Lycée professionnel. Pour tenter de sortir, sans succès, de cette mobilisation historique contre sa réforme des retraites, le chef de l’État a choisi sa nouvelle cible : l’enseignement professionnel. Il a présenté les contours de son projeeeet jeudi 4 mai 2023 à Saintes. Son objectif ? Saper un savoir-faire né de l’esprit de 1945. Un enseignement de qualité, l’une des clés du génie français reconnu pendant des décennies dans le monde entier.
Pour le chef de l’État, la formation professionnelle initiale doit quitter le giron de l’Éducation Nationale, pour passer sous la coupe du Ministère du Travail, et à travers celui-ci, répondre aux desiderata des (grandes) entreprises. Cette casse de l’enseignement professionnel touchera en premier lieu les lycéens de cette filière, venant de milieux plus précaires que ceux suivant l’enseignement général. Notre article.
Macron attaque le cœur du monde du travail une nouvelle fois
En cette période de fort vacillement du mode de production capitaliste, dans un pays dont le président est un petit copiste des feuilles de route néo-libérales, deux réformes attaquent au cœur le monde du travail. Une tenaille à deux crochets, dont chacune exerce sa pression à une extrémité du parcours professionnel.
La première, la réforme des retraites tente d’imposer la » valeur travail » comme contrainte à servir le capital jusqu’au bout de ses forces. Le temps de la retraite n’est plus alors qu’un bref répit pour panser au mieux ses plaies avant le grand départ. Ceci est surtout vrai pour les ouvriers et employés de première et deuxième ligne, les petits patrons sous-traitants, les managers de terrain…
L’autre réforme, celle des lycées professionnels, veut saper un savoir-faire né de l’esprit de 1945. Dédié au premier chef aux catégories de population listées plus haut, la vie au lycée professionnel est peu connue, essentiellement parce que les jeunes dont les parents ont accès aux médias ne le fréquentent pas.
Enseignement professionnel : un changement de tutelle ministérielle qui en dit long
Le temps du lycée professionnel vise à offrir aux jeunes qu’il accueille un espace où construire la dignité du travail. Pédagogie du concret, mise en lien des connaissances et des finalités des connaissances. Petits effectifs où l’individu est considéré et entendu. Ateliers où les gestes professionnels ont le temps de maturer. Vision globale et dynamique du métier, base indispensable pour une perspective d’évolution de carrière et d’adaptation aux changements techniques.
Les diplômes délivrés sont nationaux et en corrélation avec les grilles de salaires consignées dans les conventions collectives. Ces conventions collectives ont reçu un coup fatal via la loi El Khomri (2016) et les ordonnances Macron (2017) qui ont inversé la hiérarchie des normes. Il s’agit maintenant d’abattre le deuxième pilier porteur de la qualification professionnelle, une formation sous-tendue par une visée émancipatrice.
Les lycées professionnels doivent disparaître. La formation professionnelle initiale doit quitter le giron de l’Éducation Nationale, pour passer sous la coupe du Ministère du Travail, et à travers celui-ci, répondre aux desiderata des (grandes) entreprises. La commande est exprimée par les patrons de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie) et a été parfaitement entendue par Emmanuel Macron dès 2016, quand il s’est porté candidat.
Pour l’efficacité de la « valeur travail» au service du capital, il faut des jeunes fragilisés, pauvres assemblages de briques de compétences, dépendants des demandes erratiques d’un marché du travail sans vision, non planifié. Il faut des jeunes perpétuellement en risque du manque de la compétence supplémentaire. Les compétences, comme liste jamais close, ne se projettent pas comme totalité. C’est cette incomplétude que les chargés de ressources humaines nomment « employabilité ».
Par opposition, la qualification est portée par l’individu et se renforce au fil des expériences, qu’elle repose sur une certification (un diplôme) ou sur une validation des acquis de l’expérience.
Attaquer la sérénité au travail sur le temps de la jeunesse (précarisée 2 ans plus tôt) et simultanément sur le temps des seniors (en souffrance 2 ans de plus) ne laisse que quelques années de maturité professionnelle. Sur ce temps intermédiaire, la discrimination syndicale, le management toxique, les plans de sauvegarde de l’emploi devraient vous occuper suffisamment pour que jamais vous vienne l’envie d’envisager d’être un jour souverain sur votre travail.
Retour sur la casse du lycée professionnel en France
Le cadre étant posé, voici quelques repères pour suivre les contre-réformes du lycée professionnel.
Dans un premier temps le lycée professionnel est rogné. De quatre ans dans les années 80, le parcours du bac pro est réduit à 3 ans en 2009. Les jeunes perdent des heures de formation. L’entrée en lycée pro est de plus en plus précoce (15 ans), la sortie plus jeune (20-22 ans il y a 10 dix ans, 18 ans aujourd’hui).
Dans un deuxième temps, il s’agira de torpiller l’enseignement en lycée professionnel en développant à marche forcée l’apprentissage.
La loi Macron-Pénicaud du 5 septembre 2018 libéralise l’offre de formation, en supprimant les contrôles à l’ouverture des CFA (Centre de formation d’apprentis) : 1000 CFA en 2019 – 3000 en 2022.
Pour accélérer le processus, l’État se fait corrupteur. Les acteurs sont achetés. Les employeurs qui embauchent des apprentis reçoivent des aides « exceptionnelles », reconduites d’année en année en année, et finalement prorogées jusqu’en 2027. Avant 2018, les dépenses publiques consacrées à l’apprentissage se montaient à 5,5 milliards d’euros. En 2021, les aides aux apprentis et aux employeurs sont de 5,7 milliards, auxquels s’ajoutent le coût de financement des contrats et de financement des CFA pour 5,3 milliards, soit un total de 11,3 milliards.
Or, selon une étude OpinionWay de 2022, 40% des entreprises ne recruteront plus de jeunes en contrat d’alternance si les aides prennent fin. Un jeune en apprentissage ne coûte que quelques centaines d’euros par an à son employeur. « Dans l’industrie, dans les bureaux, tu mets en rotation 3 apprentis Bac +3, ça te coûte tellement moins cher qu’1 CDI employé confirmé de 35 ans. Et les ‘vieux apprentis’ forment les arrivants avant de partir dans la nature. » (témoignage recueilli sur Twitter).
Les chefs d’établissements et les enseignants des lycées professionnels se voient proposer des primes quand ils favorisent l’apprentissage. Le pacte du ministère de l’éducation nationale liste par exemple les primes pour les « formateurs qui participeront à la réussite de la réforme ». À traduire par « Sciez la branche sur laquelle vous êtes assis et vous serez récompensés pour colmater les plaies et bosses du tout-apprentissage ».
Le bilan qui peut être dressé sur la base des premières années de la présidence Macron est très alarmant. En prolongeant la perspective à partir des faits observés, on peut tirer certaines conclusions.
On arrive lentement mais sûrement à « l’apprentissage dès la 5ème » lancé par Macron en Avril 2022.
« Tous les collégiens auront de la découverte des métiers » annonce ces jours-ci Carole Grandjean, ministre déléguée de l’Enseignement et de la Formation Professionnelle. Propos repris par Pap Ndiaye : « Pour favoriser le rapprochement du monde de l’entreprise avec celui de l’école, le temps de découverte des métiers sera généralisé de manière progressive dans tous les collèges à la rentrée 2023, puis pour chaque classe de 5e, 4e et 3e à la rentrée 2024 ».
Les jeunes des classes populaires ont, sauf sursaut qui se ferait jour, perdu les lycées professionnels qui leur permettaient de bénéficier d’un sas de reprise de confiance en leurs capacités avant d’être lancés sur le marché du travail. Avec le tout-apprentissage, ils n’ont que le choix de l’employabilité. Ils en paient le prix fort car le taux d’accident du travail explose en proportion du nombre d’apprentis : 200.000 apprentis en 1980, 980 000 au 31 décembre 2022, et 13.000 accidents du travail, dont 15 mortels en 2019. En lycée professionnel, les accidents d’atelier restent rares.
Les filières de formation tertiaire, peu coûteuses à mettre en œuvre, sont offertes aux CFA privés, qui affichent des taux de rentabilité de 19 %. Le secteur des services, c’est 71% de l’apprentissage super subventionné, contre 22% des élèves actuellement en lycée pro. Ces sections vont donc, sous divers prétextes, disparaître très rapidement des lycées professionnels.
Actuellement, 56% des formations CAP dispensées en lycée professionnel sont dédiées à la production. En CFA et malgré les milliards de subventions, leur nombre plafonne à 17%. En effet celles-ci nécessitent des plateaux techniques coûteux, qui feraient chuter le taux de rentabilité pour l’offreur de formation… D’où des réponses contrastées selon les filières.
Les patrons de choc, l’UIMM et la filière de la métallurgie, tout à leur impatience de récupérer les écoles d’entreprise que l’esprit de 1945 leur avait arrachées, sont prêts. Ils contrôlent leurs propres CFA, où sont dispensés des formations articulées en parcours, balisés par des certificats de compétences, déliés de tout droit salarial. Les diplômes nationaux sont passés à la trappe.
Les organisations patronales moins autonomes, donc plus assistées, comme le BTP, pourront encore compter sur les lycées professionnels et leurs équipements. Les équipes sont sommées et/ou incitées à composer avec un public mixte d’apprentis et d’élèves.
Dans cette configuration, la planification, les circuits courts industriels et les changements d’organisation des chaines de production resteront cantonnés aux discours. Dans les faits, seule la logique du profit, portée par les libéraux, aura les moyens de ses décisions via la mise sur la formation initiale des jeunes.
Pour aller plus loin : De la chair à patron, le projeeet de Macron pour la jeunesse ouvrière
Vers la privatisation de l’enseignement professionnel ?
Réussir dans l’enseignement général ou passer les obstacles pour décrocher une formation dépendante d’un contrat d’apprentissage, sont deux voies étroites et le nombre de jeunes laissés sans solution devrait mécaniquement exploser. Aussi une troisième voie, ouverte bien entendu aux subventions publiques, est en train d’éclore. Les écoles de production sont des « établissements » où des élèves produisent pour des entreprises sans être rémunérés. Les promoteurs souhaiteraient pouvoir aborder les collégiens en classe de 4e ou de 3e pour leur faire connaître cette « offre ». Ils notent que pour l’instant l’Éducation Nationale est peu encline à ouvrir ses portes. Le bagne d’enfants disruptif devra attendre un peu pour bénéficier des qualificatifs dithyrambiques associés actuellement à la « voie royale » de l’apprentissage.
L’enseignement initial professionnel vient de clairement de basculer vers la privatisation. Peut-on sérieusement penser que l’enseignement général restera préservé ? Le rapport McKinsey intitulé « Éclairer les évolutions du métier d’enseignant au XXIème siècle » éclaire surtout le projet d’école et de système éducatif que nos élites ont pensé pour nous : « Les connaissances académiques devraient laisser une place grandissante à des compétences cognitives avancées, numériques et socio-comportementales très liées avec l’insertion professionnelle et définies en partenariat avec des acteurs économiques. »
Comme souvent ces dernières années, les contre-réformes du système éducatif ont d’abord été mises en œuvre au lycée professionnel, plus fragile et moins observé. Suivre attentivement ce qui s’y passe peut permettre d’anticiper et de ne pas se laisser déborder par de nouvelles attaques ciblées portées par nos adversaires.
Par Gwenaëla Caprani
Sources conseillées pour approfondir le sujet :
https://blogs.alternatives-economiques.fr/abherve
https://blogs.mediapart.fr/nasr-lakhsassi