Assurance-chômage. Bien qu’Emmanuel Macron ait perdu sa légitimité politique et tout cadre démocratique suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale de dimanche dernier, son premier ministre Gabriel Attal a annoncé leur projet de passer en force pour imposer la nouvelle réforme du chômage.
« Un décret sera pris d’ici au 1ᵉʳ juillet pour cette réforme qui reste sur des paramètres qui sont ceux qui avaient été mis en place lors de la réforme de 2019, et qui surtout s’accompagnent d’un meilleur accompagnement des chômeurs vers le retour à l’emploi », a affirmé Gabriel Attal. Le décret serait suivi d’une mise en œuvre en décembre. Une méthode politique dans la droite ligne des plus de vingt 49.3 utilisés sous la présidence de Macron. À la clé : des durées d’indemnisation qui baissent drastiquement après des réformes précédentes ayant déjà baissé de plus de 25 % les montants d’indemnisation.
Une réforme à la date de péremption déjà arrêtée : le nouveau Front populaire a fait de l’abrogation de la réforme de l’assurance-chômage et de celle des retraites une priorité pour « décréter l’urgence sociale ». Notre article.
Le gouvernement procès à l’expulsion de masse des allocataires
Le président se félicite de « conserver son cap » dans sa conférence de presse de mercredi dernier. En effet, il se targue d’avoir ramené le chômage au niveau le plus bas depuis 2008.
En réalité, il a surtout privé des milliers de chômeurs de protection, les excluant de fait des chiffres du chômage. Ainsi, début 2024, on comptait plus de 6,4 millions de chômeurs en France (catégories A B C D E). Bien loin des 2,3 millions annoncés par le Président. Parmi eux, un tiers vit sous le seuil de pauvreté ! Et pour cause : seulement 5,6 millions peuvent demander l’allocation (catégorie A, B et C), et parmi eux seulement 30 % sont de fait indemnisés.
Macron veut priver encore davantage de personnes d’allocations. Il avait déjà réformé l’éligibilité en 2019 : la période minimum de travail pour être éligible est passée de 4 mois de travail dans les 28 derniers mois à 6 mois dans les 24 derniers mois. En 2024, le projet est d’exiger 8 mois sur les 20 derniers mois pour être couvert.
Assurance-chômage : Macron réduit les allocations
Macron a aussi diminué le montant des allocations. Auparavant, on le calculait en regardant le salaire moyen touché, c’est-à-dire le montant total des revenus, divisé par le nombre de mois travaillés. Depuis la réforme de 2019, on regarde le « revenu » de référence, c’est-à-dire le montant total des revenus, mais cette fois-ci divisé par le nombre de mois depuis la fin des dernières allocations chômage. Sont donc aussi comptabilisées toutes les périodes non travaillées. Par exemple, auparavant, si on avait travaillé 6 mois sur 18 mois, on prenait les 6 salaires et on les divisait par 6 mois. Depuis, on prend toujours les 6 salaires, mais on les divise par 18 mois pour obtenir l’allocation chômage mensuelle.
47% des allocataires ont été touchés par cette réforme. Ainsi, en 2022, près de la moitié des allocataires avaient une allocation inférieure à 31,59€/jour (948€ ou 979€ par mois), et 11% une allocation inférieure à 18,18€/jour (545€ ou 564€ par mois), notamment chez les moins de 25 ans non cadre en sortie de CDD ou d’intérim. Aujourd’hui, le montant moyen de l’allocation est de 1 033€ par mois. Une catastrophe aggravée par l’inflation colossale sur les produits de première nécessité depuis 2021.
Une réforme incompréhensible quand on sait que le consensus scientifique affirme que réduire les montants des allocations chômage n’a aucun impact sur la reprise d’emploi.
Pour aller plus loin : Assurance-chômage : ce que contient la dernière réforme sanglante de Macron
Le gouvernement raccourcit les périodes d’allocation
La réforme de 2023 vient réduire la durée d’allocation de 25% pour tous les allocataires. Une attaque d’ampleur absolument inédite sur l’allocation chômage ! Elle s’est faite sur le prétexte d’une baisse du chômage, l’idée étant de rendre l’allocation « contra-cyclique », c’est-à-dire de baisser les allocations quand « la conjoncture économique économique est bonne ». Pourtant, serait-il logique de ne pas être assuré contre la grippe en été ? Ou de pénaliser les chômeurs de Nice lorsque le chômage baisse en Bretagne ?
Cela a-t-il encouragé les chômeurs à reprendre un emploi ? Les premières études montrent que, effectivement, les chômeurs acceptent des emplois plus rapidement qu’auparavant. Mais ils acceptent des emplois qu’ils n’auraient pas acceptés sinon, car soit trop loin de chez eux, soit mal rémunérés, ou alors des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. Cette réforme a aussi diminué le nombre de chômeurs qui s’inscrivent à des formations, faute de temps et de ressources.
Aujourd’hui, la réforme annoncée par le gouvernement prévoit un nouveau raccourcissement de la période d’indemnisation : elle passerait de 18 à 15 mois, et de 27 à 22 mois pour les personnes de 57 ans et plus.
Le gouvernement a les mains libres grâce à un hold-up sur l’assurance chômage
Les syndicats sont fermement opposés à cette réforme. Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, dénonce un « hold-up ». La FO, la CFE-CGT, la CFTC critiquent tous la réforme, et organisent la riposte avec le soutien d’économistes comme Bruno Coquet, Michaël Zemmour, de sociologues comme Claire Vivès ou de psychologues du travail comme Dominique Lhuilier.
Comment le gouvernement peut-il agir sans le soutien de l’Assemblée Nationale, ni celui des représentants des salariés ? En arrivant au pouvoir, Macron s’est accaparé le pouvoir de diriger l’assurance chômage. En 2017, il supprime les cotisations salariales pour le chômage, rendant de fait la caisse de l’assurance chômage davantage dépendant de l’Etat pour se financer. Puis en 2018 il récupère la main sur la réglementation de la caisse d’assurance chômage, alors qu’auparavant les décisions étaient prises de manières paritaires entre les représentants des salariés et les représentants du patronat. Cette opération lui a donné les mains libres pour détruire les droits des chômeurs.
Pourquoi un tel acharnement ?
Sous prétexte de “lutter contre la précarité” et contre “l’oisiveté”, les deux réformes de 2019 et 2023 ont plongé des milliers de personnes dans la pauvreté, et la réforme de 2024 suit le même cap. L’effet sur l’emploi est minime, sauf dans les chiffres officiels qui ne comptent que les personnes éligibles. Le gouvernement a donc choisi la facilité pour pouvoir se féliciter de baisser le nombre de chômeurs, aux dépens de l’appauvrissement des sans-emplois.
Est-ce la seule raison ? Faire des économies pour la caisse d’allocation chômage ne peut être une raison prise au sérieux. La réforme de 2024 permettra de baisser les dépenses de la caisse de 4 à 5,4 milliards d’euros d’économie. Mais si cela était l’objectif du gouvernement, pourquoi a-t-il privé la caisse d’assurance chômage d’une partie cruciale de ses ressources en 2017 en supprimant les cotisations salariales pour le chômage ?
En réalité, et ce n’est pas une découverte, un chômage important permet aux entreprises d’imposer des salaires plus bas et des conditions de travail plus dures. Car un chômage important diminue le pouvoir de négociation des salariés, plus facilement remplacés. Les chômeurs sont aussi plus isolés que les salariés, et ne disposent pas de droits d’organisation ou de levier de mobilisation spécifique, contrairement aux salariés. Une manière comme une autre pour Macron de ramener “l’ordre” dans le pays.
Or, le sujet nous concerne tous ! En 2017, la moitié des salariés de 50 ans et plus avait déjà connu un épisode de chômage dans leur vie.
Par Jeanne H.