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Retraites : Macron n’a jamais été aussi seul, nous n’avons jamais été aussi nombreux

Macronie. Depuis le 49.3, le mouvement social a changé de dimension. Nous sommes entrés dans une conjoncture fluide où tout est possible. Des manifestations sauvages partent de partout, plus nombreuses et plus jeunes qu’au moment des Gilets Jaunes. Les groupes sont ultras mobiles. Le système repose sur des forces de l’ordre épuisées. Ce commandant CRS résume peut-être la situation : « on est à la veille d’une insurrection, j’ai peur qu’un de mes gars tue un manifestant ». Nous y sommes : un camarade est entre la vie et la mort, après les scènes de guerre à Sainte-Soline. Un manifestant est mort à Nantes en rentrant chez lui.

Nous sommes dans un moment de décrochement total de l’idéologie dominante. Le président, celui qui représentait autrefois le capitalisme triomphant, est plus isolé que jamais. Le président n’a jamais eu une légitimité aussi fragile. Et ne semble pas vraiment mesurer quelle réserve de rage il vient de libérer. Comme l’écrit avec brio l’écrivain Nicolas Mathieu, la République est dirigée par « des enfants avec une boîte d’allumettes ».

Emmanuel Macron crée cet exploit là : souder contre lui, rassembler Assas, Cergy et Saint-Sandré-de-Cubzac

La prise de parole du président mercredi sur TF1 n’a fait qu’empirer la situation. Le lendemain, « la foule sans légitimité » s’est transformée en peuple. Dans les rues du pays, on a assisté à la plus forte mobilisation depuis mai 68 (à égalité avec le 7 mars). Des vagues qui emportent avec elles de plus en plus de primo manifestants : dans la jeunesse, dans les petites villes, comme à Poligny, ville de 4000 habitants dans le Jura, où a eu lieu jeudi la première manifestation depuis le début du mouvement. Emmanuel Macron crée cet exploit là : souder contre lui, rassembler les universités d’Assas (Paris) et Cergy (Val-d’Oise), mobilisées pour la première fois ce jeudi, et Saint-André-de-Cubzac (Nouvelle Aquitaine). Avec de la solidarité dans les cortèges, de la fraternité, les gens se parlent sans se connaître, comme aux grandes heures des Gilets Jaunes.

Ici deux tonnes de produits alimentaires distribuées aux grévistes par des agriculteurs solidaires, ce restaurateur libanais qui apporte des fallafels dans une nasse. Comme le souligne l’insoumission.fr depuis maintenant deux mois : des ronds-points sont repris dans tout le pays. Et les Gilets Jaunes sont rejoints par des syndicats, des insoumis, des routiers, des éboueurs, et par la jeunesse. C’est l’unité populaire sur les ronds-points. Des opérations villes mortes ont lieu en Bretagne, à Rennes et Nantes, mais aussi à Lille, à Toulouse, à Lyon, à Caen, et ainsi de suite. Des agglomérations entières sont paralysées. Des zones industrielles, commerciales, des grands axes routiers, sont bloqués. Il suffit de se réveiller depuis 2 mois en ouvrant les réseaux de l’insoumission pour s’en apercevoir : ça fourmille et ça bloque de partout.

Les Gilets Jaunes, c’était que le samedi. Le printemps du peuple 2023, c’est tous les jours.

Les beaux quartiers des grandes villes croulent sous des poubelles, qui, le soir venu, se transforment en barricades enflammées. Les réquisitions du gouvernement donnent des scènes dantesques, comme à Fos-sur-Mer où des ouvriers font reculer des CRS dans des images dignes d’un blockbuster marxiste. Des raffineries du pays sont toujours à l’arrêt, les pénuries d’essence touchent des milliers de stations services et font tache d’huile. Des milliers de blocages de routes, d’usines, de centres commerciaux ont lieu aux quatre coins du pays. L’insoumission.fr documente ces blocages depuis maintenant plus de deux mois grâce à nos plus de 50 reporters à travers le pays, qui se lèvent parfois dès 4 heures du matin, dans le froid, pour vous donner l’espoir, pour contrer la petite musique de BFM, des médias du capital et de ses experts qui vous vendent l’essoufflement annoncé. Leur logiciel bugge, quand, comme jeudi, le mouvement au lieu de s’essouffler, grossit encore : erreur 404 sur le plateau de CNEWS qui craint le retour du communisme. Délicieux.

Depuis l’annonce du 49.3, le mouvement social a changé de nature. Le mouvement avance en débordant. Dire que la crise politique que nous traversons est un moment « pré-révolutionnaire », une exagération gauchiste ? Nous sommes en plein dans la « conjoncture fluide » décrite par le sociologue Michel Dobry, ou dans la phase destituante de la révolution citoyenne théorisée par Jean-Luc Mélenchon. Aucun prophète ni expert ne peut prédire ce qui va se passer, mais le mouvement est profond, les vagues déferlent, les démonstrations de force par millions et les sauvages enflammées par petits groupes mobiles se complètent, les forces de l’ordre sont dépassées, épuisées. Les Gilets Jaunes, c’était que le samedi. Le printemps du peuple 2023, c’est tous les jours.

La venue de Charles III à Versailles ? Annulée. La venue de Macron au match des bleus au stade de France ? Annulée. Le roi est confiné. Le néolibéralisme est sous assistance respiratoire.

Nous sommes non seulement dans un moment de décrochement de l’idéologie dominante, mais dans un moment où la légitimité de l’idéologie capitaliste s’effondre tellement, qu’il ne lui reste plus que la contrainte. Et le monopole de la violence physique n’est plus légitime. Emmanuel Macron a été élu par 21% des inscrits sur les listes électorales, ils ne sont plus que 8% à avoir été convaincus de son passage sur TF1 mercredi. Le monarque a tellement personnifié le pouvoir, qu’il ne peut plus sortir. La venue de Charles III à Versailles ? Annulée. La venue du président au match des bleus au stade de France ? Annulée. Le roi est confiné. Le néolibéralisme est sous assistance respiratoire. Le projet capitaliste, l’accumulation infinie du capital, la croissance, la féroce compétition européenne, la mondialisation, les traités de libre échange, ne font plus rêver personne. La jeunesse ne rêve pas de devenir milliardaire, mais de pouvoir survivre.

75% des jeunes trouvent l’avenir effrayant à cause de la crise climatique (l’éco-anxiété), le GIEC alerte : 75% des humains pourraient mourir de chaud d’ici 2100 si rien n’est fait, beaucoup de nos amis sont en dépression et en burn-out, un fait social qui, contrairement aux clichés sur une maladie réservée uniquement aux jeunes cadres dynamiques, fracasse toutes les classes. Tous les secteurs sont touchés : l’hôpital, évidemment, mais aussi les serveurs, la grande distribution, les assurances, la travailleurs sociaux, les associations, et ainsi de suite. Plus d’un agriculteur sur deux est en burn out, les chiffres d’épuisement professionnels chez les agriculteurs sont particulièrement alarmants. Chez le personnel politique, aussi. Aucun secteur n’est épargné par l’accélération sociale et l’aliénation, la critique du paradoxe de la modernité du grand Hartmut Rosa : c’est l’accélération partout. 2,5 millions de salariés sont en état de burn out sévère dans notre pays.

La lutte des classes, l’éléphant au milieu de la pièce

Alors qu’on célèbre l’anniversaire des 140 ans de la mort de Karl Marx (lire l’hommage de l’insoumission.fr), sa pensée n’a peut-être jamais été d’une aussi brûlante actualité. Emmanuel Macron a osé déclaré sur TF1 : « jamais les smicards n’ont autant vu leur pouvoir d’achat augmenter ». Oui ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait. Pendant que vous pleurez des larmes de sang à la pompe, Total encaisse : 20,5 milliards d’euros de profit l’année dernière, le bénéfice net le plus élevé jamais réalisé par un groupe français. La lutte entre le capital et le travail, l’éléphant au milieu de la pièce.

La lutte des classes n’a jamais disparu, l’inflation est là pour la réveiller. Les assistés d’en haut prennent 157 milliards d’euros d’aides publiques chaque année sans aucune contrepartie (captées essentiellement par le CAC 40, pas les PME), mais les gueux vont devoir charbonner deux ans de plus pour rapporter 12 milliards euros. L’injustice fiscale, dénoncée par les Gilets Jaunes, est totale. L’amateurisme fiscal de ce gouvernement est à peine croyable : l’OFCE révèle que la réforme rapporterait seulement 2,8 milliards d’euros, si on prend en compte le coût de la misère que provoquerait la retraite à 64 ans.

Mais dans cette guerre des classes, un facteur est à prendre en compte : l’épuisement des forces de l’ordre. Le système ne tient plus que par les lacrymos et les LBD. Ceux qui les tirent sont lessivés. Les violences policières ont franchi un nouveau stade à Sainte-Soline. 4000 grenades tirées, une par minute. Les députés LFI demandent l’ouverture d’une Commission d’enquête. La dénonciation insoumise des violences policières est partagée par la Ligue des droits de l’homme (LDH), le syndicat de la Magistrature, la Défenseure des droits, l’ONU, et même le Conseil de l’Europe qui s’alarme d’un « usage excessif de la force » en France.

La France en burn-out

Le pays est en burn-out : l’Hôpital est en burn-out, 69 hôpitaux et 107 services sont menacés de fermeture ce lundi 3 avril, l’Éducation nationale est en burn-out, elle recrute les professeurs de la République en speed-dating de 30 minutes, l’Université et ses étudiants sont en burn-out, en file d’attentes interminables pour pouvoir bouffer, la Ve République est en burn-out : plus de la moitié des Français sont restés chez eux lors des dernières législatives, la légitimité des « représentants du peuple » en est toute relative, les transports du quotidien sont en burn-out, plus que jamais bondés, le train n’a jamais été aussi cher, pendant que la SNCF prend 2,4 milliards de bénéfices records, notre dernière usine de poches à perfusion menace d’être engloutie par la compétition européenne, les pénuries de médicaments s’enchainent… La France du marché ne marche plus.

Et l’homme qui symbolise ce monde, le Macron-capitalisme, ne marche plus. La France d’Uber et McKinsey ne fait plus rêver personne. Ses députés n’osent plus sortir. Ses ministres annulent leurs déplacements. L’Élysée annule la venue du Roi d’Angleterre. L’Élysée annule la venue du président au stade de France. L’extrême droite incendie la mairie de Bordeaux aux cris de « Front national remplace Macron ». La République en marche recule dans les sondages, en chute de 5 points dans le dernier sondage du JDD, quand le Rassemblement national (RN) gagne 7 points. Emmanuel Macron a tout perdu. Emmanuel Macron n’a jamais été aussi seul.

Macron n’a jamais été aussi seul, nous n’avons jamais été aussi nombreux

Macron a perdu la bataille des idées, 93% des actifs sont contre sa retraite à 64 ans, le néolibéralisme est en train d’être grand remplacée dans les esprits. Macron a perdu la bataille de la mobilisation, 3,5 millions de manifestants les 7 et 23 mars selon la CGT, le plus fort mouvement social dans le pays depuis mai 68, et c’est le ministère de l’Intérieur qui le dit (1,28 million aujourd’hui, contre 1,23 million le 12 octobre 2010). Macron a perdu la bataille parlementaire : vote bloqué au Sénat, 49.3 à l’Assemblée nationale. Et surtout, surtout, Macron a perdu la bataille de l’horizon : le capitalisme ne fait plus rêver personne.

Demain a lieu la dixième journée de ce mouvement historique. Et les services de renseignements s’inquiètent. Ils attendent deux à trois fois plus de jeunes dans les rues du pays. Des blocages sont attendus à partir de très tôt le matin, des cortèges monstres en milieu de journée, et des manifestations sauvages ultra-mobiles le soir. Les forces de l’ordre sont épuisées, et la société se radicalise. 67% des Français sont pour le blocage du pays. Même la moitié des sympathisants LR sont pour le durcissement du mouvement, c’est dire ce qui est en train de se passer dans le pays. Macron n’a jamais été aussi seul, nous n’avons jamais été aussi nombreux.

Par Pierre Joigneaux.

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