Que cherche Gérald Darmanin ? Dimanche 2 avril le camp de l’émancipation, les héritiers de la philosophie des Lumières, de l’humanisme, du mouvement ouvrier, découvrent, pas vraiment surpris, mais franchement consternés, la « Une » du Journal du Dimanche (JDD) : Gérald Darmanin s’insurge contre le « terrorisme intellectuel » de « l’extrême gauche ».
Cette expression a été forgée par des idéologues d’extrême droite. En ciblant « l’extrême gauche », entendue comme toutes les personnes qui luttent contre les ravages du capitalisme, que cherche le ministre de l’Intérieur ? Son objectif serait-il de transformer la droite gaulliste en droite trumpiste ? Son projet serait-il ainsi de rassembler une large partie des électeurs de Macron et Le Pen et espérer gagner la présidentielle de 2027 ? C’est sans compte sur la résistance, plus unie que jamais grâce à la bataille des retraites. Notre article.
Dimanche 2 avril. Le camp de l’émancipation, les héritiers de la philosophie des Lumières, de l’humanisme, du mouvement ouvrier, découvrent, pas vraiment surpris, mais franchement consternés, la « Une » du JDD.
On y voit le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin qui s’insurge contre le « terrorisme intellectuel » de « l’extrême gauche ». Comme le résume bien Libération : « On ne découvre pas Gérald Darmanin mais il arrive encore à nous navrer. »
Le terrorisme intellectuel, bannière pour unir tous les racistes et les cajoleurs de patrons
Cette expression a été forgée par Jean Sévilla, journaliste au Figaro, adepte du roman national (présent aux universités d’été de Reconquête !) appuyée par le politologue Pierre-André Taguieff et le journaliste Alain de Benoist, militant d’extrême droite de longue date.
La signification de cette expression est molle. Elle renvoie globalement à l’idée « qu’on ne peut plus rien dire » aujourd’hui, en particulier si c’est raciste, sexiste, grossophobe, homophobe, validiste. Et ça vraiment, c’est nul.
On pourrait la comparer à l’expression « cancel culture » aux Etats-Unis de Donald Trump où ses partisans ont popularisé cette expression pour disqualifier toutes celles et ceux qui jugeaient intolérables les propos misogynes du nouveau champion de la droite. (Pour mémoire, celui-ci déclarait : « Et quand tu es une star, elles te laissent faire. Tu fais tout ce que tu veux. Tu peux les attraper par la chatte. »)
Mais ce n’est pas le sens de cette expression qui intéresse le ministre. Au contraire. Vu que cela ne veut rien dire.
Le terrorisme, on le rappelle au ministre censé être responsable de la sécurité intérieure de la Nation, c’est quand on tue des gens. Pour de vrai. Comme au Bataclan. Le terrorisme, le vrai, ce sont des milliers de morts dans le monde. Des milliers de famille et de proches ravagés par la tristesse, les syndromes post-traumatiques.
Le terrorisme, ce sont des centaines de milliers de personnes en France, comme vous peut-être, qui ont été marquées, parfois à vie, qui ont toujours cette pensée glaçante, lancinante, chaque fois qu’elles s’assoient à la terrasse d’un café. Donc non, le terrorisme n’a aucun lien avec ces vieux mâles blancs hétéros qui regrettent ce bon temps où ils pouvaient jouir de leur privilège en toute tranquillité.
Ce qui intéresse Gérald Darmanin lorsqu’il utilise cette expression de « terrorisme intellectuel » c’est sa filiation, son origine, les personnalités politiques qui l’ont précédé dans l’usage : Nicolas Sarkozy, Jean-Marie Le Pen, Eric Zemmour, Marine Le Pen et Marion Maréchal.
Tous ces gens partagent une idéologie qu’on pourrait tenter de résumer ainsi :
1- si la France va mal, ce ne sont pas à cause des milliardaires qui s’accaparent les richesses produites par les travailleurs. Non les grands patrons sont tous gentils, ils ne visent que le bien commun, il ne faut jamais, jamais leur prendre de l’argent pour le redistribuer à ceux qui en ont besoin.
2 – Ceux qui ruinent le pays, ce sont les exilés venus d’Afrique, les Noirs, les Roms, les musulmans. C’est sur ces personnes qui tentent de survivre au racisme ambiant et aux discriminations quotidiennes qu’il faut s’acharner pour le bien de tous les autres.
Ainsi, s’attaquer au « terrorisme intellectuel » de « l’extrême gauche » pourrait permettre à Gérald Darmanin de réunir toute cette famille idéologique longtemps fracturée par la tradition gaulliste d’une droite qui se souvenait alors qui étaient ses adversaires démocratiques, et qui sont les ennemis de la République. Mais tout cela s’est effrité sous les coups d’Emmanuel Macron. Son ministre de l’Intérieur récolte à la fois les fruits d’une dédiabolisation de Marine Le Pen depuis que Macron est au pouvoir, et surtout ceux d’une diabolisation de la NUPES et de Jean-Luc Mélenchon en plein mouvement social historique contre la retraite à 64 ans.
Pour aller plus loin : Diaboliser Mélenchon, dédiaboliser Le Pen : le jeu terriblement dangereux de Macron
Le JDD s’installe en tête des chiens de garde du système libéral-autoritaire
Avec cette interview, le JDD, propriété de Bolloré, confirme son statut de cellule de communication de la frange la plus brutale du macronisme. Celle qui rend hommage le Maréchal Pétain. Celle qui se réjouit d’unir ses forces jusqu’à l’extrême-droite pour battre la NUPES en Ariège.
Le journal ne se contente pas de publier ce ramassis d’éléments de langage pensés pour racoler les nostalgiques du bon vieux temps de la Collaboration ou de l’Algérie française. Jérôme Béglé, le directeur de la rédaction, se fend d’un édito pour attirer le chaland en manque de bouillie autoritaire imprimée après avoir sûrement terminé sa lecture hebdo de Valeurs Actuelles.
Dans un bel exercice d’esprit critique et de recul journalistique, il encourage à lire l’interview de son champion. Il promet un entretien sans abus de langage, effet de manches ou emphase. Et vante un Gérald Darmanin qui conserve lucidité et pragmatisme face à une France insoumise qui parie sur le chaos, les violences, les vitrines brisées, les forces de l’ordre blessées.
Avec un large espace politique à conquérir, au moins un milliardaire pour le soutenir, Gérald Darmanin se pose comme une des principales figure montante d’une droite toujours en quête d’un chef incontesté pour satisfaire ses désirs d’autorité. Et ce n’est pas une bonne nouvelle pour le respect des libertés fondamentales dans notre pays.
Gérald Darmanin est une répugnante souillure sur l’image de la France dans le monde
À la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Dunja Mijatović qui s’alarme d’un « usage excessif de la force » envers les manifestants, au rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté d’association, Clément Voule, le ministre de l’Intérieur ne trouve rien de mieux à répondre qu’une cinglante et méprisante invitation à se rendre « sur le terrain ».
Comme si lui avait posé un bout de ses mocassins à glands dans la boue maculée du sang des défenseurs de l’environnement à Sainte-Soline. Comme si l’usage massif des gazs lacrymogène, grenades et LBD lors des mouvements sociaux n’avait pas fait des centaines de blessés. Comme si cette doctrine brutale du maintien de l’ordre, impulsée par Manuel Valls et poursuivie par Cazeneuve, Castaner et Darmanin n’avait pas entraîné la mort de 3 personnes depuis 2014 : Rémi Fraisse, Steve Maia Caniço, Zineb Redouane. Un record en Europe selon 20 minutes.
Contre l’union des 50 nuances de droite…
Le sondage Ifop publié dans ce même JDD est extrêmement explicite sur ce rapprochement des droites. En cas de dissolution de l’Assemblée nationale, les intentions de vote pour la Nupes sont stables, en légère hausse depuis novembre, et toujours en tête du premier tour. À droite en revanche, les équilibres sont bouleversés, la minorité présidentielle perd 5 points (de 27 à 22%). Le Rassemblement national gagne 5 points (de 21 à 26%).
Pour aller plus loin : En Ariège, l’alliance de 50 nuances de droites
Les gens de droite abandonnent le radeau à la dérive du macronisme pour se reporter sur une candidate qui porte le même programme économique des macroniste (prendre l’argent dans les poches des plus pauvres pour continuer les baisses d’impôts des plus riches), le racisme décomplexé en plus. Et c’est sur ce terreau ultra fertilisé par le premier quinquennat Macron que Darmanin cherche à bâtir une écurie politique capable d’achever la mue de la droite gaullienne en droite trumpiste. Une écurie capable de le porter lui, comme une espèce de Bolsonaro français, à l’Élysée.
…la Résistance
Face à ce pyromane, il existe heureusement une autre culture en France : celle de la résistance à l’oppression, de l’implication populaire, la culture de la démocratie, du pouvoir au peuple, la culture des sans-culottes et des communards. Aujourd’hui, ce sont sûrement les parents de Serge, le camarade toujours entre la vie et la mort après avoir reçu une grenade à Sainte-Soline il y a 10 jours, qui en sont l’incarnation la plus vivace.
Alors, nous vous laissons avec leurs mots, emplis de la rage d’un couple confronté à sa pire terreur : voir leur enfant, le fruit de leur amour, entre la vie et la mort. Un couple qui choisit, pour surmonter, dépasser, transcender l’horreur dans lequel Gérald Darmanin les a plongés, d’appeler à la solidarité, à la convergence des luttes d’émancipation, à la création et la protection d’espaces de libertés, de souveraineté populaire.
« Soyons solidaires de tout ce que Darmanin veut éradiquer, dissoudre, enfermer, mutiler – du mouvement des retraites aux comités antirépression, des futures ZAD au mouvement des blocages. Le terrorisme et la violence sont chaque jour du côté de l’Etat, pas de celles et ceux qui manifestent leur rejet d’un ordre destructeur. »
Par Ulysse