Colonialiste. Après des mois de tension, la Nouvelle-Calédonie s’embrase depuis lundi 13 mai. À l’origine de cette crise : le passage en force du Gouvernement pour sa révision constitutionnelle élargissant le corps électoral au détriment des Kanaks, pourtant vivement contestée par ce peuple qui a subi et continue de subir la colonisation. Un accord voté main dans la main avec les députés du RN, ces derniers dénonçant avec hypocrisie un embrasement qu’ils ont eux même provoqué.
Depuis les accords de Matignon en 1988 et les différents référendums d’autodétermination qui ont suivi, la question du corps électoral est centrale dans la lutte des Kanaks pour leur auto-détermination.
Les indépendantistes kanaks, peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie, réclament le retrait de cette réforme qui vient remettre en cause un système ayant permis tant bien que mal de conserver la paix civile depuis 40 ans en Nouvelle-Calédonie, dans un contexte de décolonisation inachevée. Le mépris du Gouvernement et son passage en force n’a qu’un seul effet : embraser l’île toute entière, causant des centaines de blessés et cinq morts déjà. Dans un réflexe néocolonialiste, la réponse du pouvoir macroniste ne permet pas le retour au calme. Pire, sa répression aveugle bouche toute possibilité de sortie politique par le haut à la crise.
Alors que l’état d’urgence a été décrété dès le mercredi 15 mai, le Premier ministre Gabriel Attal a aussi annoncé jeudi 16 mai l’envoi de 1000 membres des forces de l’ordre supplémentaires – GIGN, RAID, armée – et interdit l’accès au réseau social Tiktok sur l’île, une mesure hautement illibérale. Les maigres propositions de dialogue avec les indépendantistes Kanaks sont quant à elles perdues d’avance, puisque le président Macron a annoncé faire passer la révision constitutionnelle quelle que soit l’issue des discussions. Notre article.
Une (dé)colonisation qui ne passe pas
Colonie française dès 1853 jusqu’en 1946 où elle est devenue un territoire de la République, la Nouvelle-Calédonie a vu son peuple autochtone, les Kanaks, progressivement devenir minoritaires face à l’afflux des européens, dont les Caldoches, descendants des colons blancs. Depuis 1946, les Kanaks ont obtenus la nationalité française puis le droit de vote, mais la question de la cohabitation des peuples, ainsi que le problème colonial initial n’ont toujours pas été réglés en Nouvelle-Calédonie. Les conditions de vie sur place, liées à une crise économique et social violente qui dure depuis des années, se sont aussi largement dégradées, comme dans beaucoup de territoires d’Outre-Mer.
Régulièrement, les violences éclatent entre les indépendantistes kanaks et les loyalistes opposés à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, et ont mené a une quasi-guerre civile de quatre ans entre 1984 et 1988. Ces affrontements ont mené à la mort de 88 personnes, culminant avec le bain de sang de l’attaque de la grotte d’Ouvéa en 1988.
À l’époque, la question électorale était déjà au coeur des accords de Matignon signés en 1988, comme lors de l’accord de Nouméa de 1998 et des différents référendums d’autodétermination, jusqu’à aujourd’hui. Le compromis fragile trouvé en 1988 et rappelé par les mots de l’accord de Nouméa dix ans plus tard, visant à « tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensembles des pages de paix » n’a pas su aboutir. Les accords de 1988 ambitionnaient de corriger les déséquilibres socio-économiques entre communautés et prévoyaient l’organisation de plusieurs référendums locaux d’autodétermination.
Le premier d’entre eux, en 1987, sera boycotté par les Kanaks considérant que l’ouverture du corps électoral à toutes personnes vivant en Nouvelle-Calédonie depuis 3 ans était une façon de noyer démographiquement leur revendication d’indépendance. Après deux référendums en 2018 puis 2020, durant lesquels le « non » à l’indépendance l’emporte, le dernier, organisé en 2021 a largement tendu les relations entre le Gouvernement et les Kanaks. Ces derniers demandaient son report en raison de leur période de deuil du Covid, ce que le Gouvernement a refusé. Depuis, la paix civile en Nouvelle-Calédonie ne tient qu’à un fil.
Depuis plusieurs dizaines d’années, les élections sont en effet réservées aux personnes disposant de la citoyenneté calédonienne selon certaines conditions. Un système mis en place à l’époque dans le cadre du processus de décolonisation pour permettre aux kanaks autochtones de continuer de peser dans les décisions politiques de leur territoire, face au peuplement extérieur massif. La remise en cause unilatérale de cette situation par le Gouvernement est un affront aux positions des Kanaks et à leur soif d’auto-détermination. De la même manière que le dernier référendum en 2021 s’est tenu sans les Kanaks, le dégel du corps électoral se décide, là aussi, en leur absence.
Alors que la paix civile est toujours fragile, et que le spectre de la colonisation agite toujours les affrontements entre indépendantistes et anti-indépendantistes, la décision du Gouvernement d’imposer cette réforme dans un tel contexte est irresponsable. Le fiasco des dernières consultations politiques, la dégradation des conditions de vie des Kanaks et la force de leurs revendications à l’autodétermination appellent à une politique bien plus précautionneuse de la part du Gouvernement.
En bref, la réforme électorale à l’origine de la crise n’est que la face émergée du trouble d’une île – et d’un Gouvernement – qui n’a toujours pas réglé ses comptes avec son passé colonial. Et la réponse du Gouvernement ne fait que souffler sur des braises déjà brûlantes.
Passage en force et naufrage colonialiste : le Gouvernement créé l’impasse politique
C’est le vote de la révision constitutionnelle par l’Assemblée nationale dans la nuit du mardi au mercredi qui a embrasé la situation. Depuis, la Nouvelle-Calédonie est à feu et à sang. Déjà des centaines de blessés, 3 morts Kanaks et 2 policiers décédés. Et si les indépendantistes Kanaks sont les seuls pointés du doigt pour le chaos actuel, c’est aussi et avant tout la méthode gouvernementale qui embrase l’île.
Remettant en cause unilatéralement un accord ayant permis d’atteindre tant bien que mal la paix pendant près de 40 ans, le Gouvernement est actuellement impuissant face à une situation qu’il a lui même contribué à empirer. Plutôt que de saisir la gravité du moment, le président et ses ministres refusent de suspendre la réforme contestée et n’offrent aucune perspective de discussion constructive. Dans l’espoir de mater une situation qui n’a rien d’un problème d’ordre public mais tout d’une crise politique, le Gouvernement répond par une politique 100% sécuritaire.
Il a préféré décréter l’état d’urgence – inscrit dans la loi en 1955 pour faire à la guerre d’une autre colonie d’alors, l’Algérie – dès le 15 mai. Puis, envoyer les troupes, le GIGN, le RAID, et l’armée. Le Premier ministre a même annoncé bloquer l’accès à TikTok sur l’île, une mesure inédite pour les démocraties dites libérales, qui fait l’objet de plusieurs recours devant le juge. Le ministre de l’intérieur indique même que « jamais la République ne doit trembler devant les kalachnikovs », une formule insultante qui nie le caractère profondément politique des revendications du peuple Kanak.
La politique répressive du Gouvernement, soutenue par l’extrême droite, n’a d’égale que son incapacité à proposer une réponse politique à la crise. Il invite désormais les délégations calédoniennes indépendantistes à discuter en visioconférence ; mais assure dans le même temps qu’il maintiendra la réunion du Congrès pour voter la réforme quelle que soit l’issue des discussions. Un ultimatum de plus pour le peuple Kanak qui ne se sont déjà pas écouté, et ce, par un pouvoir de plus en plus brutal.
En Nouvelle-Calédonie comme ailleurs, la violence n’entraîne que la violence. La brutalité ne la stratégie du gouvernement français emmène l’archipel dans une impasse mortifère pour tous. Le retour à la paix civile est possible et il est urgent. La présidente du groupe insoumis à l’Assemblée, Mathilde Panot, l’a rappelé au micro d’Apolline de Malherbe ce vendredi 17 mai.
L’urgence de rétablir le dialogue par le retrait du texte
Pour les insoumis, « le Gouvernement doit faire un geste fort pour l’apaisement en retirant son texte » expliquent-ils dans le communiqué du groupe parlementaire. Alors que le Congrès doit être réuni à Versailles « avant la fin juin » selon Emmanuel Macron, la seule sortie de crise réside dans la mis en suspens du projet de révision constitutionnelle et la mise en place d’une mission de dialogue ambitieuse pour résoudre la situation en responsabilité et en respect du peuple Kanak. « Le dégel du corps électoral ne peut pas avoir lieu en dehors d’un accord négocié et accepté par tous » abonde le communiqué.
Dès le mois de mars, les insoumis ont dénoncé la « stratégie du coup de force de la Macronie [qui] avive les tensions en Nouvelle-Calédonie ». Une délégation insoumise s’était d’ailleurs rendu sur place pour préparer l’examen du projet de révision constitutionnelle, visite pendant laquelle les députés ont rencontré les différents acteurs calédoniens, tant Kanaks indépendantistes que les populations anti-indépendantistes.
Le lundi 13 mai, quatre représentants de la France insoumise, dont Jean-Luc Mélenchon et Mathilde Panot, ont publié une tribune dans le journal Le Monde, demandant le retrait du texte constitutionnel et appelant le Gouvernement à une réelle politique du dialogue. « La méthode du Gouvernement est inadmissible. Il faut reprendre la discussion dans des conditions stables, rigoureuses et apaisées afin que les peuples de Calédonie puissent définir ensemble leur destin commun » concluent les insoumis à la fin de la tribune. Le 15 mai, Mathilde Panot, au nom du groupe parlementaire insoumis, a demandé au Premier ministre d’organiser d’urgence un débat sur la situation, suivi d’un vote, au titre de l’article 50-1 de la Constitution.
Pour aller plus loin : La Nouvelle-Calédonie-Kanaky mérite notre solidarité, note de blog de Jean-Luc Mélenchon
Pour l’heure, la spirale de violence doit absolument être endiguée. Le retour autour de la table des négociations ne peut être rendu possible que par le retrait du texte par le Gouvernement et l’abandon de sa politique néocolonialiste faisant de la revendication d’un peuple à son l’indépendance un seul problème d’ordre public. Il faut aujourd’hui un « accord politique global » en Nouvelle-Calédonie a rappelé le député LFI Bastien Lachaud.
« 170 ans d’acharnement n’ont pas suffi à abattre la volonté kanake de redevenir souveraine de son destin et nul n’y parviendra jamais. Il n’y a pas d’autre issue à une situation coloniale que la décolonisation, et tout le reste est une perte de temps » résume Jean-Luc Mélenchon lors de sa visite au Sénégal. Face à un Gouvernement incapable de résoudre une situation qu’il a lui même rendu désespérée, il faut désormais réunir les conditions nécessaires à la continuation du processus de décolonisation et au retour de la paix civile en Nouvelle-Calédonie.
Par Zoé Pébay