« Je suis une femme totalement détruite (…) J’exprime surtout ma volonté et détermination pour qu’on change cette société ». Gisèle Pelicot témoignait ce jour pour la 3ᵉ fois dans le cadre du procès des viols des Mazan, un procès de toute la société et de sa culture du viol. En parallèle, la notion de consentement et de son intégration dans le Code pénal pour la définition du viol revient dans le débat public.
Le 6 février 2024, c’était l’objet de la proposition de loi déposée par la députée LFI Sarah Legrain, et redéposée le 18 septembre dernier. Dix jours plus tard, le ministre usurpateur de la Justice, Didier Migaud, s’y est dit favorable. À l’échelle de l’Union européenne, la France a pourtant refusé d’inscrire le consentement dans la définition du viol, malgré la Convention d’Istanbul qu’elle a ratifié en 2014 et qui le prévoit.
Ce samedi 19 octobre, des dizaines de milliers de personnes ont marché dans les rues du pays contre les violences sexistes et sexuelles, et rappeler les faits : en France, seul 1 % des poursuites pour viol débouchent sur une condamnation. « Chaque année, en France, 94.000 personnes sont victimes de viols et d’agressions sexuelles », a rappelé Nathalie Oziol, députée LFI. Dans les cortèges, de nombreux insoumis et insoumises, appelant à traduire la rage en actes. Parmi eux, l’inscription du consentement dans la définition du viol. Notre article.
Une définition du viol incomplète dans le droit français
L’article L.222-23 du Code pénal, qui définit le viol, n’a pas fini de faire parler de lui. Rappelons que cet article est rédigé comme suit : « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur, par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ».
Cette définition est insuffisante et lacunaire comme l’explique Mme Catherine Le Magueresse, doctoresse en droit et ancienne présidente de l’AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail) : « Le fait que la plaignante invoque, voire prouve, son non-consentement ne suffit pas à lui seul à caractériser les infractions de viol ou d’agression sexuelle ; en effet, l’infraction ne sera constituée que si et seulement si son auteur a agi avec « violence, contrainte, menace ou surprise ».
Seul un certain comportement de l’auteur des violences est pris en compte pour déterminer si l’infraction est constituée. Autrement dit, le seul refus des personnes victimes de se plier aux demandes sexuelles, inopérant pour les auteurs de violences, n’a pas non plus d’effet juridique légalement contraignant pour les magistrats, s’il n’est pas corroboré par la preuve du recours aux “violence, contrainte, menace ou surprise” ».
Ces quatre critères – violence, contrainte, menace ou surprise – ne permettent pas une définition pénale du viol effective. Quid de la sidération psychique qui s’empare des victimes, de la dissociation, de la contrainte implicite, des rapports de pouvoir ou de dépendance économique ? Les auteurs de la loi insoumise, portée par Sarah Legrain, le rappellent : « Pour toutes ces situations, bien que majoritaires, des non‑lieux sont prononcés parce que l’infraction ne serait pas suffisamment caractérisée. Face à ces difficultés d’interprétation et à l’absence de jurisprudence suffisante sur ces critères, le législateur doit intervenir pour clarifier la loi. »
La définition du viol n’a pas toujours été rédigée ainsi. Elle a évolué au cours du temps. La loi se transforme avec la société. Ne serait-il pas temps d’améliorer cette définition pour régler les larges défaillances de l’arsenal législatif actuel pour condamner les auteurs de violences sexuelles ?
La France en porte-à-faux avec ses propres engagements
« Prudence ! ». C’est la réponse donnée par l’ex-ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, en février dernier en réponse à la proposition de LFI d’inscrire la notion de consentement dans la définition pénale du viol. Une absence qui détonne avec les engagements internationaux de la France.
La Convention d’Istanbul, ratifié par la France en 2014, prévoit que les pays s’engagent à prendre « les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale, lorsqu’ils sont commis intentionnellement » et précise que « le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ».
De nombreux pays européens ont déjà franchi le cap en intégrant la notion de consentement à leur loi, à l’instar de la Suède, de la Grèce ou encore de l’Espagne. Deux ans après la modification de la loi en Suède, avec l’inscription du consentement dans la définition, les condamnations pour viol ont augmenté de 75 %. Une preuve de l’efficacité de la proposition.
Le consentement vaut pour un moment précis
Le consentement est défini dans le dictionnaire comme « l’acquiescement donné à un projet ; décision de ne pas s’y opposer ». Toutefois, il convient de souligner que cette définition comporte une limite et n’est pas transposable telle quelle en droit pénal, puisqu’une condition fondamentale, celle de l’espace-temps, n’apparait pas dans cette définition. En effet, tout l’enjeu du consentement sexuel est d’apprécier le lieu et le moment où il est donné. Autrement dit, donner son accord pour un acte sexuel ne vaut pas pour tout le temps. Le consentement peut être révocable à tout instant. Ainsi, le consentement doit impérativement être concomitant à l’acte sexuel.
Pour aller plus loin : Viols de Mazan – Un procès de toute la société et de sa culture du viol
Sans discernement, pas de consentement possible
Enfin, un autre enjeu concerne le discernement. Sans capacité de discernement, il n’y a pas de consentement possible. Le discernement ne peut pas être entier lorsque des mécanismes de domination sont utilisés par une personne pour arriver à ses fins. À titre d’exemple, un ou une enfant ou jeune adolescent ou adolescente de moins de 15 ans (la majorité sexuelle étant fixée à cet âge) ne peut pas consentir pleinement à un rapport avec un adulte, puisqu’il ou elle ne dispose pas d’une réelle faculté de discernement.
Le livre Le consentement de Vanessa Springora, paru en 2020, en témoigne. Elle y raconte l’emprise qu’elle a subi à 13 ans par l’écrivain Gabriel Matzneff, quinquagénaire aux moments de faits. De la même manière, une personne sous emprise morale, élevée dans une société où la culture du viol est largement banalisée, n’aura pas le discernement suffisant pour qualifier ces faits comme étant un viol. Elle pourrait malheureusement se sentir coupable et responsable de ce qui lui est arrivé.
L’absence de discernement touche également toute personne sous emprise physique (que ce soit par la force du corps de l’agresseur ou l’effet de médicaments ou de drogues). Elle ne peut pas consentir, puisqu’elle ne sera pas capable de discerner correctement la situation. L’ensemble de ces conditions posent des questions vis-à-vis de l’intégration du consentement dans la loi. Cette notion est d’ailleurs loin de faire l’unanimité, même au sein des cercles féministes.
Le consentement, résultat libre d’une volonté propre
La philosophe Manon Garcia et l’avocate Élodie Tuaillon-Hibon spécialisée dans la défense des victimes de violences sexuelles ont débattu de cette notion dans la revue La Déferlante. L’ajout de la notion dans la loi pose un problème à Manon Garcia, qui estime que ce serait recentrer les questions du procès sur le comportement de la victime. Selon elle, l’agression est un acte de l’agresseur et le crime de viol ne doit s’interpréter qu’au regard des faits de l’accusé. Élodie Tuaillon-Hibon affirme, elle, que même sans la notion de consentement, le comportement de la victime est scruté.
Elle n’est épargnée par aucune question au tribunal. Pour cette professionnelle du droit, il faut élargir la définition présente dans le Code pénal, en y ajoutant le consentement et en définissant le consentement. Elle propose de s’appuyer sur la convention d’Istanbul (dont la France est signataire) qui définit le consentement sexuel comme le résultat libre d’une volonté propre, exprimée volontairement, en fonction des circonstances et du contexte.
Par Anaëlle Boutault-Mlekuz