Sarkozy. Les journalistes d’investigation de Mediapart révèlent un nouveau scandale dans l’affaire Sarkozy. Ils y publient de nombreux échanges de messages entre son attachée presse Véronique Waché et des figures de BFM, Ruth Elkrief et Marc-Olivier Fogiel, directeur de la chaine, en particulier. Des messages obtenus par des juges d’instruction et relayés par le journal en ligne témoignent de la mobilisation quasi-militante déployée par des responsables et figures de la chaine BFM TV pour défendre Nicolas Sarkozy au moment de la fausse rétractation de Ziad Takieddine, le sulfureux homme d’affaires franco-libanais.
Les révélations de Mediapart sont sans appel : ce sont des preuves indubitables d’une large manipulation médiatique, savamment orchestrée par des responsables de la chaine en concertation avec l’équipe de Nicolas Sarkozy. On connaissait le journalisme de connivence, le journalisme de gouvernement, on découvre le journalisme de classe.
Tout l’été, l’Insoumission.fr vous propose de redécouvrir ses articles de fond. L’occasion de (re)faire le plein d’arguments pour continuer la bataille culturelle. Notre article.
L’affaire des financements libyens de Nicolas Sarkozy
Rappel du contexte. Depuis 2012, Nicolas Sarkozy est accusé d’avoir financé sa campagne présidentielle par des détournements de fonds public libyens. Des millions d’euros auraient été détournés. L’ancien Président comparaitra d’ailleurs dans le cadre de cette affaire en 2025 pour « corruption passive », « association de malfaiteurs », « financement illégal de campagne électorale » et « recel de détournement de fonds publics » libyens.
L’un des intermédiaires soupçonnés, l’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine, avait évoqué ce financement dès 2012 dans la presse. En 2016, il révélait à Mediapart l’existence de valises d’argent et de 5 millions d’euros remis à Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, ce qu’il a par la suite confirmé à des juges d’instruction.
En novembre 2020, il change totalement de version : dans une étrange vidéo publiée par BFM et Paris Match, il assure que l’ex-chef de l’État « n’a pas eu un financement libyen pour la campagne présidentielle » de 2007 ». Il a depuis été démontré que Ziad Takieddine a été convaincu de se rétracter en échange d’une grosse somme d’argent, et que Nicolas Sarkozy était au courant. C’est dans ce contexte qu’ont lieu les échanges de messages révélés aujourd’hui.
« Le boss voudrait t’avoir au tel »
Le 11 novembre 2020, la chaine BFM TV diffuse la déclaration de Ziad Takieddine, parue dans Paris Match. Toute la chaine se mobilise pour relayer à la fois cette fausse déclaration et la communication de Nicolas Sarkozy.
Ruth Elkrief, alors journaliste à BFM et aujourd’hui passée sur LCI, avertit Véronique Waché en fin d’après midi : « C’est à 18h10 premier plateau ». L’attachée de presse de Sarkozy prévient dans le même temps l’AFP : « BFM et Match sortent des choses très forts [sic] ou TAKIEDDINE dédouane Sarkozy dans l’affaire libyenne », leur écrit-elle. Elle demande aux médias de « mettre quelqu’un » sur le sujet, et les avertit : « Potentiellement, c’est toute l’affaire qui s’écroule. »
Véronique Waché invite Elkrief à contacter Sarkozy « Coucou Ruth peux-tu appeler NS ? Je t’embrasse. », ce qu’elle fait quelques minutes plus tard. Peu après, Marc-Olivier Fogiel prévient la communicante que la chaine a relayé la rétractation de Takieddine. L’échange qui suit, révélé par Mediapart, est éloquent. Les deux comparses prévoient de A à Z le déroulement de la séquence médiatique. « Il faut battre le fer tant qu’il est chaud. NS appelle RUTH » écrit Waché. « On bastonne dès vendredi après-midi et diff samedi et tout le weekend. » envoie Fogiel. Quelques minutes plus tard, l’attachée de presse lui répond : « Appelle NS. »
Mediapart détaille d’autres échanges qui ont lieu entre elle et les équipes de BFM TV, notamment pour dénigrer la « spécialiste police-justice » de la chaine, qui ne récite pas les éléments de langages sarkozystes et tente de tenir une rigueur journalistique. « On lui donne du caviar et elle mégote » écrit Bruno Jeudy. Nicolas Sarkozy est finalement interviewé par Ruth Elkrief le 13 novembre. Pendant 45 minutes, il déroule tranquillement sa défense comme prévu. Les dirigeants de la chaine s’assurent que « le boss » est satisfait. Nous relayons ici ce passage de l’article de Mediapart, le plus lunaire de tous.
Pour aller plus loin : Médias : les chiens de garde musèlent le débat public
Ruth Elkrief incarnation du journalisme de classe
Cette affaire va bien au-delà de la corruption ou de la connivence : sans attendre de consigne, ou de rémunération en échange, ces « journalistes » sont prêts à tout pour défendre les membres les plus crapuleux de leur caste face à la justice. Une belle illustration de la solidarité de classe dont fait toujours preuve la bourgeoisie lorsqu’elle se sent en danger. Le documentaire Les Nouveaux chiens de garde, tiré de l’essai éponyme de Serge Halimi, est plus que jamais d’actualité.
On comprend mieux l’empressement de Ruth Elkrief à défendre ses collègues en janvier 2023 face à la polémique suscitée par la révélation de dîners secrets entre des éditorialistes et Emmanuel Macron.
On connait le problème démocratique profond à ce que 90 % des journaux en France sont détenus par une poignée de milliardaire, qui contrôlent directement ou indirectement la ligne éditoriale et les limites de ce qui est dit à l’antenne. Vincent Bolloré a poussé ce problème à des limites jamais atteintes auparavant, avec son empire qu’il utilise afin de pousser l’extrême droite au pouvoir. Mais cette affaire illustre un problème plus profond encore. La plupart des éditorialistes et journalistes de plateaux sont au service des puissants et des gouvernements. Ils n’ont pas besoin de consignes, ils les aident volontairement. Pour enfin obtenir un jour un service de l’information juste, c’est toute la caste médiatique qui devra être balayée.
Le traitement de cette affaire Sarkozy par la chaine est d’autant plus choquant lorsqu’on le compare au traitement dont les responsables de la France insoumise font l’objet lorsqu’ils sont invités de ces mêmes personnes, sur BFM ou LCI aujourd’hui. Pensons notamment à l’émission totalement à charge contre Manuel Bompard il y a quelques semaines.