« Un paese di resistenza ». L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.
« Un paese di resistanzia » de Shu Aiello et Catherine Cattella sort cette semaine. Il raconte le combat contemporain d’un maire et d’une ville contre la mafia et le fascisme italiens. Pour défendre un mode de vie alternatif. Plaçant l’accueil des naufragés de la méditerranée comme solution pour un village du sud de l’Italie. Un combat contre Prodi, Salvini, la N’dranghetta, et Meloni.
On n’a pas encore vu le film. Mais on se souvient du lumineux précédent « Un paese di Calabria ». Le début heureux de l’aventure de Riace et Mimmo. L’utopie réalisée. Une représentation spéciale de « Un paese di resistanzia » aura lieu ce 4 décembre au Mélies à Montreuil. En présence des réalisatrices et de quelques artistes français acteurs de la solidarité. Notre article.
Le peuple sauve le peuple – Les pauvres sauvent les pauvres
En Espagne, les gens de Valence ont crié « Le peuple sauve le peuple ». Face à l’incurie de leurs gouvernants. Depuis 30 ans, au sud de l’Italie, Riace dit et fait vivre « Les pauvres sauvent les pauvres ».
Riace c’est l’histoire d’une ville qui revit avec les migrants. Par leur sauvetage et leur accueil d’abord. Par le tissage des étrangers et des locaux pour faire ville. Mimmo Lucano en a été le maire et l’acteur. Il expose les motivations et les ressorts de l’histoire dans « Grâce à eux ». Il en a été aussi le réprouvé. Tant par les forces libérales, d’extrême-droite ou mafieuses. 10 ans de combats. Après la prison, la victoire.
Mimmo Lucano est sorti libre du tribunal le 11 octobre 2023. Ce n’est pas si souvent que nous remportons ces temps-ci de tels succès. Élu député européen en 2024. L’expérience de Riace, après une triste parenthèse avec la Liga, reprend son cours. Après dix ans de harcèlement et de persécutions. Retrait de sa fonction de maire. Bannissement de son village par la justice. Désignation par Matéo Salvini comme l’ennemi national. Accusations de prévarication (Grave manquement d’un fonctionnaire, d’un homme d’État, aux devoirs de sa charge, ndlr), malversations, association de malfaiteurs…
Les mensonges, les coups bas et la calomnie. La condamnation à 13 ans de prison et 500 000 euros d’amendes. Pour avoir fait revivre son village grâce aux migrants. Conjugué accueil, vivre ensemble et prospérité. Un modèle dangereux à la fois pour le gouvernement, les fascistes italiens et la N’dranghetta – la mafia calabraise. Intolérable démonstration.
Les débuts de l’histoire – la solution se trouve là où les autres désignent le problème
Pendant des décennies, Riace se désertifie sous l’effet de la pauvreté. En 1998, 200 kurdes échouent sur les plages de Riace. Le village, sous l’impulsion du prêtre et de Mimmo Lucano, installe les migrants dans les maisons du village abandonnées du fait de l’exode intérieur calabrais vers le nord de l’Italie ou vers l’Allemagne. Voire l’Amérique.
Avec l’emprunt contracté auprès d’une banque éthique et l’accord des propriétaires, les maisons du centre ville sont rénovées. Mimmo Lucano s’engage dans les municipales autour des valeurs d’hospitalité, consubstantielles selon lui à la Calabre. En désignant les réfugiés non pas comme un problème mais comme la solution. Et ça marche.
Pour aller plus loin : Scandale – Procès politique : Mimmo Lucano, jugé pour avoir accueilli des migrants
De fait, l’école rouvre ainsi que les petits commerces, des coopératives, le moulin à huile «free mafia» et des entreprises artisanales et agricoles. Les jeunes restent au pays. Avec la mobilisation citoyenne et l’engagement de l’équipe municipale. Un exemple : le village dans sa partie haute est escarpé et les rues étroites. Le marché du ramassage des ordures ménagères a été attribué à une coopérative de carrioles conduites par des ânes. Là où précédemment les appels d’offres conduisaient à l’allouer à des entreprises liées à la N’dranghetta, la mafia calabraise.
Pour une tâche non-effectuée. Mimmo est réélu deux fois. Il devient regardé dans le monde, cité en exemple par de nombreuses ONG et l’ONU, désigné meilleur maire de la planète par ses pairs, de nombreux articles, reportages, films dont un signé par Wim Wenders relatent cette « utopie réalisée ».
Cette aventure et ce combat, salués et observés dans le monde entier, font l’objet d’une premier film de Shu Aiello et Catherine Catella. « Un paese di Calabria ». Le film lumineux des paysages calabrais et d’un idéal en marche.
À hauteur des hommes et des femmes qui y combattent. Contre la désertification. Contre les solitudes. Contre l’abrutissement. Contre la maltraitance des étrangers… Rien n’y est compliqué quand les choix sont guidés par l’humanité. Pour Riace, l’immigration, plus qu’une chance, est la solution. Le film trace une trajectoire et une histoire collective.
Riace dans le collimateur : sous Salvini et Meloni la solidarité s’appelle escroquerie
Dès 2016, les aides économiques du Centre d’accueil extraordinaire sont coupées. En 2018, avec l’arrivée au ministère de l’Intérieur de Matteo Salvini en Italie, les aides du Système de protection pour demandeurs d’asile et réfugiés sont suspendues. Le ministre de l’Intérieur, de la Ligue du Nord, le désigne comme un ennemi à abattre. Le 1er octobre 2018, il est arrêté. Une décision de justice le bannit de Riace.
Le 5 septembre 2019, après 11 mois d’interdiction de séjour dans sa commune, l’ancien maire obtient la révocation de cette décision de justice contre l’avis du procureur, et retourne vivre dans son village après des municipales ayant donné la victoire à la Ligue du Nord. Son procès s’ouvre et en septembre 2021, il est condamné à 13 ans de prison et 500 000 euros d’amendes. Il faudra plus de deux ans pour l’appel.
Le nouveau film de Shu Aiello et Catherine Cattella traite de cette période. « Un paese di resistanzia ». En ce moment de menaces fascistes et de contagion des idées d’extrême droite, de xénophobie et racisme… voir l’intensité et les conditions d’une lutte victorieuse. En suivre un pas après l’autre.
Et la suite ?
On aura peut-être un troisième film. Celui du succès et de l’histoire de Riace qui reprend. En attendant, en ces temps de Retailleau, Le Pen et Macron, cette expérience et ce film sonnent comme un encouragement à tous ceux et celles qui ne baissent pas les bras. Une lutte entre eux et nous. Sur les enjeux d’accueil des réfugiés comme sur tous les autres. De la justice sociale à l’écologie. Le capitalisme détruit tout. Nous voulons tout remettre debout.
Par Laurent Klajbaum