Les électeurs du parti d’extrême droite ont de plus en plus de profonds vertiges ces derniers temps. Les choix stratégiques des troupes lepénistes à l’Assemblée Nationale rendent sceptiques ou furieux une partie de son électorat. Qu’il s’agisse du refus de la censure de Michel Barnier, ou encore de la destitution d’Emmanuel Macron, l’alliance entre Marine Le Pen et le chef de l’Etat a été révélé au grand jour, et affaiblit durablement le parti. Pour quel résultat ? Une abstention pour les uns, une radicalisation pour les autres.
De même, le vote à quatre reprises contre des amendements insoumis pour abroger la réforme des retraites a fissuré l’appareil, tant sur une partie de son électorat comprenant « l’arnaque sociale » inhérente à ce parti.
En 2019, le parti d’extrême droite a su surfer sur la mobilisation des « Gilets Jaunes ». Aujourd’hui, un certain nombre de Gilets Jaunes, issus des milieux populaires, voient ce qu’il se passe à l’Assemblée Nationale et s’avouent déçus par les élus RN. Tant par les votes du Rassemblement national que par le comportement, les affaires judiciaires et l’incompétence qui caractérisent une bonne partie des députés lepénistes.
Il ne faut cependant pas crier victoire trop vite : le vote pour le parti fondé par Jean-Marie Le Pen repose sur des mécanismes et des affects différents de ceux du vote de gauche. Contrairement à ce que prétendent certains, avoir un programme à la fois social et réactionnaire, ne permettra pas une victoire de la gauche. Notre brève.
La fin du mythe d’un RN anti-système
Sur les ronds-points dans des bastions électoraux du RN (Var, Douai…), ce qui frappe d’abord les déçus du parti lepéniste est l’incompétence des élus lepénistes. L’exemple le plus parlant dans le Nord est celui de la députée Christine Engrand, prise la main dans le sac en train de payer des dépenses privées avec son enveloppe de députée. Mais les casseroles judiciaires s’accumulent et mettent le RN en difficulté, notamment l’affaire des emplois fictifs au Parlement Européen, qui implique jusqu’à Jordan Bardella et Marine Le Pen. Quel genre d’anti-système sérieux se gave d’argent public sur le dos du contribuable ?
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Un autre point a été pointé par Jean-Luc Mélenchon dans une conférence du 24 octobre 2024. Une vague dégagiste traverse le pays depuis l’été 2024. Les élections législatives ont laissé tout le monde sur sa faim : Bardella se voyait déjà Premier ministre le 9 juin au soir, mais c’est bien le NFP qui est arrivé en tête le 7 juillet. Pourtant, Macron a mis un mois à nommer à Matignon un homme issu d’un parti pesant moins de 8 % dans l’électorat. Le peuple a la légitime impression de s’être fait voler l’élection.
Alors que faire dans cette situation ? Les Insoumis ont proposé des solutions : Macron ne respecte pas le résultat des élections ? LFI lance une pétition et une procédure pour le destituer. Macron nomme Barnier Premier ministre ? Les députés Insoumis déposent une motion de censure. Or, qu’ont choisi de faire Marine Le Pen et ses alliés ? Ils n’ont pas voté la motion de censure, et pire encore, ils ont bloqué la procédure de destitution du Président Macron en votant contre. Des choix qui ne passent pas du tout auprès de cette électrice du Rassemblement national : « J’étais dégoûtée. Le RN nous a lâchés aux portes de l’Assemblée ».
En quelques semaines, les reniements sociaux du RN
Les votes du parti lepéniste à l’Assemblée ont aussi bien illustré l’escroquerie sociale qu’est l’extrême droite. Sur les retraites d’abord, plusieurs fois en commission et même en hémicycle, les élus RN ont voté contre les propositions d’abrogation de la réforme des retraites, initiées par le NFP. Le sommet du ridicule a été atteint le 31 octobre, lors de la niche parlementaire du parti d’extrême droite : ce jour d’Halloween a plutôt fait penser à Carnaval, le RN ne fait passer aucun de ses textes. Marine Le Pen s’est même dite pas opposée à la retraite à 66 ans !
Sur beaucoup d’autres sujets, l’extrême droite a fait tomber le masque : quand il a fallu voter pour ou contre le rétablissement l’ISF, macronistes et RN ont voté contre. Mais l’impact de ces votes sur l’électorat du parti est à nuancer. Comme le rappelle Yann Le Lann dans le livre de l’Institut La Boétie Extrême droite : la résistible ascension, « les classes populaires qui votent pour le Rassemblement national sont, en matière de travail et d’emploi, sur des positionnements généralement antagonistes aux valeurs de gauche ». Les allées et venues de Bardella sur les retraites, qui s’est même dit favorable à une retraite à 66 ans, n’ont pas empêché le RN de gagner 40 députés par la suite.
Le racisme reste la variable principale du vote RN
Les travaux du sociologue Félicien Faury le démontrent : le dénominateur commun du vote pour le Rassemblement national, qu’il soit bourgeois ou populaire, au nord ou au sud, reste le racisme et la xénophobie. Autrement dit, faire du « fâché pas facho », s’il existe, demeure très marginal dans parmi les électeurs du parti lepéniste. L’article de Mediapart illustre bien cet aspect : même s’ils sont déçus par le comportement des députés d’extrême droite, l’obsession de la majorité de l’électorat d’extrême droite reste le racisme et l’immigration.
Certains électeurs RN se radicalisent même encore plus à droite, vers Zemmour ou Philippot. Pour eux la normalisation du parti de Marine Le Pen le fait que le parti tente de dissimuler son racisme, c’est déjà trop. Il faut néanmoins voir sur un temps plus long si cette « radicalisation » d’une partie de l’électorat RN est ou non marginale.
La séquence politique à l’Assemblée a révélé les divisions du RN, parmi les cadres comme à la base. Et pour cause, nous vivons depuis l’été dernier un moment de clarification politique. Une clarification sur cette question : qui s’oppose vraiment à Macron et à sa politique, qui représente une vraie alternative politique ?
Depuis la nomination de Barnier à Matignon et le deal entre Macron et Le Pen, cette dernière et ses fidèles claironnent sur les plateaux télé que ce sont eux, le RN, qui ont la main, eux qui dictent leur politique au Premier ministre. Une stratégie qui peut s’avérer risquée politiquement, en témoigne leur désastreuse niche parlementaire.
Pour aller plus loin : « C’est un fiasco total » – Le RN se fissure après sa fausse proposition d’abrogation de la réforme des retraites
N’oublions cependant pas que les affects de l’électorat RN, même sa frange populaire, restent de droite sur le plan socio-économique (adhésion aux idées néolibérales) mais aussi sur les questions de racisme. Mais sur le plan politique, une des motivations des électeurs lepénistes reste la détestation de Macron, voire pour certain des idées « anti-systèmes ». Voilà la faille dans le logiciel du parti d’extrême droite. Reste à espérer si ceux qui promettent aujourd’hui ne plus vouloir voter en faveur de l’extrême droite auront la même attitude dans l’isoloir.
Par Alexis Poyard