Éric Zemmour sur les mineurs isolés le 29 septembre dernier sur CNEWS : « Ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont », propos pour lesquels Éric Zemmour vient d’être condamné cette semaine, Frank Cadoret a volé au secours du chouchou du patron, défendant Éric Zemmour : un homme « brillant » et qui « n’est pas d’extrême droite » selon lui. Pascal Praud et Éric Zemmour défendus, des journalistes licenciés pour un sketch, une liberté d’expression à géométrie dangereusement variable du côté de l’empire Bolloré.
Vincent Bolloré déjeunerait près d’une fois par mois avec Éric Zemmour, et les deux hommes s’appelleraient tous les jours, selon l’enquête de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin. Éric Zemmour en direct tous les soirs sur CNews ? Des audiences triplées, LCI et France Info Tv distancés, le leader historique BMF TV égalé. De quoi donner de l’appétit à Vincent Bolloré. Et pourquoi pas faire de son attraction médiatique sur CNews, le Donald Trump de Fox News ? Un pari alléchant pour le multi-milliardaire, d’autant plus que son idéologie politique se rapproche de plus en plus de celle du polémiste d’extrême-droite le plus célèbre de France (nous allons y revenir).
Marine Le Pen se plaint à CNews
Une proximité qui devient tellement problématique que même Marine Le Pen monte au créneau. Le 29 octobre, invitée de Laurence Ferrari sur CNews, la responsable du Rassemblement national (RN) décide en effet de protester. Marine Le Pen qui se plaint des questions de CNews ? Incroyable mais vrai. À la fin de l’émission, celle que les médias présentaient depuis de longs mois comme l’adversaire assurée d’Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle, réclame de « voir le patron de CNews ». Les chiffres du CSA ne trompent pas, Marine Le Pen ne bénéficie pas d’autant de temps d’antenne ni du même traitement qu’Éric Zemmour.
« La seule ligne éditoriale que je respecte, c’est celle du patron. » La réponse de Serge Nedjar, directeur général de CNews », est cinglante. Pourtant, en septembre 2020, à l’occasion d’un déjeuner avec Marc-Olivier Fogiel, directeur général de BFM-TV, Marine Le Pen avait menacé de « se passer de BFM ». Et, ça ne manque pas de sel, celle qui était alors confortablement installée dans le duel annoncé avec Emmanuel Macron, avait ajouté : « On ira sur CNews et ce sera très bien ». Preuve que même Marine Le Pen note la radicalisation zemmourienne du Fox News français.
Ce 31 octobre un nouveau cap a été franchi sur CNews comme l’a souligné dans un récent article l’insoumission : c’est Renaud Camus, père de la fake news du grand remplacement à l’origine des attentats qui ont fait 51 morts en Nouvelle Zélande et 77 morts en Norvège, qui est inventé à une heure de grande écoute. Nouvelle preuve si il en fallait de l’extrême-droitisation toujours plus nauséabonde de l’empire médiatique bolloré.
Une radicalisation politique de Vincent Bolloré
Mais pourquoi donc cette OPA de Vincent Bolloré sur la présidentielle ? Car le milliardaire breton a un projet politique en tête. Et rare sont ceux qui en mesurent la dangerosité. Rare sont ceux qui ont relevé la radicalisation de Vincent Bolloré et ses potentiels conséquences au regard du pouvoir immense du patron de presse.
L’enquête de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin nous révèle à cet égard d’intéressantes pistes. L’oncle de Vincent Bolloré, Gwenn-Aël Bolloré, modèle du multi-milliardaire, était partisan de l’Algérie française et de l’OAS, dont il a publié nombre de soutiens dans sa maison d’édition. Lex-beau-frère de Vincent Bolloré, Gérard Longuet, note une mue chez le milliardaire breton « une forme d’insatisfaction, comme si l’argent et la réussite ne suffisaient plus ». Et donc le moment ou jamais de faire le grand saut pour faire triompher ses idées dans le champ politique ?
L’ONG Reporter Sans Frontières a documenté comment par la censure, les licenciements de journalistes et l’acharnement judiciaire, Vincent Bolloré fait régner la terreur. Ses violentes prises de contrôle successives de Canal+, d’Itélé et d’Europe 1, ont fini de convaincre le multi-milliardaire qu’il pouvait imposer par la force son agenda politique. En février 2019, Vincent Bolloré intervient personnellement pour faire censurer un projet pourtant déjà validé : l’achat de Grâce à Dieu, un film de François Ozon inspiré de l’affaire Preynat, ce prêtre reconnu coupable d’avoir agressé sexuellement des enfants pendant vingt ans. Cette intervention révèle le fond de son idéologie politique.
Celle d’un chrétien pratiquant, qui s’exaspère du néoféminisme et de la remise en question du « mâle traditionnel », du « wokisme », ce concept qui prône la défense de toutes les
minorités, qui considère l’homme blanc menacé par l’idéologie décoloniale toujours selon le journal Le Monde. Le milliardaire breton se serait mis à croire à la fameuse « guerre de civilisations » d’Éric Zemmour.
Quand Vincent Bolloré propose à Éric Zemmour de devenir la tête d’affiche de CNews tous les soirs
Le 26 juin 2019, Vincent Bolloré présente à Gabriel Grimaud, un abbé considéré comme le confident du multi-milliardaire, un journaliste juif qui se dit aussi « chrétien » et veut tout comme lui contrer l’islam : un certain Éric Zemmour. Les deux hommes, Grimaud et Zemmour, s’inscrivent dans la même filière maurrassienne, du nom du fondateur du mouvement d’extrême droite l’Action Française, qui fait de la religion le bras armé de la politique. « Une complicité [est née] spontanément d’un combat commun, raconte Éric Zemmour dans son dernier ouvrage. Nous sommes engagés dans une lutte pour la survie de la France ».
C’est ce 26 juin 2019 que Vincent Bolloré aurait proposé à Éric Zemmour d’intervenir tous les soirs en direct sur CNews. Le début d’un rêve pour Vincent Bolloré : propulser Éric Zemmour à l’aide de son empire médiatique au palais de l’Élysée le 24 avril 2022.
Par Pierre Joigneaux.