Shangri-La

Shangri-La : une dystopie, critique féroce du capitalisme

Shangri-La. L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique, avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.

Lors d’une récente interview accordé à la revue Flaash, Mathieu Bablet révélait que son prochain projet serait autour du militantisme et de l’engagement politique et que celui-ci clôturera un cycle de science-fiction entamé avec Shangri-La, l’album qui l’a fait remarquer au Festival d’Angoulême en 2017.

Après l’émouvant album autour de l’intelligence artificielle, Carbone et silicium qui suit l’aventure de deux robots à travers le temps, l’auteur annonce qu’il travaille actuellement au dernier opus de cette série, Silent Jenny, qui « va parler d’engagement militant et de l’art de donner l’envie aux gens de s’engager ». Notre article.

Shangri-La ou comment sortir d’une société « parfaite » digne du « meilleur des mondes »

Shangri-La, album de SF écrit, dessiné et mis en couleur par Mathieu Bablet, s’est tout de suite fait remarquer, dans la sélection officielle de 2017 au festival international de la BD d’Angoulême. Sortie en septembre 2016, par les éditions ANKAMA dans la collection LABEL 619, la bande dessinée Shangri-La aborde les questions du racisme, des libertés individuelles, de la manipulation génétique, de la condition animale et de l’absurdité de la société de consommation.

L’auteur s’interroge sur comment sortir d’une société « parfaite » digne du « meilleur des mondes » de Aldous HUXLEY. Autre roman dont se revendique l’auteur, pour les aspects totalitaristes et de surveillance : 1984 de George Orwell. Pour son auteur, sa bande dessinée cristallise toutes nos angoisses actuelles sur la société.

Voici le pitch de l’histoire. Ce qui reste de l’humanité a été regroupé dans une station orbitale, la terre étant devenue inhabitable en raison de la pollution et du manque d’eau. La colonie est dirigée par l’entreprise TIANZHU qui contrôle la vie des passagers du vaisseau spatial. Dans ce vaisseau se trouve une élite dirigeante, des ouvriers et des chiens humanoïdes.

Les gens ne se posent pas beaucoup de questions. Ils travaillent pour TIANZHU qui les paye avec des crédits qu’ils pourront dépenser avec des produits TIANZHU. L’intrigue suit l’histoire de plusieurs personnages : Scott – John – Mister Sunshine, selon leurs motivations : renverser le pouvoir en place, chercher la vérité et créer un homme génétiquement nouveau… Dans la première partie du récit, le protagoniste principal est Scott, personnage de chargé d’enquêter sur des explosions dans des stations-laboratoires.

Dans « une région inhospitalière de la planète Titan, TIANZHU ENTREPRISES prévoit de « créer à partir de rien une nouvelle espèce d’êtres humains particulièrement résistants ». Avec Scott entièrement dévoué à TIANZHU ENTREPRISES, Mathieu Bablet introduit le modèle sociétal de la station orbitale.

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À travers plusieurs planches, Mathieu Bablet fait comprendre que Scott travaille pour consommer les produits et gadgets technologiques de TIANZHU. Il se croit libre et pense que ce système est bon, équilibré et ne présente aucune faille.

Il y a différents messages politiques de la BD qui permettent de montrer l’aliénation du personnage au système social, en faisant un lien avec le contexte actuel : quand on fait remarquer à Scott qu’il travaille trop, il répond : « Le travail est la condition du bonheur. Tel que tu me vois, je ne peux pas être plus heureux. »

Puis plus tard, il répond avec mépris à son frère et collègue : « Je ne suis pas comme vous ; J’ai pas de temps à perdre. Je ne suis pas un assisté inutile. Si on ne juge pas les gens à leur efficacité, alors on les juge comment ? » Un dialogue qui renvoie au discours de « la France qui se lève tôt et qui travaille et les autres ».

C’est une société qui met en avant le productivisme dont Mathieu Bablet fait une critique féroce. Scott accepte ce modèle où l’entraide n’existe pas. SCOTT comme les autres, vit dans un logement microscopique, sans lumière du jour, qui n’est pas sans rappeler les hôtels capsules au Japon. Et la force de la BD vient du contraste saisissant entre les grandes planches de l’espace, inspirées des photos spatiales de la NASA et les cases réduites montrant le côté microscopique des habitats dans la station.

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Certaines questions écologiques sont également abordées dans la bande dessinée. Par exemple, certaines ressources, comme l’eau, seraient devenues rares. Mais TIANZHU a prévu une boisson de substitution à bas prix qui permet de faire oublier la gravité de la situation.

Ce que Mathieu Bablet nous montre en miroir : c’est aussi une société consumériste où pour éviter une manifestation ou des débordements, les dirigeants au pouvoir déclenchent des soldes pour que les gens se dispersent et achètent. Une société où règne la surveillance à outrance et le contrôle.

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Et si le racisme ordinaire était partout ?

L’auteur a aussi retranscrit dans un contexte d’anticipation des situations de racisme entre humains, situations que nous vivons actuellement. Il reprend des théories que posent les chercheurs sur le racisme systémique. C’est à travers les AnimoÏdes, mutants entre l’animal et l’homme, que l’auteur nous parle de cette thématique, et en particulier dans plusieurs planches qui mettent en scène le personnage de John, le collègue Animoïde-chien de travail de SCOTT. JOHN est rabaissé et humilié au travail et parce qu’il tient tête à des collègues.

Ceux-ci le menacent de lui mettre une laisse pour lui rappeler que ses ancêtres étaient des animaux. Il est tabassé régulièrement. Il n’a pas le droit de rentrer dans certains établissements comme au temps de la ségrégation aux États-Unis. Il est intéressant de noter que Mathieu Bablet est attaché au personnage de John car celui-ci lui sert de photos de profil (ou d’avatar) sur les réseaux sociaux.

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Mathieu Bablet traite d’une autre façon la question du racisme ordinaire en introduisant la notion de l’avenir de l’humanité avec des scientifiques qui se livrent à des expérimentations scientifiques incontrôlées et cherchent à créer une nouvelle race d’hommes. La réaction que provoque cette nouvelle au sein de la station, n’est pas sans rappeler les réactions de l’ultra-droite.

En effet, on pourrait créer un parallèle avec les gens qui ont peur d’être remplacés, après avoir entendu la théorie du « grand remplacement ». Les scientifiques ont créé une génération d’hommes nouveaux qui seront envoyés sur des nouvelles terres de TITAN. Ce qui fait dire à un des manifestants contre ce projet : « Je veux dire, on n’a pas à partager. On était là avant. On a le droit : plus qu’eux ! »

Dystopie et révolution

Dans tout roman dystopique, il y a un toujours un moment où le personnage cherche à sortir du système en se rebellant. Citons par exemple le film « Brazil » de Terry Gilliam ou le roman 1984 de George Orwell, Face au totalitaire d’état s’élève toujours une résistance civile.

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Ce mouvement de résistance, on l’apprend plus tard, est dans un mode d’action qui n’exclut pas la violence. Elle prône une insurrection par tous les moyens possibles. Ce qui est intéressant, c’est que l’auteur crée à un moment un dialogue profond entre Scott et Mister Sunshine qui défendent chacun un mode d’action et un système politique différents.

Pour Mister Sunshine, les hommes doivent à chaque fois suivre quelqu’un, une hiérarchie, mais on peut supposer que les convictions personnelles de l’auteur apparaissent, surtout quand SCOTT, lui, pense et croit que le pouvoir appartient au peuple.

Et au fond, il ne se reconnait pas dans la résistance de Mr Sunshine car il comprend que celui-ci mettra en place une nouvelle élite pour gouverner. Pour Scott, « Il faut tout remettre à plat ». Je vous invite à découvrir Shangri-La, une bande dessinée engagée qui s’attaque au consumérisme à outrance et montre ses conséquences sur l’homme et l’environnement.

La science est également très présente dans la BD, et l’auteur est régulièrement invité au Festival des Utopiales (Festival International de Sciencefiction qui se tient tous les ans à Nantes) dont il a réalisé l’affiche en 2019. À travers un scénario d’une grande maitrise malgré les nombreux thèmes abordés, et grâce à un traitement graphique riche de nombreux détails et aux ambiances colorées très personnelles, Mathieu BABLET se démarque comme un des auteurs de sa génération à suivre absolument.

Par Carlotta Fontaine

Planches et illustrations :
Copyright : Shangri-La par Mathieu Bablet © Ankama-Éditions 2016
Merci.

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