Nouvelle étape de notre tour de France de l’insoumission, arrêt à Auterive, commune la plus pauvre de Haute-Garonne. Rencontre avec Yacina Loillier, Inspectrice phytosanitaire et militante humaniste infatigable. Son activité professionnelle lui fait sillonner la campagne de 8 départements de la région Occitanie. Elle nous raconte les agriculteurs avec 200 euros par mois pour survivre et nous emmène dans une exploitation. Yacina Loillier se bat pour un nouveau droit révolutionnaire : la Sécurité sociale de l’alimentation. Accident du travail, engagement syndical, politique, histoire familial, récit de luttes victorieuses, d’une vie extraordinaire, une vie insoumise. Portrait.
Yacina Loillier ouvre les yeux le 30 mars 1977 à Lavelanet, petite ville d’Ariège. Son père est un immigré d’Algérie, il arrive en France à 25 ans pour devenir ouvrier textile, comme la quasi-totalité des hommes de la région du Pays-d’Olmes. Son grand-père paternel fait parti du FLN. Son grand père maternel a été harki. Après la guerre d’indépendance, il sera prisonnier. Aidé par des amis, il réussit à fuir l’Algérie et c’est dans le camps de harki à Bias, dans le Lot-et-Garonne, un camp entouré de barbelés, où le droit de sortir n’est autorisé que pour aller travailler, que sa famille maternelle va découvrir la France dans des conditions de vie ignobles.
C’est en 1972 que les parents de Yacina se rencontrent. Ils auront 5 enfants. La famille grandit à Lavelanet. Yacina y fera l’école puis le collège avec une certaine Bénédicte Taurine, future députée insoumise. On est dans les années 80, c’est le début des délocalisations. Les usines de textile ferment. Son père se retrouve au chômage. « Très tôt, je prends conscience que l’avenir va être dur et difficile pour nous, parce qu’on est pauvre ».
Yacina Loillier, les racines de la lutte
Yacina perd sa mère à l’âge de 9 ans. Son père est au chômage. Pendant des années, elle répond la même chose quand il faut remplir la fiche d’information à l’école « père : au chômage ; mère : décédée ». Quand son père est arrivé en France, il ne savait ni lire ni écrire. À 40 ans il reprendra le chemin de l’école pour apprendre. Dans la même période il s’engagera au parti communiste. Un engagement qui court jusqu’à aujourd’hui : « une tête de mule, comme les anciens et comme moi d’ailleurs. Fidèle à son parti et à ses valeurs, tout comme moi fidèle à la France insoumise et à son programme ».
Son père est un homme silencieux. Pas de vague. Il travaille. Il va décrocher un contrat emploi et solidarité à la mairie. Titularisé à l’issu du stage, son père devient ouvrier polyvalent à la mairie. Il répète à ses enfants : « Faut être fonctionnaire, il y a la sécurité de l’emploi ». Papa n’est plus au chômage. Ils sont 5 sur son seul salaire de catégorie C. C’est dur, mais « on a eu plein d’amour, mais on ne se le dit pas chez nous, il y a beaucoup de pudeur ». Le premier témoignage d’amour ?
Son oncle, lui aussi venu d’Algérie, meurt de façon brutal. Yacina a un électrochoc : « il y a des choses qu’on ne se disait pas, on reproduisait l’éducation, mais là mon père perdait son grand frère. C’est là que je lui ai dit : Papa on t’aime ». C’est la première fois que Yacina voit son père pleurer. Il répond que lui aussi. « L’homme dur nous montre qu’il est sensible lui aussi, mais très vite, faut aller de l’avant ». Comme quand les enfants ont perdu leur mère, pas le temps de s’apitoyer. « Mon père, il mettait le tablier. Je vais pleurer car mon père c’est ma vie. Quand tu vois tout ce qu’il a traversé…».
Ce n’est pas la première fois dans mon tour de France de l’insoumission, que les camarades craquent. En racontant leur histoire, beaucoup de choses remontent. Et je crois aussi que c’est la racine de l’engagement pour beaucoup d’entre nous. Quand tu as souffert, tu es plus sensible à la souffrance des autres. Quand tu n’as pas eu une vie toute tracée : classe prépa, Science Po / l’ENA pour devenir professionnel de la politique, mais qu’à la place de la ligne droite, tu as connu des virages, des parcours de gueules cassées, et que tu as réussi à t’en sortir, tu peux transformer le vécu en une force bien plus belle que celle des lignards.
Yacina essuie ses larmes. « Quand tu vois le courage qu’il a eu. À la mort de ma mère, mon petit frère avait 3 ans, le plus grand en avait 12. Il savait que la vie allait être difficile. C’est pour ça qu’il fallait qu’on soit soudé et qu’on ne soit pas une plaie pour mon père ». La rage et la détermination sans faille de Yacina viennent sans doute de là. Elle voit son père courir pour venir les chercher à l’école, travailler, cuisiner le soir. « Il faisait tout. Nous on était des princes et princesses. On ne débarrassait même pas la table. Sa priorité, c’était qu’on soit bien, c’était de maintenir notre insouciance malgré les difficultés de la vie et la pauvreté ».
Le père va leur transmettre une valeur en or massif : la solidarité. Déjà enfant, Yacina ne supporte pas l’injustice. Un de ses camarades de classe, tout petit et tout maigre, se fait tabasser ? Yacina débarque et le « fracasse ». Tu touches les plus faibles ? Yacina te soulève. « Je me suis assagis avec le temps, mais j’étais bagarreuse ». La déconstruction de la virilité : la super-héroïne de la cour de récré était une fille.
En CM2, un camarade est nul en maths. L’instituteur l’interroge systématiquement. À chaque mauvaise réponse, l’instit lui prend la tête et la tape contre sur bureau. Une autre époque. Yacina se met à côté de Damien et lui souffle les réponses. Le professeur arrête de le frapper. Il pense que c’est grâce à ses coups que le gamin s’est amélioré en maths. Une lumière.
La première mobilisation politique de Yacina ? Le mouvement contre la loi Devaquet. Comme Martine, Christian, et tant d’autres camarades rencontrés, combien nous ont parlé de cette mobilisation comme élément décisif dans leur parcours militant. Yacina a 9 ans, mais elle se rappelle encore du slogan. Elle y va sur les épaules de son père.
À 19 ans, direction la grande ville pour les études, direction Toulouse. « Je débarque de ma bourgade ». On est en 96. Y’a pas d’arrangement. C’est parti pour une licence de 3 ans. La matière : administration économique et sociale. Saisonnière l’été, Yacina travaille en parallèle. « Je ne veux pas être un poids pour mon père ». Elle va devenir vacataire au service vétérinaire. Retour à Foix, en Ariège. Yacina travaille dans le contrôle sanitaire, dans les abattoirs, elle contrôle les viandes qui sortent, le but : garantir la sécuritaire sanitaire des aliments qui arrivent dans nos assiettes.
L’engagement syndical après un accident du travail
Et c’est à l’issue d’un de ses contrôles, que la vie de Yacina va basculer dans la lutte. On est en 2003. Dans un abattoir, Yacina aiguise le couteau avec le fusil. Le gant protège la main gauche, mais pas la droite. Le couteau tombe. Elle se coupe le 3ème doigt. Accident du travail. La Sécurité sociale ne va prendre en charge que 60% de son salaire. Qui paye les 40% restant ? Le RH lui dit que le reste de son salaire est perdu. Yacina cherche sur internet et appelle la SYGMA – FSU. Ils lui envoient les textes. Yacina rappelle sa direction en connaissant son droit. Elle obtient les 40% restants. L’engagement syndical de Yacina Loillier vient de commencer.
Après sa première bataille personnelle, sa première bataille collective : un plan de dé-précarisation, pour les oubliés du ministère de l’Agriculture, composé à 30% de contractuels. « Moi petite ariégeoise, on me donne le numéro d’Oliver Julien, le responsable départemental du syndicat ». De cette rencontre naît un mouvement assez dur : le blocage des abattoirs, pour la titularisation de tous les contractuels. Victoire. Les contractuels d’au moins 4 ans d’ancienneté, sont titularisés par la voix de la dé précarisation. Deuxième bataille, deuxième victoire. « Je chope le virus ça y est. De ce jour-là, je n’ai plus arrêté de lutter ».
Nouvelle bataille : obtenir des protections individuelles pour les salariés des abattoirs. « Il fait moins 5 là-dedans, t’es congelé ». Mais la direction ne veut pas payer de sur-chaussures pour 10 euros de frais de port. « Si ce n’est pas livré demain matin, on pose les couteaux, on pose les estampilles, on ne travaille pas. Pour 10 euros ? Ils nous prennent pour des chiens ? ». Livraison le lendemain matin aux aurores de sur-chaussures et de sur-blouses. Troisième victoire. Yacina est repérée par la SYGMA (qui va devenir le SNUITAM- FSU en 2010).
En 2010, Yacina Loillier monte au bureau national de la FSU. « J’arrive toute timide au BN ». Premier mandat de 2010 à 2014. Un deuxième mandat va suivre durant lequel Yacina va mener la bataille contre la loi El Khomri. En 2013, plus le cœur de travailler en abattoir, Yacina va bosser au service régional de l’alimentation à Toulouse, sur le contrôle phytosanitaires, au contact des agriculteurs.
La misère des agriculteurs, 200 euros par mois pour vivre, les invisibles du monde agricole
Son activité professionnelle va lui faire sillonner la campagne de 8 départements de la région Midi-Pyrénées (Occitanie aujourd’hui). Yacina côtoie la misère. « Tu arrives dans une exploitation, tu te demandes comment on peut laisser les gens là ». Plusieurs contrôles vont la marquer. Les gros exploitants préemptent le foncier agricole et n’ont aucune pitié.
Un contrôle en Aveyron va l’impacter. Yacina tape le lieu-dit sur son GPS. Elle arrive sur le chemin. Des poubelles entassées, des carcasses de voitures, et une ruine. Yacina se dit que c’est une déchetterie. Elle va demander à la maison voisine où vit l’agriculteur qu’elle doit contrôler. Il vit dans le taudis. « Pour moi c’est impensable, inhumain, que l’agriculteur vive là-dedans. Des poubelles dedans, dehors, la porte entre ouverte, la misère ». La voisine l’accompagne. Sort alors l’agriculteur.
Yacina discute avec lui. Son frère habite la belle maison d’à côté. Elle se demande comment il peut laisser son propre frère vivre là-dedans, dans des ordures. L’agriculteur est stressé, tout pas bien. Il est censé récolter de la luzerne, mais il y a tellement de mauvaises herbes dans son champ, que la récolte est impossible. Il a payé la coopérative, pour zéro rendement. La coopérative fait payer des semences à des agriculteurs en difficultés, qui ne peuvent pas récolter derrière, au lieu de laisser leur terre en jachère, de quand même toucher les aides de la PAC, de faire du foin et de le revendre derrière.
L’agriculteur n’utilise pas de produits phytosanitaires, il va pouvoir toucher la totalité de ses aides PAC. « C’était pas besef, c’était 2 000 euros ». 2 000 euros, par an. Ça fait 200 euros par mois. Il est patron, il ne peut pas toucher le RSA. Pas de salaire, pas d’autre revenu : 200 euros par mois pour vivre. Et encore, il doit rembourser les semences. « Il ne s’en sort pas. C’est pour ça qu’il vit dans un taudis ». Un agriculteur se suicide tous les deux jours en France. L’après-midi, Yacina m’emmènera dans une exploitation. L’agriculteur me racontera les conditions de vies de ses collègues. Exploités, oubliés, délaissés. Un combat à porter à gauche.
Auterive. 10 000 habitants. Haute Garonne. La ville où vit Yacina. Elle me raconte le contrôle d’un des quatre exploitants agricoles de sa ville. Un petit céréalier, 12 hectares. Elle arrive chez l’agriculteur, pareil, un taudis. Il lui sert un café. La tasse est noire, la casserole est noire. Comme beaucoup de ses collègues, Yacina va être malade parce qu’elle n’ose pas refuser et blesser cet agriculteur. Il touche 5 000 euros d’aide PAC. Mais il doit de l’argent aux coopératives pour les semences, crédits à la banque. « Les agriculteurs sont pieds et poings liées avec les coopératives et les lobbys pharmaceutiques. Aujourd’hui les agriculteurs, ce sont les ouvriers des coopératives ». Même s’ils sont propriétaires, les agriculteurs ne sont plus maîtres de leur terre, de leurs choix de production.
5 000 euros d’aide PAC versés au mois d’Octobre, aspirés directement pour rembourser la banque. Chaque année, c’est la même histoire. Il lui reste zéro euros par mois pour vivre. « Quand je te dis il vit dans la misère, c’est la misère : il n’a pas de chauffage, quand les fenêtres sont cassées, elles restent cassées, il fait froid ». Heureusement, son frère est là. Il travaille ici, au Carrefour d’Auterive. Il l’aide. Mais à part lui, il n’a personne. « Ils n’ont aucune vie sociale, et ça il faut l’écrire ». Aucune vie sociale, donc ils sont invisibles. Les invisibles d’en bas.
Yacina voit de tout, des grosses et des petites exploitations, surtout des céréales. Blé. Tournesol. Sorgho. Maïs. « On pourrait parler aussi des bassines, de l’accaparement de l’eau ». Sujet devenu d’actualité avec Sainte-Soline, combat porté depuis des décennies par Yacina et les insoumis.
Les petits sont voués à mourir. Les banquiers n’attendent que ça : tu ne peux plus rembourser, on va saisir ta terre et la revendre. Yacina travaille donc sur 8 départements. Elle y voit des inégalités incroyables. D’un côté l’agriculteur qui a 12 hectares. De l’autre, celui qui a 300 hectares. Le deuxième attend que le premier fasse faillite pour l’avaler. Eux par contre, ils vivent bien. Ils sont libres de vendre en fonction du cours de la céréale, car ils ont de quoi stocker. On les appelait les accapareurs en 1789. La clé de l’indépendance c’est le stockage, les grands silos qu’on voit sur le bord des routes à la campagne. « Quand tu vois ces gros silos, tu sais que l’agriculteur il est bien, il est autonome, lui il spécule, pas de difficulté ».
Bienvenue dans la jungle.Les gros attendent que les petits soient dépourvus de défense, pour les prendre en chasse et les dévorer. Le capitalisme charognard. Problème : quand un méga exploitant part à la retraite, personne n’est en capacité de reprendre sa méga exploitation. Qui, sortant d’un lycée agricole, peut racheter une ferme de plusieurs centaines d’hectares, une méga-ferme qui vaut 2 millions d’euros ? La banque ne suit pas. La seule solution : la transmission aux enfants.
On part dans le Gers. On s’installe dans une cuisine. L’agriculteur offre le café. Son fils commence à parler. Il a 20 ans. « Hé, Papa, c’est quand qu’ils vendent leurs 50 hectares ? On va leur racheter. Comme ça on aura 300 hectares ». Yacina sent monter la colère. « Ce petit gars, arrogant, a tout qui lui tombe du ciel, mais il se comporte comme un businessman qui s’est fait tout seul ». Elle décide de l’ignorer. Le père, très humble, lui explique comment la ferme est transmise de générations en générations. « Et c’est ce petit morveux vorace qui va récupérer tout le fruit de tout ce travail ». Un parasite d’en haut.
Yacina grille une cigarette à la fenêtre. Il fait nuit. C’est le calme plat sur la campagne occitane. La soirée est douce. « On passe des rires aux larmes, si tu fais écouter l’entretien à Maxime, il va rigoler ». Yacina fait référence à Maxime Charpotier, mon collègue de l’époque et meilleur ami à la France insoumise. En 4 ans à faire ce boulot, je me rends compte qu’on en a vu du pays. Mais des Yacina, il n’y en a pas deux. Lors de la campagne des législatives, j’étais descendu à Toulouse faire le portrait de François Piquemal, et les camarades rencontrés sur place étaient unanimes : sans Yacina, pas de campagnes dans la région, c’est la Zizou locale, c’est elle qui distribue et qui organise la lutte. Plus récemment, lors de la campagne de Bénédicte Taurine en Ariège, c’est Yacina qui va porter une grande partie de la campagne sur ses épaules. La fatigue ne semble pas avoir prise sur son corps.
L’engagement politique
On reprend notre souffle, et le fil de l’entretien. On récapitule. 2013 : Yacina arrête le contrôle sanitaire dans les abattoirs, pour devenir inspectrice phytosanitaire. Dans la région de Toulouse, toujours, évidemment. 2015 : deuxième mandat de secrétaire national. 2016 : bataille contre la loi ElKhomri. 2017 : se pose la question de l’engagement politique.
« En 2017, j’ai voté Jean-Luc Mélenchon, mais je n’ai pas fait campagne ». Le meeting à Toulouse va quand même la marquer. Peut-être le plus beau meeting de la campagne de 2017, avec celui de Marseille : 70 000 personnes et un grand discours sur le vieux-port. Yacina fait campagne auprès de ses collègues et alerte : « Attention c’est un banquier qui se présente, il va nous mener la vie dure. J’explique autour de moi pourquoi je vais voter Mélenchon, comment convaincre 10 personnes autour de toi ». Yacina lit le programme, l’Avenir en Commun. Expliquer simplement pourquoi elle croit en ce programme, c’est comme ça qu’elle arrive à convaincre. C’est le début de son engagement politique.
Yacina continue le combat syndical en parallèle. Des victoires locales, mais au national ça ne bouge toujours pas. Le point d’indice des fonctionnaires est toujours gelé. Frigorifié même. Et Emmanuel
Macron va faire beaucoup de mal aux services publics. Les petites batailles ne suffisent plus. Yacina va vivre la frustration que beaucoup d’entre nous avons vécu après des années d’engagement syndicaux ou associatifs, l’impression de vider l’océan avec une petite cuillère. Yacina va donc s’engager pour changer les choses à l’échelle où tout se décide.
Yacina suit les 17 députés insoumis, il y a Bénédicte Taurine en Ariège. « Et Mélenchon me plaît : il a mon caractère, il est têtu. Il maîtrise les sujets. Combien de fois sur les sujets agricultures ou eau je me suis dit : il va se planter, il ne connaît pas le sujet. Et en fait il est brillant ». Yacina s’abonne à sa chaîne Youtube. « Et ça devient obsessionnel ». Le soir en rentrant du boulot, Yacina réécoute les débats télévisés et les discours de Jean-Luc Mélenchon. Grâce à la chaîne Youtube créée par Antoine Léaument et alimentée par l’incroyable boulot de notre (petite) équipe, notamment par Flore Cathala, Maxime Charpotier, Maxime Viancin et Milan Prados, Yacina choppe le virus.
Jean-Luc Mélenchon devient une source d’inspiration pour Yacina. En 2019, Yacina devient bénévole aux universités d’été de La France insoumise. Les « AMFIS » se tiennent chez elle, à Toulouse. C’est là qu’on se rencontre. « Quand tu luttes dans ton coin, tu as l’impression d’être folle, tu as l’impression d’être toute seule à voir ces injustices et à vouloir les combattre ». Yacina fait de l’hébergement solidaire sur l’événement. Elle fait de sacrés rencontres. « Et ça me plaît d’aider, de rencontrer du monde. Je viens de trouver ma famille politique, c’est des utopistes comme moi. Il y a des hauts et des bas, mais on va finir par gagner. Ce qui nous anime, la soif de justice, c’est plus fort qu’eux ».
Vient la bataille des retraites en 2019, déjà. Elle crée le groupe d’action à Auterive, dans sa ville. Ils commencent à 10, ils vont finir à 100. Les vendredis sur le marché d’Auterive, les samedis à Muret. Arrive le premier confinement. Un coup d’arrêt à une incroyable année militante, qui aura vu naître dans le pays les deux plus longs mouvements sociaux depuis des décennies : les Gilets Jaunes et les retraites. Pendant le confinement, Yacina va faire les maraudes. Elle s’engage en tant que bénévole avec le DAL au côté de François Piquemal, guerrier du droit au logement, l’un des 10 portraits de ce livre.
Après les 2 mois de confinements, Yacina propose de ramener un peu de joie aux gens:elle propose à Mathieu, le binôme de son groupe d’action insoumis, de sortir sa guitare, à un camarade de faire des sketchs, et de voir comment les gens réagissent. Ils impriment les paroles de la chanson de HK, Danser encore. Un militantisme « festif mais sérieux ». Ils sont une douzaine sur le marché. Des actions tous les week-end. « On se sent bien tous ensemble. On se rencontre ».
Yacina et ses camarades prennent la température pour 2022. « La République c’est moi, combien de fois on l’a entendu ? Moi aussi j’ai été déçu de Jean-Luc Mélenchon, pourquoi il se met en colère comme ça, mais je n’avais pas la vidéo en intégralité. Et quand j’ai pu la visualiser, je me suis dit : on s’est fait avoir par ces médias. Pour moi, en tant que mère de famille, ses colères, je les comprends : on touche à sa famille politique, on bafoue le droit. Finalement, je réalisé que cette colère de Mélenchon ça lui donne un côté humain, sincère, que d’autres n’ont pas. Et là je me dis : Mélenchon, tu as mon soutien indéfectible ». Emmanuel Macron ferme des lits d’hôpitaux avec le sourire, bien propre sur lui. Quand on lui ressort la « République c’est moi » sur les marchés, Yacina prend le temps de donner sa vision des choses, de discuter.
Yacina défend le mouvement, mais sait aussi le critiquer. « Il y en a marre : des députés oublient pourquoi ils ont été élus. Ils sont élus du peuple, pas pour savoir dans 4 ans qui sera candidat. Les gens ont faim. Les gens, ils en ont marre. 200 euros par mois pour vivre. C’est ça les vraies préoccupations des gens, pas les embrouilles de politicard, ils s’en tamponnent. Je suis en colère. Mais ce qui m’aide à tenir, c’est la cause ! La cause est plus forte que tout le reste ». Avec le passage de 17 à 75 députés, une crise de croissance, avec, forcément, le risque que pour certains la lutte des places passe avant la lutte des classes, le risque de se transformer en new PS, de vivre dans une bulle politicienne déconnectée des gens.
Yacina revient sur l’incroyable campagne présidentielle de 2022. « Plus ça avance, et plus j’y crois. On va gagner. Dans le Djean Luca Mélenchonné, tout est bonné ». Elle accentue son accent toulousain, on rigole. Après l’invincible espoir de la campagne présidentielle, une dernière ligne droite de folie, l’atterrissage est rude. Yacina pleur, elle se sent orpheline. Vient la NUPES. Elle va faire la campagne législative avec des camarades d’autres partis de gauche, avec un gros travail de terrain dans la ruralité, tout donner, jusqu’au vendredi 23h59, et réussir à battre le RN. Une nouvelle lutte victorieuse.
Mais avant de conclure, Yacina veut aborder un dernier combat : la sécurité sociale de l’alimentation. Pour un nouveau droit : que tout le monde puisse accéder à des produits de qualité et soit libre de choisir. Un combat social et écologique, qui permettrait de soutenir les petits agriculteurs et de redonner de la dignité aux familles les plus précaires. Le projet : une carte vitale pour manger, avec 5 euros par jour, 150 euros par mois/personne. Avec plusieurs sources de financement à l’étude. Pour un nouveau droit révolutionnaire. Le prolongement du combat de Marat et quelques autres de 1789 à 1793 : le droit à la subsistance, contre les accapareurs, pour que l’Égalité ne soit plus uniquement formelle, civique, sur les frontons des mairies du pays, mais qu’advienne enfin l’Égalité réelle, l’égalité sociale.
Par Pierre Joigneaux.