Dissolution du PKK : l’ultime appel d’Öcalan — nouveau pas vers la paix ou énième piège pour la cause kurde ?

C’est un moment historique pour la cause kurde. Mais devrions-nous dire… encore une fois ? Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a annoncé sa dissolution et le dépôt des armes, à l’issue de son congrès annuel, tenu du 5 au 7 mai. L’organisation répond ainsi à l’appel lancé en février dernier par son fondateur […]

PKK Öcalan

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C’est un moment historique pour la cause kurde. Mais devrions-nous dire… encore une fois ? Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a annoncé sa dissolution et le dépôt des armes, à l’issue de son congrès annuel, tenu du 5 au 7 mai. L’organisation répond ainsi à l’appel lancé en février dernier par son fondateur Abdullah Öcalan, toujours emprisonné sur l’île d’Imrali depuis 1999.

Depuis sa cellule, il a affirmé que la question kurde avait atteint un « point de résolution démocratique » et a exhorté le mouvement à abandonner la lutte armée. Mais derrière cette annonce spectaculaire, une question essentielle se pose : cette dissolution ouvre-t-elle réellement la voie à la paix ? Ou n’est-elle qu’un nouvel épisode du cycle tragiquement familier de promesses bafouées et de répression relancée — un schéma tristement récurrent à l’approche de chaque élection en Turquie ? L’Insoumission publie cet article d’Alice Celik, militante kurde et insoumise.

Une volonté — et une nécessité — sincère de paix

Qu’on soutienne ou critique le PKK, force est de reconnaître une chose : ce n’est pas la première fois que le mouvement tend la main. En 2013, sous l’impulsion d’Öcalan, un cessez-le-feu avait été déclaré. Les combattants du PKK avaient commencé à se retirer de Turquie dans l’espoir d’un processus de paix. Mais dès 2015, le dialogue a volé en éclats. Les affrontements ont repris, les villes kurdes ont été ravagées, et des milliers de militants — souvent identifiés pendant cette période d’ouverture — ont été arrêtés.

Était-ce une stratégie de l’État pour localiser et neutraliser les militants révolutionnaires tout en captant l’électorat kurde, crucial dans certaines régions ? La question mérite d’être posée. Cette fois, le message du PKK est clair, radical et urgent : la lutte armée est terminée, place à une stratégie politique. Un pari risqué, mais assumé, en réponse à une aspiration populaire profonde. Rappelons-le : les Kurdes, peuple de plus de 40 millions de personnes, restent la plus grande nation sans État au monde.

Le silence d’Ankara ?

Face à cette annonce majeure, le silence du pouvoir turc est frappant. Aucun mot de Recep Tayyip Erdoğan. Aucun geste d’ouverture. Pire : les bombardements contre les positions du PKK dans le nord de l’Irak ont continué, tout comme les arrestations de militants et figures politiques kurdes en Turquie.

Le parti pro-kurde DEM (anciennement HDP) a pourtant lancé un appel clair : la mise en œuvre de « mesures de confiance » avant début juin. Parmi ces mesures : la libération des prisonniers politiques (estimés à plus de 10 000), dont l’ex-président du HDP Selahattin Demirtaş et le philanthrope Osman Kavala, condamné à la perpétuité, ainsi que la libération des détenus malades, et l’amélioration des conditions de détention d’Öcalan, tenu en isolement total depuis des années.

Pour aller plus loin : Arrestation d’Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul : le lawfare au service de l’autocratie d’Erdogan

Aucune réponse, aucune avancée. Ce mutisme du gouvernement turc en dit long : l’État ne semble pas chercher la paix, mais la domination. Le PKK est né d’une oppression historique : langue interdite, identité niée, répression brutale et systématique.

Soyons clairs : dissoudre le PKK n’efface pas cette histoire. Et tant que la Turquie n’admettra pas les droits fondamentaux des Kurdes, il n’y aura pas de véritable paix. Dissolution ne signifie pas fin de la lutte. La lutte, elle, continuera — sous d’autres formes — tant que la justice, l’égalité et la reconnaissance seront absentes.

Un peuple sans État, mais pas sans voix

La portée de cette annonce dépasse les frontières turques. En Syrie, les forces kurdes du Rojava (YPG/PYD), proches idéologiquement du PKK, suivent de près cette évolution. Leur modèle d’autogestion démocratique, basé sur le confédéralisme démocratique cher à Öcalan, est une expérience politique unique, féministe et égalitaire. Le Rojava est un symbole de résistance et d’espoir — pour les Kurdes, mais aussi pour de nombreux mouvements progressistes dans le monde.

On ne peut ignorer le rôle déterminant des Kurdes du Rojava dans la lutte contre Daesh, mené notamment par des unités de femmes combattantes, les YPJ. Et pourtant, cette région reste sous menace constante : la Turquie refuse catégoriquement l’idée d’un État kurde à sa frontière, et continue d’y mener des opérations militaires. Les Kurdes de Syrie sont aussi pris en tenaille entre les intérêts de Damas, d’Ankara, et des États-Unis. Le calendrier, lui, interroge : n’est-il pas troublant que cette relance du dialogue coïncide avec le retour de Trump dans l’actualité politique américaine ?

En Irak, la situation est tout aussi complexe. Les relations entre les différentes factions kurdes (notamment le PDK et l’UPK) restent tendues, souvent dominées par des rivalités claniques et politiques plus que par une stratégie d’unité nationale. Divisés en quatre pays — Turquie, Irak, Iran et Syrie —, les Kurdes n’en restent pas moins un peuple uni dans sa quête de reconnaissance. Malgré les divisions imposées, malgré les trahisons et les répressions, ils continuent de parler leur langue, d’écrire, de voter, de résister.

La paix, oui — mais avec justice

La dissolution du PKK ne doit pas être vue comme une reddition, ni comme une victoire de l’État turc. C’est un appel. Un appel à la société civile, aux intellectuels, aux démocrates, aux États : si la guerre cesse, il faut que la paix ait un sens. Et une paix sans justice, sans mémoire, sans égalité, n’en est pas une.

Abdullah Öcalan, malgré 25 ans d’isolement, continue de proposer une voie politique pour les Kurdes et pour la région. Son geste est fort. Mais il ne portera ses fruits que si l’État turc accepte d’écouter ce que les Kurdes disent depuis des décennies : « Nous existons. Nous voulons vivre libres. Et nous ne disparaîtrons pas. Au contraire, nous serons plus forts ». Résister, c’est s’éclairer.

Par Alice Elvan Celik

Crédits photo : « Kurdish PKK Guerillas », 14 August 2014, Kurdishstruggle, Wikimedia Commons, CC BY 2.0, pas de modifications apportées.

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