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Netanyahu sur CNEWS : Rima Hassan a raison, les médias auront des comptes à rendre

Vous n’avez pas pu le rater. Ce 23 octobre 2024, CNEWS a reçu en grande pompe le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu pour une interview en direct. L’information sort lorsque l’infâme génocidaire Meyer Habib, l’un de ses très bon amis, pose sur une photo publiée sur Twitter avec lui et la journaliste qui le recevra en personne : Laurence Ferrari. 25 minutes durant lesquelles le Premier ministre israélien va pouvoir dérouler sa propagande, sous l’œil complaisant de l’une des journalistes phares de la chaine de Vincent Bolloré.

Celle-ci était toute heureuse de l’entendre saluer le traitement médiatique de sa chaine. « J’apprécie votre chaîne CNEWS, car vous combattez pour la civilisation judéo-chrétienne », lui a déclaré Benjamin Netanyahu. 25 minutes d’interview qui illustrent la complicité des médias occidentaux vis-à-vis du génocide à Gaza. Pourraient-ils rendre des comptes devant la justice ? En tout cas, des précédents existent. Notre article.

Sur CNEWS, Netanyahu déroule sa propagande génocidaire sans être contredit ou brusqué par Laurence Ferrari

CNEWS accorde donc 25 minutes à un dirigeant menacé d’être poursuivi par la Cour Pénale Internationale et dont le pays qu’il dirige est considéré comme responsable d’un risque génocidaire à Gaza par la Cour internationale de Justice. Netanyahu déroule sa propagande tranquillement. Sur la chaine de Vincent Bolloré, il est chez lui. Laurence Ferrari ne le contredit guère, ne le brusque pas. Elle laisse passer des mensonges pourtant démentis depuis longtemps. Face à lui, Benjamin Netanyahu fait l’éloge de sa chaine « combattant pour la civilisation judéo-chrétienne ». Le même qui a d’ailleurs fait sauter des villages chrétiens au Liban.

Prenons deux exemples de questions ou de propos où le Premier ministre israélien n’a pas été contredit. « Cette aide humanitaire, elle arrive aux femmes, aux enfants, aux civils palestiniens ? », demande la journaliste. Réponse de Benjamin Netanyahu : « Nous laissons les camions humanitaires rentrer. C’est le Hamas qui les affame ! ». Culotté, lorsque l’on sait que Tsahal utilise la famine comme arme de guerre. Ce mensonge sur le blocage de l’aide humanitaire a déjà été débunké par l’ONG Oxfam en mars 2024, dans un rapport intitulé « Sept façons dont le gouvernement israélien bloque et/ou sape délibérément la réponse humanitaire internationale dans la bande de Gaza ».

Parmi ces façons, nous pouvons en citer trois du rapport d’OXFAM : Israël ne permet « l’entrée de l’aide dans la bande de Gaza que par deux points de passage, Rafah et Kerem Abu Salem/Shalom, alors qu’il serait possible d’en ouvrir d’autres » ; Israël a « réprimé des missions humanitaires, en bouclant en grande partie le nord de la bande de Gaza et en restreignant l’accès des équipes humanitaires internationales non seulement à Gaza, mais aussi à Israël et à la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est ».

Enfin, Netanyahu et ses alliés ont mené des « attaques disproportionnées et aveugles contre les ressources civiles et humanitaires (y compris les personnes), comme les installations solaires, d’eau, d’électricité et d’assainissement […] les convois d’aide et les entrepôts, même lorsque ces actifs sont censés faire l’objet d’une ‘déconfliction‘ ».

Le Premier ministre israélien citera pendant cette interview une énième fois les soi-disant « bébés décapités », « mis dans des fours », un mensonge déjà démenti, signé Tsahal, au sujet des attaques du 7 octobre 2023. « Les quarante bébés massacrés n’existaient pas. Le chef de la diplomatie numérique au ministère des affaires étrangères israélien, David Sarenga, admet qu’il y a eu « parfois des erreurs » dans la communication de l’Etat hébreu […] Démentie à l’étranger, la rumeur demeure vivace au sein de l’État hébreu », écrit Le Monde.

Génocide à Gaza : les médias peuvent-ils rendre des comptes devant la justice ?

Souvenez-vous, c’était le 8 octobre 2024. Invitée sur BFM TV en duplex depuis le Parlement européen, Rima Hassan est interrogée par les journalistes Alain Marshall et Olivier Truchot. En préambule de l’interview, l’eurodéputée insoumise a tenu à dénoncer les propos d’Olivier Rafowicz, porte-parole francophone de l’armée israélienne, tenus sur BFM TV la veille. « Votre chaine fait du travail excellent par rapport à la présentation du conflit », déclarait le très médiatique colonel de Tsahal face à un Benjamin Duhamel ne s’attendant pas à un tel compliment.

« Ça dit beaucoup de la ligne éditoriale qui est la vôtre sur le sujet. J’espère que vous vous rendez compte que vous aurez des comptes à rendre en tant que médias », a déclaré Rima Hassan, sans lever la voix. La suite est connue : les deux journalistes de BFM TV aboient comme deux chiens de garde et coupent court à l’interview au bout de 2 minutes.

L’extrait est éclairant à tous points de vue : surréaction et corporatisme à outrance des journalistes lorsqu’ils sont critiqués, quasi-impossibilité à dénoncer les crimes de Tsahal sans être coupé, voire censurée dans ce cas précis et illustration de pourquoi, effectivement, certains médias devront rendre compte vis-à-vis de leur traitement de la guerre au Proche-Orient depuis 1 an.

Pour aller plus loin : Rima Hassan censurée, panique bourgeoise et « c’est la faute de l’ONU » au Liban pour LCI – La revue de presse de L’insoumission

« Rendre des comptes ». Une réelle possibilité ? Craig Mokhiber, avocat international spécialisé dans les droits de l’homme et un ancien haut fonctionnaire des Nations unies, rappelle que des précédents existent, toutes proportions gardées et avec un contexte tout à fait différent. Par exemple, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a condamné trois personnalités médiatiques pour leur rôle dans l’incitation au génocide rwandais, notamment deux travaillant pour la radio Mille Collines.

« Vous étiez pleinement conscients du pouvoir des mots, et vous avez utilisé les médias de communication avec la plus large portée publique pour diffuser la haine et la violence… Sans arme à feu, machette ou toute autre arme physique, vous avez causé la mort de milliers de civils innocents », avait cinglé la juge Navi Pillay lorsqu’elle a prononcé la sentence finale. « Mille Collines savait ce qu’il faisait. Et aujourd’hui, CNN, Fox, BBC, le New York Times, et le Wall Street Journal savent ce qu’ils font ! », dénonce ainsi Craig Mokhiber.

Les médias mainstream français, « un danger public » : comment ils sont alignés sur la propagande de Netanyahu

Sur le traitement médiatique des médias français de la situation au Proche-Orient post 7-octobre, il faut lire le papier de Serge Halimi et Pierre Himbert paru dans Le Monde Diplomatique en février 2024, intitulé « Le journalisme français, un danger public
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Une guerre de l’information, sur laquelle Blast et Acrimed sont revenus en détail dans le cadre de leur émission commune « Quatrième pouvoir ». Le titre est éloquent : « Israël-Palestine : un naufrage médiatique sans précédent ». « En quelques semaines, la France a fait l’expérience d’un journalisme de meute qui déteste autant le débat contradictoire que la liberté d’expression », résument les deux journalistes du Monde Diplomatique.

Quels éléments de traitement médiatique peuvent attester d’une telle complicité ? L’accusation est lourde de sens. On peut citer le fait d’interviewer en grande pompe le Premier ministre génocidaire Bejamin Netanyahu sur une chaine en continu, à une heure de grande écoute, comme hier soir sur CNEWS ou le 30 mai 2024 sur le plateau de LCI, à distance.

On peut également rappeler l’omniprésence sur les plateaux, notamment de BFM TV, d’Olivier Rafowicz. Comme l’a relevé Arrêt sur Images, il a fait pas moins de 9 passages sur la chaine en 24 heures, le 1er octobre 2024. Les journalistes s’adonnent à du « mon colonel ». Des petits soldats de l’information, retranscrivant la propagande de Tsahal ? En effet, la contradiction est rarement de mise.

L’invitation permanente d’un propagandiste comme Olivier Rafowicz n’a pas du tout le même effet sur les téléspectateurs que si un journaliste, envoyé spécial de la chaine sur le terrain, faisait un travail de remise en contexte de l’information. L’omniprésence médiatique d’Olivier Rafowicz depuis un an pèse lourd dans la balance.

Le lexique employé par les médias mainstream pour parler des victimes israéliennes ou palestiniennes témoigne d’un large deux poids, deux mesures. Les israéliens sont « tués », les Palestiniens sont « morts », sans que l’on sache qui les a tués, pour résumer. Comme si les victimes palestiniennes étaient involontaires, ce qui est bien sûr est un mensonge, amenant de facto à la déshumanisation des Palestiniens. Résultat ? La création d’une acceptation du génocide en cours. Surtout si, par-dessus le marché, les médias parlent de « guerre Israël-Hamas ».

La réplique d’Israël aux attaques du 7 octobre perpétrées par le Hamas s’est transformée en génocide contre les Palestiniens. L’objectif de liquider le Hamas et de libérer les otages qu’il détient a été un élement de propagande diffusé par Netanyahu et ses alliés pour justifier au monde entier le génocide à Gaza.

Parler de guerre entre Israël et le Hamas, voire ne pas contredire Netanyahu parlant de guerre de civilisation, revient à inscrire le conflit israélo-palestinien dans le conflit de civilisation entre Bien et Mal. Par ce prisme, tous les massacres commis après le 7 octobre par l’armée de Netanyahu sont justifiés, car il faut bien détruire le Mal, non ?

Pêle-mêle, on peut citer le traitement médiatique complètement disproportionné de France Info concernant les plaidoiries à la Cour internationale de Justice en janvier 2024. En effet, la plaidoirie de l’Afrique du Sud, accusant Israël de génocide à Gaza avait été largement moins relayée que la défense israélienne le lendemain.

On rappelle également l’étouffement des contestations au sein des rédactions lorsqu’une ligne éditoriale trop « pro-israélienne » était dénoncée, comme chez BFM TV ; la différence de traitement entre les victimes israéliennes, faisant l’objet de « [portraits individuels] victimes émouvantes, tandis que les Palestiniens se trouvent souvent réduits dans les reportages à des ombres anonymes errant dans les décombres » (Le Monde diplomatique) ; ou tout simplement la hiérarchie entre les victimes civiles. Bref, Rima Hassan a vu juste. Certains médias auront des comptes à rendre.

Par Nadim Février

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Les Crayons de L’insoumission, par Azo.