Le manque de sage-femmes ne permet plus de trouver de remplaçantes pendant leurs périodes de congés. De l’Occitanie à la Seine-Saint Denis, des maternités vont à nouveau devoir fermer des services entiers, pour ne garder que le minimum vital pendant les vacances de la Toussaint. Les années d’austérité budgétaire, notamment la fermeture de 40% des maternités de proximité, ont terriblement dégradé les conditions de travail. La politique libérale a eu raison de la vocation des sages-femmes. Conséquence : 20% des places vacantes en deuxième année et une hausse de 112% des radiations au premier semestre 2022. Notre article.
Il ne fait pas bon accoucher pendant les vacances scolaires.
Le gouvernement va-t-il demander aux femmes de serrer un peu le périnée pour décaler leur accouchement ? On n’en est pas encore là.
On apprend cependant par France info que la pénurie de sage-femme ne laisse d’autre choix à l’hôpital André Grégoire de Montreuil que de limiter le nombre d’inscriptions mensuelles à la maternité (hors grossesse à risque heureusement). 270 femmes enceintes pourront s’inscrire alors que la maternité permet en moyenne la naissance de 340 enfants par mois. L’article n’indique pas ce qu’il adviendra pour les plus de 70 femmes enceintes restantes.
Tout le système d’accompagnement à la naissance est en situation d’extrême tension depuis cet été. Patrick Daoud, pédiatre et chef de pôle du centre hospitalier montreuillois explique que les équipes sont obligées « de concentrer l’activité des sages-femmes en salle de naissance, mais même avec ce mode de fonctionnement, on n’y arrive pas. Nous sommes donc contraints de fermer une aile de suites de couche et nous allons essayer de tenir en mettant en place un programme de sortie ultra-précoce, sous 24 heures »
Les services sont à l’os, rongés par l’austérité budgétaire imposée par les gouvernements libéraux. Même en réduisant l’accompagnement et les soins au minimum vital, le moindre grain de sable, comme une hausse de la demande de congés pendant les vacances scolaires conduit à des fermetures partielles.
Le libéralisme a détruit la vocation pour le métier de sage-femmes.
La crise vient de loin dans les maternités. « La fin des années 1990 correspond au début de l’introduction des méthodes de management de l’entreprise dans le monde de la santé, des hôpitaux et donc des maternités, explique à Reporterre Emmanuel Vigneron. Les agences régionales d’hospitalisation sont alors mises en place par les ordonnances Juppé d’avril 1996 et procèdent à ces fermetures. Dans ce contexte, la concentration a pour objectif de faire des économies d’échelle et d’agglomération. »
Première conséquence de cette politique de rationalisation des coûts : la charge de travail augmente dans chaque maternité, mais pas les moyens. « Pendant des années, le mot d’ordre a été de réorganiser les services à effectifs constants. C’était très compliqué. On s’arrangeait, mais aucun ETP [équivalent temps plein] n’était débloqué » raconte Johanne Reynaud, sage-femme à la maternité du CHU Paule de Viguier en Occitanie.
Les conditions de travail se dégradent alors fortement ainsi que la qualité des soins. Empêchés de procurer un accompagnement de qualité, d’offrir un environnement serein avant / pendant et après la naissance de chaque enfant, les sages-femmes finissent peu à peu par quitter l’hôpital, dégoûtées.
Le 13 octobre 2022, le Conseil national de l’ordre des sages-femmes alerte sur la hausse du nombre de radiations de professionnels en âge d’exercer (des personnes qui quittent l’Ordre pour partir à la retraite ou se reconvertir), qui a explosé (+112% au cours du premier semestre 2022). Au même moment, ce même conseil s’associe au cri d’alarme de l’association nationale des étudiant·e·s sages-femmes (ANESF) sur le manque d’un cinquième des effectifs en deuxième année.
De plus en plus de départ, de moins en moins d’arrivée, le manque de sage-femmes s’aggravent d’année en année.
Pour celles et ceux qui restent, chaque départ non-remplacé, c’est une charge de travail supplémentaire et une qualité de l’accompagnement qui diminue d’autant. Ce cercle vicieux est consciencieusement entretenu par les gouvernements ultra-libéraux depuis 20 ans.
Fermeture de 40% des maternités en 20 ans : le nombre de femmes en âge de procréer vivant à plus de quarante-cinq minutes d’une maternité a plus que doublé, passant de 290.000 à 716.000.
Deuxième conséquence de cette politique de concentration : la fin de l’égalité devant des citoyennes et des citoyens dans l’accès aux services publiques.
De janvier 1997 à mars 2019, le géographe Emmanuel Vigneron a dénombré 413 fermetures de maternité pour seulement 73 ouvertures. Résultat 338 maternités de moins sur 835, une baisse dramatique de 40%. Résultat : le nombre de femmes en âge de procréer vivant à plus de quarante-cinq minutes en voiture d’une maternité qui passe de 290.000 à 716.000.
L’article de Reporterre nous offre à lire un témoignage précis et poignant sur ce que cela veut dire concrètement d’accoucher à 50km chez soi : Avant la naissance, une heure sur une route de nuit au pas à craindre l’irruption d’un chevreuil. Après, l’impossibilité d’inviter des amis à fêter la naissance de leur enfant. Et encore, cette femme a un conjoint et une voiture avec le plein. La même histoire, sans ces deux facteurs nettement facilitant… On basculait possiblement dans le drame.
L’austérité menace la vie des femmes et de leur enfant.
Ce sont bien ces drames que redoutent par dessus-tout Rosine Leverrier, la vice-présidente des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité « Les fermetures mettent les femmes et les bébés en danger, Elles augmentent l’occurrence d’accouchements extra-hospitaliers, qui entraînent des risques accrus. Des centres de périnatalité de proximité sont mis en place, mais le service n’est plus du tout le même. Les femmes n’y accouchent pas, les interruptions volontaires de grossesse sont impossibles, il n’y a pas de chirurgie obstétricale. »
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Alors que la crise du Covid aurait dû permettre de remettre en cause fondamentalement la politique publique de santé, le Ségur tant vanté par Olivier Véran et Emmanuel Macron n’aura abouti qu’à une prime que l’inflation a aussitôt dévorée. Toujours la même politique libérale, élaborée par les mêmes cabinets de conseil privés. Toujours le même objectif du président des riches, détruire le service public pour offrir la carcasse aux entreprises privées qui pourront enfin réaliser leur rêve : se gaver de fric sur la santé des gens.
Par Ulysse