Le 25 avril est un peu la 2e fête nationale italienne : on y commémore la victoire sur le fascisme, en 1945, après une guerre où se mêlent lutte contre les Allemands et guerre civile contre l’ultra-fasciste République de Salò fondée par Mussolini en 1943. L’Italie fête cette année le 80e anniversaire de cette Libération italienne, fête gâchée par le gouvernement dirigé par l’extrême droite, sous prétexte de deuil papal. Ce matin, la lecture d’un article de Il Manifesto a inspiré à l’un de nos rédacteurs une réflexion sur cette amputation de la Fête de la Libération en Italie. Notre article.
La double lutte des partisans italiens contre les ultra-fascistes dirigés par Mussolini et l’armée allemande (1943-1945)
En 1943, Mussolini fonde la République de Salò, sans jeu de mots, du nom de la petite ville du bord du lac de Garde, en Italie du nord, où son gouvernement s’est établi. Le Duce avait été évincé de la tête du gouvernement italien quelques mois plus tôt, le 25 juillet 1943, par les responsables de son propre parti, le Parti National Fasciste, et arrêté, face à l’avancée des armées alliées vers Rome.
Placé en détention dans le massif du Gran Sasso, le plus haut sommet d’Italie centrale, dans les Abruzzes, il en a été délivré le 12 septembre, lors d’un raid rocambolesque ordonné par Hitler et mené par un commando SS. Il fonde alors la « République sociale italienne » le 23 septembre 1943, État en réalité contrôlé par la Wehrmacht, l’armée allemande. Un gouvernement ultra-fasciste se met en place.
Il lutte, avec l’aide des nazis (on parle alors des nazi-fascistes), contre les partisans, c’est-à-dire les résistants italiens, essentiellement les communistes, les socialistes et les démocrates-chrétiens, durant une guerre civile terrible.
Près de 100 000 partigiani à la fin de 1944, peut-être 200 000 à la fin de la guerre au printemps 1945, participent à cette lutte armée particulièrement violente. Le gouvernement de Mussolini laisse se dérouler les représailles allemandes contre les civils, comme le massacre des fosses ardéatines, près de Rome : 335 morts le 24 mars 1944, ou à Marzabotto, près de Bologne : 770 morts entre le 29 septembre et le 5 octobre 1944. Près de 44 000 partisans seraient tombés sous les balles des « nazi-fascistes » entre 1943 et 1945.
La République de Salò a aussi adopté une politique très antisémite et a activement participé à la Shoah : en quelques mois, plus de 8 500 Juifs des zones contrôlées par la République de Salò sont arrêtés, la plupart par la police du régime fasciste, et déportés à Auschwitz où ils ont été assassinés.
Pour finir, la ligne de défense allemande en Italie centrale, dite « ligne gothique », après avoir longtemps contenu les Alliés, cède enfin en décembre 1944. La défaite des nazi-fascistes se profile alors. Le 25 avril 1945, Mussolini, aux abois, tente de fuir avec une colonne de la Wehrmacht, piteusement déguisé en soldat allemand. Arrêté au bord du lac de Côme le 27 avril 1945, il est fusillé par les partisans le lendemain et son corps exposé et humilié sur une place de Milan.
Le 2 juin 1946, les Italiens (et, pour la première fois, les Italiennes) se prononcent en faveur d’un régime républicain, la monarchie s’étant, avec Victor-Emmanuel III, compromise avec le fascisme : le 2 juin, Fête de la République, devient alors jour de fête nationale italienne. Le 25 avril, Fête de la Libération, reste toutefois important dans le cœur des Italiens et a été aussi déclaré comme jour de fête nationale.
25 avril 2025 : Une fête mutilée
Or cette année, pour le 25 avril, le gouvernement italien, par la voix de Nello Musumeci, « ministre pour la Protection civile et les Politiques maritimes », le Retailleau italien, a appelé à « la sobriété que la circonstance impose à chacun », sans interdire formellement les manifestations.
Il s’agit, sous prétexte de deuil national à la suite de la mort du pape François, de limiter voire, dans certaines villes, d’annuler les cérémonies officielles de commémoration du 25 avril. Un prétexte pour ne pas fêter la fin du fascisme : quelle aubaine pour la droite et l’extrême droite au pouvoir en Italie !

Ainsi, dans la petite ville de Domodossola, au pied des Alpes lombardes, le maire Lucio Pizzi (catalogué au centre-droit) a annulé le cortège officiel avec musique et limitera la cérémonie à un simple discours. Or, la vallée d’Ossola est un peu à l’Italie ce que le Vercors est à la France : un haut lieu de la résistance des partigiani (combattants antifascistes) qui avaient, en septembre et octobre 1944, libéré la région des Allemands et des fascistes et fondé la « République d’Ossola », mais qui est tombée le 23 octobre 1944, à l’image de « notre » République martyr du Vercors.
Pour aller plus loin : En Italie, grandeur de l’historien communiste Luciano Canfora face au pouvoir néofasciste de Giorgia Meloni
Se sont illustrés dans cette République d’Ossola Gisela Floreanini, qui en a été ministre (la première femme ministre en Italie !) ou le communiste Umberto Terracini, futur président de l’Assemblée constituante italienne. Aujourd’hui, la région de Lombardie, dont Milan est la capitale, a « oublié » d’organiser les cérémonies officielles !
Sans surprise, de nombreux autres maires de droite et d’extrême droite ont annulé ou fortement limité les festivités : à Trieste (Frioul-Vénétie julienne), Ancône (Marches), Foligno (Ombrie), Orbetello (Toscane), etc. Plus étonnant (quoique…), des municipalités de centre-gauche ont aussi gâché la fête, annulant les concerts prévus, comme à Cesena (Émilie-Romagne) ou Legnano près de Milan. Sous prétexte du décès du pape François, c’est la République combattante et populaire qui est visée.
Encore deux exemples préoccupants et significatifs : dans la petite ville de Cinisello di Lombardia, le maire « centre-droit » annule et interdit toute célébration. Le secrétaire local de la CGIL (premier syndicat italien) appelle à manifester tout de même : « désobéir est nécessaire » a-t-il déclaré ! À Romano di Lombardia, le président du conseil communal Paolo Patelli a même interdit de chanter “Bella Ciao”, le chant des partisans italiens !
La boucle est bouclée : le nœud coulant du fascisme se resserre peu à peu sur l’Italie qui s’en était débarrassée il y a 80 ans. C’était un 25 avril.
Un matin je me suis levé
O bella ciao, bella ciao…
Un matin je me suis levé
Et j’ai trouvé l’envahisseur
Par Sébastien Poyard