« Vinci enregistre les plus gros bénéfices semestriels de son histoire » claironnaient Les Echos, en juillet. Lundi 7 novembre apparaissaient les possibles ingrédients de ce super-succès, super-profitable aux actionnaires. Une de ses filiales qataries a été convoquée par la justice en vue d’une éventuelle mise en examen. Les accusations sont très graves : « réduction en servitude, traite des êtres humains, travail incompatible avec la dignité humaine, mise en danger délibérée, blessures involontaires et recel ». Notre article
Que cache la fête aux super-profits chez Vinci ?
Déjà rémunéré 5 497 950 euros en 2021, le salaire de Xavier Huillard, PDG de Vinci, pourrait encore augmenter cette année. Les Echos du 29 juillet, annonce une hausse de 89% du résultat net au premier semestre 2022. Comment expliquer une telle forme, alors que le monde sort à peine d’une pandémie pour tomber dans les méandres de l’inflation sur fond de spéculation des matières premières et de troubles géopolitiques majeurs ?
Ingrédient numéro 1 : faire des profits sur le saccage de la planète
Première bonne nouvelle pour les actionnaires de Vinci : « l’amélioration la plus spectaculaire relève du pôle concessions (4,2 milliards de chiffre d’affaires, +43 %), qui a bénéficié de l’accélération de la reprise du trafic aéroportuaire, plus rapide que prévue». Une nouvelle moins réjouissante pour le reste de la faune et de la flore de la planète. Pour rappel, un vol aller-retour Paris New-York correspond à 2 tonnes de CO2 par passager, soit la somme totale des émissions d’un habitant de la planète sur une année pour respecter l’objectif des 1,5°C de l’accord de Paris.
Ingrédient numéro 2 : « Travail forcé » et « traite d’êtres humains »
Les mises en examen de la filiale de Vinci au Qatar vont bien au delà des limites fixées par les conventions internationales sur les droits humains, au delà de toute morale. On parle là d’une enquête pour réduction en servitude, traite des êtres humains, travail incompatible avec la dignité humaine, mise en danger délibérée, blessures involontaires et recel.
L’enquête a été ouverte à partir de 2019, notamment à la suite de la plainte déposée par l’ONG Sherpa. L’association avait reçu des témoignages de sept anciens employés de la filiale aujourd’hui dans le viseur de la justice.
Ceux-ci ont raconté comment on leur avait confisqué leurs passeports, leur empêchant donc de rentrer chez eux, ou d’aller n’importe où, les empêcher en fait de s’enfuir. Ils ont raconté des semaines de 66 à 77 heures de travail, dans une chaleur insupportable, jusqu’à 50°C. Ils ont raconté des nuits entassés dans des logements exigus sans le minimum d’hygiène dûe à la dignité humaine. Pour des salaires de misère, entre 50 centimes et 2 euros de l’heure, moins de 2% du salaire moyen des Qataris.
La défense de Vinci à ce stade : ce n’est pas en lien avec la Coupe du monde de football
Récemment, Vinci a abandonné la ligne que l’on pourrait résumer ainsi : on ne va pas en faire tout un fromage. L’avocat de Vinci Jean-Pierre Versini-Campinchi explique : « Nous avons vainement tenté de convaincre le magistrat qu’il n’était pas opportun après sept ans et demi d’enquête d’envisager une mise en examen dans la quinzaine d’ouverture de la Coupe du monde de football », Est-ce que la maltraitance et la mort de quelques travailleurs et travailleuses valent vraiment « un tumulte médiatique » pour des faits qui remontent à 7 ans (donc pas du tout prescrits par la Justice) ? Oui, c’est le genre de question que vous pourrez vous poser si un jour vous deveniez avocat pour une multinationale française, ça fait rêver…
Jugée peu convaincante, cette ligne de défense a été remplacée par celle de la digue. En gros, oui peut-être qu’on a pas respecté le droit du travail, mais pas pour les chantiers de la coup du monde.
Ah bah alors ça change tout ! Confisquons les passeports ! Brutalisons des êtres humains ! Si ça ne risque pas de nuire à la profitabilité de la Coupe du monde de football, où est le problème ? Et même sur ce point, la ligne de défense de la multinationale est faible, rien à voir avec les infrastructures de l’événement sportif. Selon Vinci, ce serait uniquement « sur des infrastructures de transport ». Les spectateurs sur place seront sûrement intéressés de savoir s’ils auront le droit d’utiliser le métro léger, ralliant Doha à Lusail (la ville nouvelle qui accueillera la finale) construit par… Vinci.
Vinci est convoqué ce mercredi 9 novembre 2022 devant le juge d’instruction chargé de l’enquête. Celui-ci décidera alors de la mise en examen et des éventuels chefs d’inculpation.