L’enfance, grande oubliée du gouvernement ?

L’Assemblée nationale débat d’une réforme capitale pour notre pays depuis quelques jours : la réforme de la “justice pénale des mineurs”. Pour rappel, en plein débat sur la réforme de la justice, la précédente Garde des sceaux Nicole Belloubet annonce en novembre 2018 sa volonté de dessaisir le Parlement en procédant par voie d’ordonnance à la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

Depuis, cette annonce et jusqu’à aujourd’hui, c’est une levée de boucliers des professionnels de l’enfance qui s’expriment. Oui il y a nécessité d’une refonte d’ampleur du texte fondateur de la justice des mineurs, amendé 39 fois depuis sa création à la Libération. Mais le choix d’une ordonnance entièrement rédigée par le gouvernement prive les représentants du peuple et le peuple lui-même d’un débat de société, pourtant nécessaire.

En abordant ce débat, ma première préoccupation est dirigée vers les enfants et adolescents en situation de fragilité et de vulnérabilité, vers les enfants et adolescents pauvres, enfants et adolescents malades et en situation de handicap, vers les enfants Roms, vers les enfants et adolescents en danger, maltraités, vers les adolescents en errance, mineurs étrangers isolés, enfants en conflit avec la loi, adolescents incarcérés, enfants et adolescents discriminés, vers les enfants et adolescents victimes de violences ordinaires ou encore de souffrances invisibles…

En effet, alors que notre Assemblée va poser un texte pour les 30 ans à venir, je n’oublie pas qu’en France, trois millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté, que plus de 600 000 enfants souffrent d’être mal logés, que le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les enfants de 15-24 ans, qu’environ 120 000 enfants sont signalés comme enfants en danger chaque année et que plus de 300 000 enfants sont accompagnés par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance, séparés parfois durablement de leurs familles ou d’un environnement considéré comme trop délétère…

L’urgence est là. Le récent rapport de la Cour des comptes de novembre dernier le dit clairement d’ailleurs « la protection de l’enfance est une politique publique en décalage avec les besoins des enfants. Le parcours des enfants protégés est fréquemment marqué par une succession de ruptures, qui traduisent la difficulté à élaborer une solution adaptée à leurs besoins ».

Je suis pour une réforme globale, qui doit conduire à la mise en place d’un code de l’enfance et non de parcelliser l’approche politique en distinguant et donc en privilégiant le pénal sur le civil, comme il le fait. Je rappelle d’autant plus que cette réforme repose sur une vision altérée de la réalité car la délinquance juvénile n’a pas augmenté depuis plus de 15 ans, et au contraire on n’a jamais autant enfermé d’enfants.

A aucun moment, le Gouvernement ne cherche à répondre à la question suivante : la justice des mineurs peut-elle protéger l’enfant ? Parce que les enfants sont plus vulnérables que les adultes, parce qu’ils n’ont ni influence politique ni économique, parce que le développement sain des enfants est crucial pour l’avenir de toute société, le monde s’est doté en 1989 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).

La place et le rôle qui sont assignés aux enfants sont dictés par l’environnement physique, culturel et socio-économique. L’article 19 de la Convention nous oblige en tant qu’Etat à prendre “toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligences, de mauvais traitements (…)”.

Le projet de Code pénal des mineurs du Gouvernement s’attache à décliner une vision parcellaire de l’enfance faisant s’effacer les principes de la primauté de l’éducatif au profil d’une justice répressive, de gestion de flux, calquée de plus en plus sur celle des majeurs. A aucun moment n’est traité la question des moyens, rien sur l’irresponsabilité pénale des mineurs, on renforce la notion floue de discernement, on déroge au principe constitutionnel de la spécialisation de la justice pénale des mineurs, on renonce à l’excuse de minorité, on se passe de l’avocat, on renforce la possibilité de retenir ou de placer en garde à vue un enfant, etc … Il s’agit pourtant d’une question sociétale majeure : « comment traitons- nous nos enfants ? ».

Et ici deux modèles s’opposent : celui du « welfare » ou « protectionnel », que je défends, contre celui dit « légaliste » ou « judiciariste » qui est défendu par le Gouvernement. Les distinctions sont multiples mais pour faire court, je vais en énoncer une qui me semble symptomatique de ce qui manque à ce projet. Pour nous, la justice des enfants doit prendre le temps utile et nécessaire pour s’adapter à l’enfant et non l’inverse.

Le traitement judiciaire des enfants doit s’inscrire dans un temps indéfini, qui intègre le doute et l’échec comme étapes presque incontournables d’un processus d’éducation nécessairement long et erratique. En revanche, dans le système légaliste, une sanction indéterminée dans le temps ne saurait être envisagée. Prévenir la délinquance des enfants passe en premier lieu par une politique volontariste de protection de l’enfance.

J’ai travaillé depuis un an en faisant le choix d’écouter et de porter une grande partie des
propositions des professionnels de la justice et de l’enfance constitué en Collectif Justice des enfants
. Je défends ainsi :

  • La présomption irréfragable du seuil en dessous duquel un enfant ne peut être déclaré responsable de ses actes. En dessous d’un certain seuil, un enfant ne doit pas être accessible à des sanctions pénales et doit surtout pouvoir bénéficier de mesures de protection. De même qu’au-dessus de ce seuil, le jeune ne doit pas l’être systématiquement. Le juge des enfants doit pouvoir garder son libre arbitre sur l’âge de discernement.
  • L’atténuation de la responsabilité pénale sans exception possible : de 16 à 18 ans, les jeunes restent des enfants, des adolescent.e.s.
  • La garantie de la spécificité de la justice des mineurs par la spécialisation des acteurs
    et des procédures.
  • Le maintien de la distinction entre éducatif et répressif en supprimant les modules
    coercitifs de la mesure éducative.
  • L’allongement des délais pour le jugement sur la culpabilité et délais à l’appréciation des juges des enfants pour le jugement sur la sanction. Nécessité d’une plus grande souplesse par rapport à la problématique du ou de la jeune et son évolution, pour permettre aux juges de reprendre la main mise sur l’organisation de leurs audiences et permettre d’assurer la continuité de la référence du ou de la jeune et enfin, de donner du temps à l’accompagnement éducatif.
  • La non banalisation du prononcé des peines en interdisant le prononcé des peines en cabinet, et l’application de la surveillance électronique aux mineurs
  • La garantie d’un droit à l’oubli spécifique au mineur.

Article du député insoumis Ugo Bernalicis.

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