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« Une école du peuple » : LFI se dote d’une école de formation militante

Bataille culturelle. Les insoumis ont lu Gramsci. La France insoumise (LFI) a annoncé dans sa feuille de route « Pour une majorité populaire » la création d’une école de formation. Un besoin exprimé par les militants. Cette école sera rattachée à l’Institut La Boétie, la nouvelle fondation insoumise. Catalogue de formations pour les groupes d’action, « école des cadres », vidéos… ils vont multiplier les formats et les supports afin de donner des armes idéologiques aux militants. Razmig Keucheyan, Isabelle Garo, Cédric Durand, Cécile Gintrac… Certains noms de professeurs sont déjà connus. Et c’est du haut niveau.

Le matérialisme, l’humanisme global, la théorie de l’ère du peuple, les révolutions citoyennes, l’anthropocène, le féminisme, l’antiracisme, l’histoire de la République, les histoires révolutionnaires, les lumières radicales, l’écologie populaire, les relations internationales, mais aussi les pratiques militantes : le programme de formation s’annonce passionnant. 

Entretien avec Antoine Salles-Papou, responsable de l’École de formation, un enjeu décisif pour la suite de la lutte.

« Une école du peuple »

Antoine, l’école de formation, qu’est-ce que c’est ?

Antoine Salles Papou (ASP) : C’est une école militante qui est logée dans l’Institut La Boétie, une fondation créée à l’iniative de LFI qui a pour but de nourrir notre camp en armes intellectuelles, faire le lien avec le monde universitaire et donc faire de la formation pour les militants.

Quels sont ses objectifs ?

ASP : Elle répond à un besoin exprimé depuis de nombreux mois par les militants insoumis. Elle était au cœur des réflexions sur la réorganisation du mouvement pour gagner une majorité populaire et réellement transformer la société. C’est une école qui vise à apporter des éléments théoriques et pratiques aux insoumis pour convaincre, pour analyser la société, les mouvements politiques à partir de nos traditions théoriques.

La presse a présenté cette école de formation militante comme « une école des cadres », quels publics cette école a-t-elle pour objectif de former ?

ASP : Dans notre école de formation, il y a plusieurs formules.

D’abord, nous allons lancer un catalogue de formations à la demande pour les groupes d’actions. Il sera en ligne sur le site de l’institut La Boétie. Il y aura courant janvier 2023 toute une série de propositions de formations que les groupes d’action pourront commander à l’Institut. Exemple : un ou plusieurs groupes d’action veulent une formation sur l’histoire de la République en France, la planification écologique ou les retraites ?

L’institut disposera d’un vivier de formateurs et formatrices qu’il enverra sur place pour organiser cette formation. Ce dispositif s’inspirera largement de l’offre que certains ont déjà mis en place au niveau de leur ville ou font déjà eux-même mais en passant à une autre échelle. Cela permet de s’adresser au plus grand nombre de militants. Une sorte de formation à la carte.

Ensuite, il y a effectivement ce qu’on a appelé “école des cadres”, avec une première promotion de 70 personnes, qui sera amenée à grandir (une deuxième promotion débutera son cycle de formation en septembre 2023, ndlr). Il s’agit d’un cursus exigeant un weekend de formation chaque mois pendant un an, avec présence obligatoire à tous les cours. Il débutera dès la fin du mois de janvier 2023.

Quelles sont les traditions théoriques insoumises justement sur lesquelles s’appuie l’école ?

ASP : Elles sont multiples et plurielles et c’est tant mieux. Il n’y a pas de dogme. On peut citer le matérialisme, l’humanisme global, la planification écologique ou la théorie de l’ère du peuple. On pense qu’à tous les niveaux du militantisme il y a besoin d’avoir un cadre d’analyse théorique pour militer. 

L’objectif est de vulgariser au plus grand nombre ?

ASP : Absolument. Nous allons travailler également à des supports d’auto-formation. Même si les séances en présentiel présentent plus d’avantage, il ne faut pas non plus repousser d’autres façons de diffuser le savoir, comme la vidéo. D’ailleurs il serait utile de travailler avec l’insoumission.fr pour diffuser des éclairages d’intellectuels le plus possible.

Est-ce que tu peux nous donner le programme de l’école de formation, les thèmes des cours ?

ASP :  Le catalogue pour les groupes d’action présentera une grande variété de cours : des sujets théoriques comme, par exemple, le matérialisme, l’écologie politique ou la révolution française. Mais aussi sur des points de programme pour aider chacun à argumenter au mieux. Les animateurs des groupes thématiques seront d’ailleurs associés à cette partie pour faire des formateurs et des formatrices. Une grande expérience a été accumulée dans la France Insoumise : il faut en faire profiter largement ! Nous voulons aussi proposer des formations aux pratiques militantes, là aussi en partant des plus grandes réussites de notre mouvement : porte-à-porte, animation de réunions publics, gestion de réseaux sociaux, etc. 

Le cursus sur 10 week-ends s’organise lui autour de 4 parcours. Le parcours matérialisme, qui revient sur les analyses marxistes (ou marxiennes) de la société. Le parcours sur l’humanisme global abordera des questions comme le féminisme,  l’antiracisme, l’histoire de la République, ou le lien à la nature. Le parcours sur l’ère du peuple et les grands enjeux contemporains développera sur l’anthropocène, la financiarisation, les évolutions géopolitiques récentes, la révolution citoyenne ou les enjeux urbains. Le parcours pratiques militantes portera sur l’animation de groupe, la communication sur les réseaux, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles par exemple. 

Comment allez-vous sélectionner ces 70 fameux élus ? Quels sont leurs profils ?

ASP : D’abord ce ne sont pas les “70 élus” ! Seulement les 70 premiers d’une longue succession de promotions. On va essayer de créer une promotion qui représente la diversité du mouvement insoumis, c’est à dire ses différents secteurs : des membres des jeunes insoumis, des membres du service d’ordre, des camarades qui ont été bénévoles sur les évènements nationaux, les animateurs de groupe d’action mais aussi des insoumis engagés dans les luttes sociales, écologiques ou démocratiques. Notre volonté est que les différents secteurs du mouvement soient représentés.

Bien sûr la promotion sera paritaire. On va veiller à un équilibre géographique : toutes les régions doivent être représentées. Il faut un équilibre entre les camarades qui viennent de quartiers populaires, de centre ville, de milieux plus ruraux ou périurbains, etc. Cette école doit aussi servir à améliorer l’implantation du mouvement. Les amis qui auront suivi ces cours seront des points d’appui pour enraciner le mouvement y compris dans des endroits où on est moins fort pour l’instant.

Enfin, on va veiller à un équilibre social : par niveau de revenus, par niveau d’études, par métiers. L’école des cadres de l’Institut La Boétie ne sera pas réservée aux cadres supérieurs du privé. On s’inscrit clairement dans les valeurs de l’éducation populaire : c’est une école du peuple. On veillera à ce que la représentation populaire qui fait la marque du mouvement insoumis soit respectée.

Et les profs ?

ASP : Nous n’avons choisi que des professeurs dont c’est le métier dans leur vie professionnelle. Tous sont enseignants-chercheurs ou professeurs de lycée. C’est systématiquement du très bon niveau. Parmi eux, il y aura par exemple Razmig Keucheyan, Claire Lejeune, Cédric Durand, Eric Berr, Cécile Gintrac, Isabelle Garo, Jean-Marc Schiappa ou Benoit Schneckenburger.  

Est-ce que tu peux nous présenter la théorie de l’ère du peuple, ouvrage de Jean-Luc Mélenchon, concept central dans la pensée insoumise ?

ASP : C’est un sujet sur lequel je travaille mais bien sûr il n’est pas nécessaire d’y adhérer pour collaborer dans l’Institut La Boétie ! Même si elle donnera évidemment lieu à des cours. La théorie de l’ère du peuple est un cadre d’analyse de la société contemporaine. Elle centralise l’explosion du nombre des être humains comme fait générateur d’un changement d’époque, d’une accélération de l’histoire. Elle décrit un monde marqué par l’anthropocène, le capitalisme financiarisé et le fait urbain. Elle pose un conflit central entre peuple et oligarchie autour de la question du contrôle notamment des grands réseaux collectifs indispensables pour satisfaire les besoins de l’être humain moderne. 

C’est quand il y a rupture avec l’un de ces réseaux, qu’advient l’évènement fortuit déclencheur des révolutions citoyennes qu’on voit à travers la planète ?

ASP : Oui la théorie de l’ère du peuple permet d’analyser les révolutions qu’on a vu dans les deux dernières décennies, qu’on appelle révolutions citoyennes. Ce sont les révolutions qui ont éclaté dans le monde arabe, en Amérique latine… où dont on a pu voir un début en France avec les gilets jaunes. Elles portent sur des enjeux qui vont au-delà de la répartition de la richesse à l’intérieur de l’entreprise : l’Assemblée constituante, la reprise du contrôle politique sur l’ensemble du monde urbain.

Entretien réalisé par Pierre Joigneaux.