Qatar

Scandale : des députés européens achetés par le Qatar

Un scandale de corruption lié au Qatar éclabousse le Parlement européen depuis vendredi dernier. Une vice-présidente de l’assemblée européenne et trois autres personnes ont été inculpées par la justice belge pour « appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d’argent et corruption » au profit du Qatar. Elles ont été placées en détention provisoire ce dimanche. C’est une déflagration pour l’institution européenne. Des soupçons d’ingérence de la monarchie pétrolière planaient déjà au sein du Parlement européen. Le groupe de la Gauche au Parlement (GUE/NGL) demande la démission de la vice-présidente Eva Kaili de ses fonctions, la nomination d’une vice-présidence à la lutte contre la corruption et une commission d’enquête interne au Parlement. Notre article.

De très graves soupçons de corruption en lien avec le Qatar : de quoi/qui parle-t-on ?

Depuis vendredi, le Parlement européen tremble. Le domicile de l’une de ses vice-présidentes avait été perquisitionné, cette dernière interpellée le soir même. En cause ? Des soupçons de corruption en lien avec la monarchie pétrolière qatarie. Elle et trois autres personnes travaillant au Parlement européen ont été inculpées et placées en détention provisoire dimanche pour « appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d’argent et corruption », au profit du Qatar.

Voici leurs noms : Eva Kaili, vice-présidente de l’Assemblée européenne, Francesco Giorgi, son compagnon et assistant parlementaire, Pier Antonio Panzeri, ancien eurodéputé social-démocrate italien et président de l’ONG bruxelloise Fight Impunity et Niccolo Figa-Talamanca, dirigeant de l’ONG No Peace Without Justice (Le Monde).

Depuis plusieurs mois, la justice belge suspecte un « pays du Golfe » d’influencer les décisions du Parlement européen en versant d’importantes sommes d’argent à des eurodéputés influents. Des sacs de billets contenant de l’argent liquide ont été retrouvés au domicile d’Eva Kaili. Montant total : 600 000 euros. 600 000 euros pour défendre les intérêts d’une monarchie pétrolière réactionnaire au Parlement européen ? Ce scandale est une déflagration pour toute l’institution européenne.

Une vice-présidente du Parlement européen, proche du Qatar, au cœur du scandale

Dans ce scandale de corruption, un nom ressort plus que d’autres : celui de la socialiste Eva Kaili, vice-présidente grecque du Parlement européen depuis janvier 2022. Elle détenait la suppléance de la présidente du Parlement pour… le Moyen-Orient. Elle fait partie des quatre personnes pour l’instant inculpées et placées en détention provisoire depuis dimanche 11 décembre 2022. Appréhendée en flagrant délit, celle-ci n’a pas pu invoquer son immunité parlementaire. Les premières sanctions politiques n’ont pas trainé. Le parti socialiste grec (Pasok-Kinal) n’a pas tardé à l’écarter et veut la voir démissionner de son siège de parlementaire. Le groupe socialiste de l’Assemblée (S&D) a demandé sa suspension avec « effet immédiat ».

Eva Kaili ne cachait pas son affection pour la monarchie pétrolière. Présente au Qatar en novembre 2022, « elle avait salué, en présence du ministre qatari du Travail, les réformes de l’émirat dans ce secteur » (France Info). Le Qatar, ce pays bien connu pour son respect des droits humains et du travail, comme en témoigne les 6500 morts dénombrés sur les chantiers de la Coupe du monde (The Guardian).

Dans l’assemblée européenne le 22 novembre 2022, elle avait « estimé que l’émirat était « un chef de file en matière de droit du travail » et a jugé que les Européens « n’avaient aucun droit moral de lui faire la leçon », suscitant des remous dans l’assemblée » (France Info). Ce matin même, tous les avoirs d’Eva Kaili ont été gelés par la Grèce.

Pour aller plus loin : « Travail forcé », « traite d’êtres humains », ce que cachent les super-profits de Vinci

Les signes d’une possible ingérence du Qatar au Parlement européen

La monarchie pétrolière réactionnaire s’est-elle infiltrée au Parlement européen pour influencer certaines négociations ? De nombreux signes interrogeaient déjà. Pourquoi des nombreux eurodéputés socialistes ont-ils voté contre une résolution condamnant les violations des droits humains au Qatar le 24 novembre dernier ? Le principe de cette résolution a tout de même été adopté. Pour quelle raison ces mêmes eurodéputés ont-ils empêché, main dans la main avec la droite européenne (PPE), le vote de quelques amendements condamnant l’attitude de la FIFA face à l’oppression des droits LGBTQ+ au Qatar ?

Une fois le principe de la résolution adopté, chaque groupe politique du Parlement européen a préparé la sienne avant de publier la résolution commune. Les socialistes européens ont obtenu la coordination des négociations sur le texte. Celle-ci aurait pourtant du revenir au Groupe de la Gauche au Parlement européen, dont fait partie la délégation insoumise. En lisant la motion des socialistes, on tombait des nues : efforts du Qatar en matière de droits humains, réjouissances au sujet d’un « partenariat stratégique » entre l’Union européenne et le Qatar, en particulier pour l’approvisionnement en gaz naturel liquéfié… Rien sur une quelconque condamnation du Qatar pour non-respect des droits humains.

Sur Twitter, l’eurodéputée Manon Aubry (LFI) n’a pas caché ses suspicions au sortir des négociations sur la résolution : « Des groupes sont venus pourrir les négociations. Je me demande si, autour de la table des négociations, on avait des représentants de groupes politiques, ou est-ce que l’on n’avait pas, tout simplement, l’Ambassade du Qatar ? ». La motion commune était censée condamner les violations des droits humains. Au lieu de cela, soutenue par les socialistes et la droite européenne, elle « félicite » plusieurs fois la monarchie pétrolière. « Les effets délétères de la corruption ont été évidents. L’argent qatari a acheté la complaisance du Parlement européen », assène Manon Aubry.

Le groupe de Gauche au Parlement a demandé la démission de la vice-présidente Eva Kaili de ses fonctions, la nomination d’une vice-présidence à la lutte contre la corruption et une commission d’enquête interne au Parlement. En écrivant ces dernières lignes, nous apprenons que la présidente du Parlement européen a annoncé une « enquête interne » sur la corruption au sein de l’assemblée européenne. Il le faut. Demain matin, à 8h30, une réunion formelle de la conférence des présidents de groupes politiques va se tenir. Ces derniers discuteront et pourraient déclencher l’article 21 du règlement de l’Assemblée européenne. In fine, pourrait être actée la destitution de la vice-présidence du Parlement européen, par un vote des deux tiers des eurodéputés. Affaire à suivre.