Erdogan. Le maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, opposant déclaré à Recep Tayyip Erdoğan, a été arrêté et démis de ses fonctions. Cette nouvelle a suscité une vague de manifestations et de révoltes en Turquie et notamment chez la jeunesse, entraînant une forte répression de ces mouvements et une vague d’arrestations de journalistes, de cadres politiques et de manifestants.
Ces arrestations nous rappellent la pratique du lawfare. Elles rappellent aussi les longues séries de dérive autocrate en Turquie. Le 2 avril 2024, nous écrivions dans nos colonnes le récit des grandes victoires municipales remportées par le parti DEM (mouvement kurde). Des révoltes avaient éclaté après les destitutions en série de maires kurdes, remplacés par les partisans de l’AKP, parti de l’autocrate Erdogan. Notre article.
Un acharnement médiatico-politique pour écarter toute opposition à Erdogan
Le maire stambouliote et principal opposant au président turc est devenu la bête noire d’Ankara. Depuis quelques semaines, sous pression d’Erdoğan, le débat politique turc s’était cristallisé autour de ses diplômes universitaires dont la validité a soudainement été remise en cause. L’administration de l’Université d’Istanbul, soumise aux pressions, a fini par les annuler, le frappant d’une interdiction de facto de briguer la présidence.
En effet, la Constitution turque pose comme condition la possession d’un diplôme de l’enseignement supérieur pour accéder à cette fonction. Mais cette campagne de délégitimation a atteint son paroxysme le dimanche 23 mars 2025, lorsque Ekrem İmamoğlu a été incarcéré à la prison de Silivri, scellant ainsi une nouvelle étape dans l’acharnement médiatico-politique orchestré contre lui.
Ces manœuvres politiciennes de la part d’Ankara à l’égard d’Ekrem İmamoğlu ne sont pas nouvelles : son élection en 2019 à la tête de la mairie d’Istanbul avait été dans un premier temps annulée, sous pression du palais de Çankaya, ce qui avait conduit à l’organisation d’une nouvelle élection. Il avait gagné cette deuxième élection, avec un écart encore plus large.
Mais aujourd’hui, les chefs d’accusation qui lui sont fait griefs sont celui d’être à la tête d’une organisation criminelle et d’avoir bénéficié d’un système de corruption. Ce sont là des accusations infondées qui interviennent le même jour que la primaire interne au CHP (Parti républicain du peuple, social-démocrate) pour désigner le candidat à la prochaine présidentielle de 2028. Le maire d’Istanbul était candidat et il a réuni plus de 13 millions de voix lors de cette primaire. Le principal candidat adversaire au parti présidentiel de l’AKP (Parti de la justice et du développement, droite conservatrice) est donc désormais derrière les barreaux.
Une répression politique déjà mise en œuvre contre le mouvement kurde
Mais cette arrestation du maire d’Istanbul n’est pas isolée et elle s’accompagne de l’incarcération de plusieurs cadres de différents partis de gauche, dont ceux du TIP (Parti des travailleurs de Turquie, gauche de rupture) et s’inscrit dans le cadre d’une répression généralisée qui touche tout le pays depuis le coup d’État militaire avorté de 2016. Ankara organise la répression et tente d’isoler et de diviser l’opposition.
Mais ces pratiques ne sont pas nouvelles et elles font écho à la répression des élus membres du HDP (Parti démocratique des peuples, gauche de rupture et pro-kurde), devenu DEM Parti (Parti de l’égalité et de la démocratie des peuples). Ainsi, ces élus de gauche avaient également été accusés de complicité avec une organisation criminelle et terroriste et leurs mairies avaient été mises sous tutelle par les différents gouverneurs régionaux de l’Est.

En somme, plus de 26 000 militants et sympathisants liés à ce parti ont été incarcérés depuis 2018. Ces élus et militants n’avaient pas reçu de soutien massif de la part des autres partis de l’opposition, ouvrant ainsi une brèche et donnant une opportunité au président Erdoğan de recommencer cette pratique du lawfare.
Pour aller plus loin : Le Lawfare en Espagne et en France : mêmes méthodes, mêmes cibles
La pratique du lawfare : un coup d’État qui ne dit pas son nom
Le lawfare, désigne l’utilisation du système judiciaire pour combattre un ennemi politique. En Turquie, le pouvoir d’Ankara utilise l’arsenal juridique et législatif dans le but d’emprisonner toute voix discordante qui pourrait lui faire de l’ombre ou constituer une menace pour la survie du régime. Le mouvement insoumis s’était mobilisé en septembre 2019, aux côtés du président brésilien Lula, pour dénoncer cette pratique et avait rejoint l’appel international pour dénoncer cette instrumentalisation politique du droit. Jean-Luc Mélenchon s’est constamment rangé du côté du droit des kurdes dans leur lutte pour l’auto-détermination.
C’est aujourd’hui, le peuple turc qui manifeste aux côtés des avocats – le conseil de l’ordre du barreau d’Istanbul a été dissous par le pouvoir turc – pour dénoncer ce mésusage du droit qui porte atteinte aux droits démocratiques et politiques les plus élémentaires. La résistance populaire s’organise en Turquie, rappelant le grand mouvement populaire issu du mouvement du parc de Gezi en 2013 qui avait rassemblé des millions de manifestants.
Ces mobilisations avaient été réprimées dans le sang, coûtant la vie à plus de 7 manifestants. Mais douze ans après cette répression, de nouveau et par milliers, les cortèges étudiants des universités turques viennent grossir les rangs des manifestations politiques et citoyennes, au cri de slogans et de pancartes clamant : « Liberté, Egalité, Fraternité ».
Par Mustafa Duman
Crédits photo : « Turkey’s President Recep Tayyip Erdogan gives a joint press conference with Russia’s President Vladimir Putin, following their meeting at the Moscow Kremlin. Moscow, Russia », March 5, 2020, Wikimedias Commons, Mikhail Klimentyev, CC BY 4.0, pas de modifications apportées.