Paris Police

« Paris Police 1900 » : la série qui retrace les origines de l’extrême droite française et qui dérange Vincent Bolloré

Créée par l’auteur de bande-dessinée Fabien Nury, qu’il réalise aux côtés de Julien Dépaux et Frédéric Balekdjian, « Paris Police 1900 » est un polar politique. Il nous plonge dans les ombres de la Belle époque au tout début du 20ème siècle. Fresque historique passionnante, la série explore aussi les prémisses de l’extrême droite en France, violente, antisémite et antirépublicaine. Retour sur une œuvre singulière de la production télévisuelle française, qui n’a pas été sans subir les foudres du milliardaire d’extrême droite à la tête de la chaîne qui l’a produite. J’ai nommé : Vincent Bolloré. Notre article.

L’insoumission lance sa rubrique culture : entretien avec Édouard Louis « ramener le réel en politique », série de portraits de femmes révolutionnaires, Rosa Luxemburg et Louise Michel, mais aussi critique de films, de livres, de documentaires, de pièces de théâtre, d’exposition, de BD… Rejoignez la bataille culturelle, écrivez nous à [email protected] et proposez nous une œuvre culturelle que vous souhaiteriez mettre en avant grâce à l’insoumission.fr !

La République en péril

Paris, 1899. Le président de la République Félix Faure vient de mourir. La rue ne cesse de se tendre entre militants anarchistes et séides antisémites d’extrême-droite chauffés à blanc par l’ouverture du deuxième procès Dreyfus. Plane l’ombre d’un coup d’Etat qui réaliserait les rêves de l’ultra-droite : abattre la République. Pourtant, un fait divers sordide va vite faire la une des journaux : le corps d’une femme découpé en morceaux a été retrouvé dans une valise flottant dans la Seine. C’est sur ce tableau d’un temps de crise pour la République que s’ouvre la série Paris Police 1900, qui nous amène à suivre l’enquête du jeune inspecteur Antoine Jouin (Jérémie Laheurte) pour élucider l’affaire de l’inconnue de la Seine.

L’enquête dépassera bien vite son seul caractère glauque pour nous conduire dans les méandres politiques de l’entre-deux siècles et nous faire croiser par la même nombre de personnages clés de l’époque, de l’avocate Jeanne Chauvin (Eugénie Derouand) au préfet Lépine (Marc Barbé) en passant par l’ignoble famille Guérin (Hubert Delattre, Anne Benoit, Anthony Paliotti) aux côtés du non moins répugnant député antisémite Drumont (Eddie Chignara), modèle d’un certain Éric Zemmour (lire à ce sujet le superbe ouvrage de Gérard Noiriel, Le venin dans la plume – Edouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République).

Paris Police 1900 ou le portrait d’une époque

Forte d’une intrigue haletante dont chaque épisode déploie l’intelligence et d’une réalisation sublimant le noir de son récit, la série de Fabien Nury se distingue par sa volonté de raconter le Paris des prémisses du 20e siècle, dont l’imaginaire est souvent accaparé par les représentations fastueuses de la Belle époque.

Au fur et à mesure des épisodes se révèle le filigrane d’enjeux de société majeurs, comme la modernisation de la police qui se dote de bicyclettes, d’un réseau téléphonique et développe les prémisses de la police scientifique, mais aussi le poids d’une presse qui se passionne pour les faits divers et fait grimper le fameux “sentiment d’insécurité” en même temps que ses ventes (un développement de la presse qu’explore aussi le film multicésarisé de Xavier Gianolli, Les Illusions perdues).

C’est en bonne partie à travers ses personnages que se déploie pleinement cette description de l’époque que propose la série. On y retrouve donc Jeanne Chauvin, première avocate à plaider de France, dont on suit ici les premières années compliquées dues à la misogynie structurelle alors qu’elle est une juriste brillante ou encore Alphonse Bertillon, inventeur de l’anthropométrie judiciaire et responsable de la condamnation à tort d’Alfred Dreyfus dans son premier procès. 

La distribution de la série participe aussi grandement à sa singularité. Elle n’est pas portée par une poignée de stars dont le seul nom suffirait à attirer les spectateurs, mais par une myriade de jeunes actrices et acteurs aux côtés d’autres plus confirmés que l’on voit pour beaucoup plus au théâtre que dans le petit écran.

Ainsi, pas moins de trois acteurs de la Comédie-Française figurent au casting parmi lesquels Christian Hecq, en plus de Nicolas Bouchaud, Yann Collette et de Laurent Poitrenaux qui rejoint la série dans sa deuxième saison. Ce choix artistique rend chaque personnage, même secondaire, et chaque scène haute en couleur et en intensité. On pourra ainsi saluer les performances d’Anne Benoît dans le rôle de la terrifiante Mère Guérin, de Thibaut Evrard dans celui de l’ambigu inspecteur Fiersi tout comme Marc Barbé en intègre préfet Lépine.

Plongée dans les origines de l’extrême-droite française

Au-delà de l’enquête qu’elle nous propose et du décor original dans lequel elle se place, l’intérêt singulier de Paris Police 1900 réside dans l’alliance de ces éléments au fait que la série s’inscrit pleinement dans l’héritage politique du polar. Ce n’est pas que le champagne (et surtout l’opium) des salons bourgeois de la Belle époque que l’on traverse ici, mais aussi les appartements exigus des travailleurs et la pauvreté qui les mine, et souvent, pousse au crime.

En plus du féminicide de l’inconnue de la Seine qui fait écho à la première vague féministe française, ce sont aussi les origines de l’extrême-droite française que décortique Paris Police 1900. A son cœur : la famille Guérin, composée de Jules, directeur de l’hebdomadaire sobrement nommé L’Antijuif et fondateur de la ligue antisémite et antimaçonnique du Grand Occident de France, son frère Louis qui mène les bandes qui terrorisent les rues de Paris et de leur mère, qui se charge de gérer l’entreprise familiale.

Car oui, le racisme et l’antirépublicanisme sont une affaire juteuse pour les Guérin, à travers les ventes de leur feuille de choux et les fonds levés dans l’aristocratie et la haute bourgeoisie. Une affaire de famille qui a réellement existé et qui n’est pas sans rappeler celle qui dirige le Rassemblement national.

C’est aussi ce que nous rappelle Paris Police 1900 : le racisme est un business. Pour le faire prospérer, il faut le nourrir de toujours plus de violence, toujours plus de mensonges et toujours plus de menaces contre la République. Les scènes de violences de rue factieuses ou de meetings antisémites de la série, particulièrement dures tant dans les discours que les horribles simulations de meurtres que pratique Guérin sur scène, nous livrent de façon crue de quel bois s’est constituée l’extrême-droite en France.

Alors que des influenceurs d’extrême-droite s’adonnent aujourd’hui aux mêmes simulations macabres, Paris Police 1900 nous rappelle en quoi la lutte ferme et résolue contre l’extrême-droite est une nécessité pour la République. 

Chez Bolloré, la République a ses limites

Paris Police 1900 se démarque ainsi comme une série précieuse sur l’histoire de la République et de ses ennemis de toujours. L’annonce de sa deuxième saison a eu de quoi laisser attendre avec joie le récit d’un autre épisode crucial de cette histoire débutée en 1789, et ce dès son titre : Paris Police 1905. Tout insoumis, si ce n’est tout Français, sait à quoi la seule évocation de l’année 1905 fait référence dans notre pays et les créateurs de la série n’y font pas exception. Après les troubles antisémites liés au second procès Dreyfus, c’est bien la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 que la deuxième saison de la série nous annonce. 

Mais c’était sans compter sur Vincent Bolloré, propriétaire de Canal+, qui n’aurait jamais pu imaginer que sa chaîne produise un récit sur ce moment clé de l’histoire de notre pays, et sur les velléités sécessionnistes de l’Eglise catholique durant cette période. C’est ainsi que le milliardaire a purement et simplement censuré le scénario de Paris Police 1905, obligeant les scénaristes à le réécrire en urgence pour supprimer les allusions à cet évènement majeur autour duquel devait tourner la deuxième saison.

Résultat : une saison 2 amputée de deux épisodes par rapport à la première, qui conserve ses qualités de réalisation et de jeu, mais perd une part substantielle de son charme historico-politique. La loi de 1905 n’y est évoquée à aucun moment, au point que son absence brille comme un sombre rappel des dangers toujours bien réels de l’obscurantisme en France. 

Pour aller plus loin : Révisionnisme historique, haine de la Révolution française : « Vaincre ou mourir », ce film qui plait tant à l’extrême droite

En nous privant d’un épisode trop peu raconté de l’histoire de la République française, Bolloré ne nous empêche pas pour autant de prendre plaisir en découvrant ou redécouvrant Paris Police 1900 et de lutter avec d’autant plus de détermination contre la concentration dans les médias et les industries culturelles qui menace chaque jour un peu plus la diversité des idées et des récits dans notre pays.

A travers l’histoire de sa production, la série de Fabien Nury est aussi un appel pour le camp de l’émancipation à se saisir à bras le corps de la politique culturelle à l’heure où la droite décide quant à elle de s’y pencher à des fins propagandistes de grande échelle, dont le calamiteux Vaincre ou mourir n’est que la face émergée de l’iceberg.

Série déconseillée aux moins de 16 ans.

Par Martin Mendiharat.