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RN et Macronie – Alliance et roucoulades autour de dîners mondains

RN. Dans un article paru ce mardi soir, Libération révélait des dîners secrets entre l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, le ministre des Armées Sébastien Lecornu et… les chefs du Rassemblement National, Marine Le Pen et Jordan Bardella. Alors que la Macronie se retrouve submergée à l’Assemblée Nationale par l’arrivée de plus de 180 députés du Nouveau Front Populaire (le camp présidentiel n’en réunissant que 160), les tractations vont bon train.

Ce qui est moins connu, c’est que les négociations ont lieu depuis des mois, en secret… avec l’extrême droite. Au centre de ces dîners aux chandelles, un proche conseiller d’Emmanuel Macron : Thierry Solère. Dans son appartement du IXe arrondissement de Paris, ce sulfureux homme de droite, homme de réseau, sert de passerelle entre la droite macroniste et le RN en vue de 2027. Notre article.

Thierry Solère : un « baron noir » ?

Thierry Solère, c’est un élu de droite assez classique : treize fois mis en examen (entre autres pour fraude fiscale, détournement de fonds publics, blanchiment… un record !), vice-président d’un conseil départemental dirigé par un ancien du groupuscule d’extrême-droite Occident (Patrick Devedjian), député de 2012 à 2022, conseiller régional depuis 2015… En 2017 comme tant d’autres, il rejoint Emmanuel Macron, dont il devient un des plus proches conseillers « officieux » depuis 2020. Ses casseroles judiciaires le poussent à s’éloigner, mais selon Libération, Solère a de plus en plus l’oreille du Président ces derniers mois.

Mais aussi celle de ses ministres, anciens et actuels. Dans son appartement rue D’Aumale (IXe arrondissement de Paris), Thierry Solère reçoit, tient salon, joue de ses réseaux. À l’Élysée, on est mal à l’aise sur le rôle que joue Solère : un conseiller du gouvernement assure qu’il n’est pas « au cœur du jeu ». Pourtant, lors des négociations entre les deux tours des élections législatives, c’est Solère lui-même qui appelle la candidate LR-RN Babette de Rozières pour la pousser à se désister, moyennant un poste de ministre ou de préfète. Solère nie l’offre de poste, mais pas l’appel.

La raison de cet appel : tenter de torpiller la candidature du NFP de l’ancien ministre de la Santé Aurélien Rousseau, recyclé par Place Publique. On a donc un conseiller du Président Macron qui négocie des postes avec une candidate d’extrême droite pour régler ses comptes, avec la complicité du chef de cabinet de Gabriel Attal. Pas mal pour quelqu’un qui n’est pas « au cœur du jeu » .

Les allées et venues ministérielles

Aux dîners de Solère, des poids lourds de la Macronie sont invités. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin (encore un ancien de LR) est par exemple venu dîner ce 24 juin rue d’Aumale, et pas seul. Sébastien Lecornu (ministre des Armées) semble être un habitué des dîners chez Solère (en plus d’être régulièrement à la table du Président avec ce dernier). Dès le soir de la dissolution, le ministre s’est rendu chez Thierry Solère, avant de revenir 5 jours plus tard, flanqué de Darmanin.

Avec l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, ils font partie d’un solide groupe d’amis de transfuges de LR, amitié que Libération qualifie de « réelle » et pas seulement politique. Darmanin, Philippe, Lecornu, Solère : quatre poids lourds de la Macronie qui préparent l’après-Macron. « Préparer l’après » veut dire manigancer pour savoir qui prendra la tête du bloc centriste, radicalisé après 7 ans, mais aussi préparer le duo/duel avec l’extrême droite.

Entre Philippe, Lecornu et Le Pen, Solère tient la chandelle

En effet, Libération révèle que Thierry Solère a reçu à sa table, plusieurs fois au cours des derniers mois, Marine Le Pen et Jordan Bardella, dirigeants du RN. Jamais les deux en même temps, parfois seuls, comme le 12 juin, où Bardella a rendu visite à Solère dans l’après-midi. Mis devant les faits par Libé, Solère nie en bloc avoir reçu le président du parti d’extrême droite.

Du côté de l’Élysée, on reconnaît que Solère joue le rôle de « liaison » entre la Macronie et la droite, « mais Bardella ou Le Pen, cela ne correspond pas à une demande du Président » dit-on dans l’entourage de Macron. Pourtant, dès 2023, Solère reconnaissait faire « le lien entre le Président et des personnalités aussi diverses que Arnaud Montebourg et Marine Le Pen ». Les dîners avec Le Pen l’ont mise face notamment au ministre des Armées, le 16 mars dernier, jusqu’à 3h du matin ! Du côté des invités comme de l’hôte, on nie en bloc encore une fois : « Qui vous a raconté ces mensonges ? »

Tout aussi inquiétant, Edouard Philippe a également dîné avec Marine Le Pen, rue d’Aumale. L’un comme l’autre ne cachent pas leurs ambitions présidentielles pour 2027, et l’ancien Premier ministre met en scène son duel avec le RN. Mais ce dîner rend la mise en scène inefficace, le spectacle ne convainc pas et les comédiens sont mauvais.

Nouvelle preuve qu’Edouard Philippe n’est pas un bon acteur : reçu hier sur le plateau de TF1, il a tenté de s’expliquer. Le maire du Havre a en réalité bafouillé, pataugé dans des explications hasardeuses. Il « aime bien rencontrer des gens », « Marine Le Pen fait plus de 30 % aux présidentielles », ce qui justifie le fait de dîner en tête-à-tête avec la représentante d’un parti fondé par d’ancien Waffen-SS. Quelque chose de très précis est néanmoins ressorti de ce dîner : Edouard Philippe a constaté des « divergences très profondes » avec Marine Le Pen ! Comme l’a relevé le journaliste qui l’interrogeait, pas besoin d’un dîner pour constater son incompatibilité avec l’extrême droite (à condition évidemment d’être un réel opposant au RN…).

Pour aller plus loin : Les « brebis galeuses » de Bardella : des dizaines de candidats RN racistes et néonazis

Suite aux révélations des dîners, une addition salée

Les réactions du camp humaniste ne se font pas attendre. Le député insoumis Aymeric Caron pointe l’hypocrisie d’Edouard Philippe : ce dernier met publiquement la France insoumise et le RN sur le même plan, mais il dîne en secret avec Marine Le Pen. Paul Vannier, un autre député LFI, dénonce le double jeu de Lecornu, qui qualifie à raison le RN « d’alliés de Poutine » en public… avant de partager leur table.

Même à droite et au centre (de Darmanin à Bayrou en passant par Pécresse), on prend ses distances avec ce genre d’initiatives (quand bien même Pécresse parle volontiers de « grand remplacement », et que Darmanin multiplie les propos d’extrême droite). 

De son côté, Marine Le Pen évoque à propos de ces dîners un acte d’une « totale normalité ». Le pire étant qu’elle a peut-être raison. Depuis des années, en parlant et en pensant comme elle, la droite « classique » banalise l’extrême droite. Et de banal, le RN est devenu normal. Il y a bien sûr les prises de positions publiques, comme quand Emmanuel Macron parle du programme soi-disant « immigrationniste » (terme que l’on doit au Front national de Jean-Marie Le Pen) du Nouveau Front Populaire, les arrangements parlementaires (comme lorsque des élus RN sont entrés au bureau de l’Assemblée Nationale avec les voix macronistes), mais aussi les politesses qu’on s’échange dans un cadre plus privé.

Maintenant des ministres et aspirants à la présidence de la République dînent aux chandelles avec l’extrême droite, on échafaude des plans, on se projette sur l’avenir (surtout pour 2027)… Face au duo entre la droite en décomposition et une extrême-droite qui a doublé son nombre de députés, la seule réelle alternative ne se trouve pas chez Edouard Philippe, ni chez les dits « macronistes de gauche », mais bien du côté du Nouveau Front Populaire, uni autour d’un programme de rupture qu’il compte bien appliquer une fois au Gouvernement.

Pour aller plus loin : Législatives – Le Nouveau Front Populaire remporte la victoire, le RN à la 3ème place

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