Le barrage républicain aura fait long feu. Nouvel exemple avec Bruno Millienne. Ex-député dégagé en 2024. Deux mois après avoir imploré les électeurs de gauche de faire barrage à l’extrême droite (ce que les insoumis ont bien mieux fait que les électeurs de droite et du centre), le bloc centriste n’en finit pas de faire des appels du pied à cette même extrême-droite.
Nous vous avions parlé dans nos colonnes du pacte « secret » entre Macron et Le Pen derrière la nomination de Michel Barnier comme Premier ministre, par la suite confirmé par la presse. Mais la banalisation de l’extrême droite par l’extrême centre remonte à bien plus loin : en plus des votes macronistes pour le RN dans l’élection du bureau de l’Assemblée Nationale en 2022, on ne compte plus les passages médiatiques plus que complaisant avec l’extrême droite.
Ils trahissent soit une accointance du « camp de la raison » envers les idées racistes et réactionnaires, soit un manque de culture politique flagrant de nos illuminés néolibéraux. Et plus souvent : les deux. Nouvel exemple en date : le porte-parole du Mouvement Démocrate (MoDem, parti centriste) Bruno Millienne qui refuse de « diaboliser » le Rassemblement National (RN) au nom de ses « 11 millions d’électeurs ». Notre article.
« Dédiabolisation » ou « Normalisation » ?
Ce lundi 9 septembre sur FranceInfo, l’ex-député MoDem Bruno Millienne (et porte-parole du parti de François Bayrou) a dit vouloir « arrêter de diaboliser le RN », au nom de ses 11 millions d’électeurs. D’abord vouloir changer de regard sur l’extrême droite uniquement à cause du poids électoral de cette dernière en dit long sur les convictions antifascistes du centre aujourd’hui : il en est dépourvu.
Ensuite le porte-parole du MoDem fait une comparaison bizarre entre cette diabolisation du RN et la négation de la dette française. À défaut d’avoir du sens, cette comparaison illustre le non-sens de cette expression de « diabolisation ». On entend depuis les années 2010 que le FN/RN se « dédiaboliserait », se purgerait de ses éléments racistes (ou en tout cas qui montreraient trop leur racisme)
Mais en regardant de près les programmes, les discours et les actions des militants et dirigeants du parti, jusqu’aux prises de position de Jordan Bardella aux dernières européennes, le constat saute aux yeux. Le Rassemblement National ne s’est en aucun cas dédiabolisé, les discours au sein du parti sont les mêmes que ceux du FN d’il y a 20 ans, toujours aussi racistes et réactionnaires.
Bruno Millienne lui-même le reconnaît et le comprend : dans la même interview, il pointe du doigt l’arrière-boutique du RN, il rappelle les immondices révélées sur les candidats RN en juin dernier (L’Insoumission.fr avait pris sa part dans ces révélations de la vraie nature du RN).
Le RN produit toujours des diables, mais le système les a normalisé
Pourtant il se refuse à « diaboliser » un parti dont il sait qu’il produit des diables de la République à la chaîne. La dédiabolisation du RN n’en est pas une : les discours, les violences et les cadres sont les mêmes, ils sont juste mieux acceptés. L’extrême droite a été normalisée.
Normalisée par les politiques de casse sociale du bloc bourgeois (LR, Renaissance…) et du PS. Normalisée par un écosystème médiatique laissé en pâture à des milliardaires pour beaucoup acquis à des idées réactionnaires. Normalisée par la prolifération des discours racistes et xénophobes initiés par les médias et partis réactionnaires derrière lesquels courent les partis dits “de gouvernement”.
Bruno Millienne et ses amis du MoDem ne s’y trompent d’ailleurs pas. A propos du député RN Thomas Ménagé, Millienne l’admet : « on se connaît ». En effet, ils se connaissent bien, ils travaillent ensemble à l’Assemblée Nationale, en commissions. Et sur les sujets chers à l’extrême droite, ils collaborent : 30 députés MoDem sur 51 (dont Bruno Millienne) ont voté pour la loi immigration, main dans la main avec l’extrême droite. Alors oui, ils se connaissent bien.
M. Millienne a beau dire qu’il est totalement opposé au programme du RN, sa posture ne résiste pas aux faits. Alors quand les divergences de fond se réduisent au fur et à mesure, quand le centre et la droite bourgeois ont donné suffisamment de gages de racisme, quand l’extrême droite a donné assez de garanties qu’il ne touchera pas à l’argent des plus riches ou à la distribution des richesses, sur quoi est-on en désaccord ?
Là encore Bruno Millienne nous donne la réponse, il est décidément bien aimable. Une fois le RN normalisé, la méthode choisie par le MoDem est de faire du « projet contre projet ». Voilà le combat contre l’extrême droite dépolitisé : le problème n’est plus politique, mais de savoir qui de l’extrême centre ou de l’extrême droite est le plus capable de gérer le capitalisme néolibéral en bout de course.
Un projet de gestion contre un autre, il n’est plus question de luttes idéologiques ou de la différence de nature entre l’extrême droite et le reste de l’échiquier politique, mais de compétence technique. Il est d’ailleurs important de rappeler que le terme “projet” vient du monde de l’entreprise (tout le monde se souvient du “Parce que c’est notre projet” de Macron en 2017) et du management néolibéral cher à Macron et Le Pen.
Le RN normalisé, la gauche marginalisée
Le bloc bourgeois a fait voler en éclat le consensus politique établi en 1944-45, qui voulait marginaliser l’extrême droite tout en intégrant la gauche radicale (à l’époque incarnée par le Parti Communiste Français) dans “l’arc républicain”. Cet arc a été tordu par les macronistes pour en sortir la gauche radicale (d’abord LFI, puis plus récemment Les Écologistes) tout en y intégrant le RN, un parti fondé par des nazis. Le tout évidemment en coopération avec un système médiatique trop heureux de diaboliser la gauche un peu trop bruyante.
Face au député RN Ménagé, Bruno Millienne est mis face à une contradiction : pourquoi refuser d’un côté la « diabolisation » du RN tout en lui opposant le barrage républicain d’un autre côté ? Après tout, Millienne lui-même s’était retiré lorsqu’il s’était trouvé dans un second tour en triangulaire, face au RN et au Nouveau Front Populaire.
Devant ce paradoxe flagrant, l’ex-député centriste oppose que la candidate NFP qui est sorti vainqueure du scrutin était issue du Parti Socialiste. Ce critère la différencie donc de la « mauvaise gauche » (LFI), tandis que la « bonne gauche » du PS reste dans l’arc républicain.
Il faut comprendre que si la candidate du NFP avait été une Insoumise, elle n’aurait pas bénéficié du retrait de Millienne, au risque de faire passer l’extrême droite. Mais même le PS est déjà trop de gauche pour le porte-parole du MoDem, son Premier secrétaire Olivier Faure l’a « déçu », sans doute parce que ce dernier est resté fidèle au NFP et à son programme. D’après Millienne le PS donc devrait faire alliance avec le centre, c’est-à-dire lui et ses amis macro, au lieu de s’allier avec La France insoumise.
Enfin Bruno Millienne rappelle que « tout dans [s]on histoire politique et personnelle » l’oppose au RN et à sa politique. On aimerait savoir en quoi. Rien dans son parcours ne fait de lui un farouche opposant à l’extrême droite. En revanche il ne se gêne pas d’insulter les députés de gauche qui ont eu le mauvais goût de s’opposer à la réforme des retraites, qui sont selon lui des “jean-foutre”. Pas si aimable que ça en fin de compte…
Alexis Poyard