Anticor. « Tu défies l’autorité, on t’apprend à la respecter ». Il est parfois bon de s’appliquer à soi-même ce que l’on exige des autres. Ce principe, Gabriel Attal a finalement dû s’y résoudre à quelques heures de quitter son bureau de Matignon, remplacé par Michel Barnier, homme du pacte Macron/Le Pen. En effet, après 444 jours d’attente et 8 procédures judiciaires, l’association de lutte contre la corruption Anticor a finalement arraché au désormais ex-Premier ministre le retour de son agrément lui permettant d’intervenir dans des affaires judiciaires politico-financières.
Perdu par l’association en juin 2023 du fait de l’ambivalence des services de Jean Castex qui avaient négligemment signé l’agrément en 2021, ce dernier n’était depuis lors détenu que par deux autres associations (Sherpa et Transparency International). Le tout, portant une grave atteinte à la lutte contre la corruption. Entre négligence assumée, vengeance politique et violation de l’État de droit, cette affaire aura encore révélé la connivence de la Macronie avec la délinquance en col blanc. Notre article.
L’agrément ministériel : arme nécessaire à la lutte contre la corruption
Fondée en 2002, Anticor se donne pour mission de « lutter contre la corruption et rétablir l’éthique en politique ». Depuis 2015, l’association, reconnue pour ses actions, s’est vue renouvelée par deux fois son agrément au titre de l’article 2-23 du Code de procédure pénale, lequel permet à toute association de lutte contre la corruption de se constituer partie civile dans des affaires politicofinancières. Concrètement, il permet aux organisations agréées d’intervenir dans les procédures judiciaires (accès au dossier, demande de réparation…), d’éviter le classement sans suite de certains dossiers et l’inaction des magistrats, ou d’ester en justice.
Renouvelable tous les trois ans, cet agrément, indispensable à toute association de lutte contre la corruption pour espérer avoir un véritable impact, est accordé par le Premier ministre sur la base de 5 critères prévus par la loi.
Mais le 23 juin 2023, voilà que le Tribunal administratif de Paris, sur la base d’un signalement de deux anciens membres de l’association, retire l’agrément dont bénéficiait Anticor. N’est alors pas mise en cause la satisfaction de l’association aux conditions d’obtention du précieux sésame, mais la rédaction négligée par les services de Jean Castex, alors Premier ministre, de l’arrêté d’agrément signé en 2021.
Pour aller plus loin : Scandale : Anticor, l’association anti-corruption, perd son agrément, la restriction des libertés prend un tournant inquiétant en France
Entre manœuvres dilatoires, refus injustifiés et violation de l’État de droit : récit d’une vengeance politique
En droit administratif, un silence de la puissance publique de plus de 6 mois vaut dans la plupart des cas refus. Ainsi, dans la foulée de la décision du Tribunal administratif de Paris du 23 juin 2023, Anticor se voit refuser sans motif une nouvelle demande d’agrément, le gouvernement ayant purement et simplement ignoré la requête de l’association. Bis repetita concernant une nouvelle demande déposée en janvier 2024. Après avoir prolongé de 2 mois l’instruction du dossier, le gouvernement, terré dans le mutisme, a une fois de plus et là encore sans justification refusé une seconde demande d’agrément d’Anticor.
En réponse et loin de se décourager, l’association saisit à nouveau le juge administratif pour contester le refus de sa demande d’agrément. Le 9 août 2024, première victoire d’Anticor : le Tribunal administratif de Paris rend une ordonnance laissant 15 jours à Gabriel Attal pour réexaminer la demande de l’association en motivant sa décision. Est notamment pointé du doigt une absence totale de justification au refus de l’agrément de d’Anticor qui crée « un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée ».
Mais 15 jours plus tard, en parfaite violation de l’État de droit, le gouvernement et son premier ministre démissionnaire avaient tout bonnement choisi d’ignorer l’ordonnance du Tribunal administratif. Pour le dire autrement, Gabriel Attal a délibérément choisi de rentrer dans l’illégalité. Alors, pourquoi une telle obstination du gouvernement à refuser l’agrément d’Anticor ? Pourquoi cette stratégie du pourrissement ? Pour Paul Cassia, président de l’association, la réponse est claire : « Le refus d’agréer Anticor est politique, pas juridique ».
Drôle de coïncidence en effet que de constater qu’Anticor est à l’origine de nombreuses enquêtes ciblant des membres de la minorité présidentielle. Citons de manière non exhaustive le dossier de la prorogation des concessions autoroutières de 2015 impliquant notamment Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ; Celui de la construction de la Tour Triangle impliquant Elisabeth Borne ; L’affaire des Mutuelles de Bretagne impliquant Richard Ferrand, ancien président de l’Assemblée nationale et proche du chef de l’État ; L’affaire MSC impliquant Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée et plus proche conseiller de Macron ; L’affaire des règlements de compte personnels d’Éric Dupond-Moretti envers des magistrats…
D’ailleurs, voici ce que déclarait Emmanuel Macron le 30 juin 2023, à peine une semaine après la perte par Anticor de son agrément : « Je peux détruire n’importe qui avec une question d’exemplarité. Demain, je peux vous faire une procédure. Anticor, ils ne font que ça. Et les procédures, ils les font durer, ils les font durer, ils les font durer. Et même si les gens à la fin ne sont pas condamnés, vous les foutez en l’air ».
Qu’il est loin l’Emmanuel Macron de 2017, auto-érigé candidat de la probité, de la transparence, et de l’exigence de la démission de ministres mis en examen.
« Tu défies l’autorité, on t’apprend à la respecter » : Gabriel Attal finalement rattrapé par la Justice
Mais l’affaire vient de connaître un dénouement victorieux pour l’association. Ce 4 septembre, après plus d’un an de combat et à l’occasion de sa saisie en référé (procédure d’urgence), le Tribunal administratif de Paris a accordé 24 heures au gouvernement pour se prononcer sur la demande d’agrément d’Anticor sous peine d’une astreinte de 1 000€ par jour de retard. Acculé et bien incapable de motiver en droit le refus politique qui était jusqu’alors celui du gouvernement, Gabriel Attal a fini par signer ce jeudi 5 septembre le renouvellement de l’agrément d’Anticor. Il aura donc été rattrapé deux fois par la justice en moins d’un mois.
Selon les mots de l’association, « cette stratégie de l’inertie volontaire [du gouvernement] a considérablement entravé le combat d’Anticor contre la corruption durant cette période ». Pour ne prendre qu’un exemple, on pourra noter qu’au mois d’avril 2024 et au motif de son absence d’agrément, Anticor s’est vu refuser un signalement auprès de la Cour de justice de la République au sujet d’une présumée prise illégale d’intérêts d’Amélie Oudéa-Castéra dans le cadre de l’organisation de la Coupe du monde de Rugby de 2023.
De manière plus générale, c’est le sujet de la lutte contre la corruption qui est mis en question par cette affaire. En 2016, elle coûtait 120 milliards d’euros par an à la France. Entre 2022 et 2023, l’indice de perception de corruption de Transparency International a vu le score de la France s’aggraver du fait du « manque d’exemplarité du pouvoir exécutif et [du] manque d’indépendance de l’autorité judiciaire ».
À toutes fins utiles, rappelons aussi qu’en France, en 2019, la fraude fiscale s’élèverait jusqu’à près de 100 milliards d’euros, contre jusqu’à 2 milliards concernant la fraude aux prestations CAF et aux cotisations sociales, dont une grande partie concerne par ailleurs la fraude patronale et des professionnels de santé.
Pendant ce temps, la France ne compte que trois associations de lutte contre la corruption agréés, et un gouvernement qui, désireux de vengeance, tente de les faire taire. Dans le monde d’Emmanuel Macron et de ses alliés de droite et d’extrême-droite, la délinquance en col blanc a encore de beaux jours devant elle.
Par Eliot