Mohamed Ben Saada

Portrait – Mohamed Bensaada, un militant des quartiers populaires en route vers l’Assemblée

Mohamed Bensaada ouvre les yeux en 1968, à Meknès, au Maroc. Il arrive en France à 4 ans. Point de chute : cité du parc Corot, 13ème arrondissement de Marseille. Depuis, Mohamed Bensaada n’a plus bougé. « Pourquoi je bougerais du centre du monde ? », nous demande t-il dans un grand sourire. Le regard est vif, le ton posé, le raisonnement assuré chez ce militant de toujours des quartiers nord, en passe de devenir le député de la 3ème circonscription de Marseille. 14ème épisode de notre tour de France des campagnes insoumises. Portrait.

« Mon premier vrai coup de boule : le 21 avril 2002 »

Dès que Mohamed Bensaada parle de lui, il parle politique. Il nous retrace les étapes charnières de son engagement. 1981, la victoire de Mitterrand. Mohamed n’a que 13 ans, mais il voit son père content. Mère femme de ménage et père ferrailleur dans le bâtiment, « tradition ouvrière ». Il se définit comme « une pastèque : verte à l’extérieur, rouge à l’intérieur », nouveau sourire, Mohamed Bensaada enchaîne.

1983, la marche des beurs. Mohamed n’a que 15 ans, mais il se rappelle de grands de son quartier montés à pied jusqu’à la Bastille à Paris. Mohamed Bensaada enchaîne, la mémoire est intacte, le récit limpide. Arrive son « premier vrai coup de boule » : le 21 avril 2002. Jean-Marie Le Pen au second tour. Mohamed Bensaada s’engage chez les verts, le début d’un long combat politique au sein des quartiers nord.

« Mélenchon respecte les gens, il parle pas en verlan »

Mohamed Bensaada a toujours aimé lire, et ça se ressent dans le récit. « Maintenant j’utilise des mots châtiés. Jean-Luc Mélenchon il respecte les gens, il parle pas en verlan. C’est une marque de respect ». Mohamed Bensaada est aujourd’hui manip radio, à l’hôpital de la Timone. Bac D en poche, il étudie 3 ans, et décroche son diplôme d’Etat de manipulateur d’électroradiologie médicale (DEMEM).

Chez les verts, ça « drague les quartiers populaires ». Il s’engage, même si c’est « le bordel », et que la sociologie militante chez les verts est en décalage. Après 5 ans, Mohamed Bensaada quitte les verts en 2007. L’objectif : faire de la politique depuis les quartiers, créer une association sur le modèle d’ATTAC. Mohamed Bensaada cite le sociologue Erving Goffman et son concept d’inversion du stigmate.

Création de l’association « Quartiers Nord, Quartiers Forts », en 2009

L’association « Quartiers Nord, Quartiers Forts » (QNQF) voit le jour en 2009. Deux manifestations sont alors organisées à l’intérieur des quartiers nord. Une première dès janvier 2009, en soutien au peuple palestinien, au moment de l’opération « Plomb durci » : l’attaque israélienne la plus meurtrière jamais menée contre le territoire palestinien. En trois semaines de bombardements, le bilan est sanglant : 1 400 morts, principalement des civils, côté palestinien, 13 morts côté israélien. 

Pour cette première manifestation, Quartiers Nord Quartiers Forts rassemble 500 personnes à l’intérieur des quartiers nord. La deuxième manifestation organisée par QNQF a lieu en 2010, contre le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), violente attaque du gouvernement Sarkozy contre le droit d’asile.

Création du collectif 1er juin 2013 : grosse mobilisation suite à une vague d’assassinat dans les quartiers nord

En 2010 s’ouvre « une période incandescente dans les quartiers nord ». Sur fond de trafic de cannabis, une vague d’assassinats a lieu dans les quartiers, qui durera 3 ans, avec un pic en 2013. Suite à deux assassinats odieux dans la cité des Oliviers, dans la 13ème circonscription de Marseille, les habitants des Oliviers se mobilisent. Une grande marche est organisée le 1er juin 2013, qui rassemble l’ensemble des quartiers populaires, dépassant largement Marseille. Le collectif du 1er juin est né.

La manifestation part du pied de la gare Saint Charles et va jusqu’à la préfecture : une manifestation rassemblant 2 500 à 3 000 habitants des quartiers nord en plein centre ville de Marseille. Le message est fort. Les assassinats de gamins ne constitue que la face immergée des maux qui rongent les quartiers populaires : inégal accès à la santé, à la culture, aux loisirs, manque de perspectives d’avenir, chemins tortueux… Comme le souligne Sébastien Delogu à l’insoumission, camarade de Mohamed Bensaada, combien de jeunes des quartiers nord n’ont jamais vu la mer ? Comme le souligne Carlos Martens Bilongo à l’insoumission, militant des quartiers populaires, combien des habitants de Villiers-le-Bel n’ont jamais vu la mer ? Des inégalités systémiques privant de jeunesse les jeunes des quartiers populaires.

Animateur et fondateur du collectif des quartiers populaires de Marseille en 2014

En 2014, Mohamed Bensaada fonde « quartiers populaires de Marseille » avec des camarades, expérimentation de la « démocratie direct » dans les quartiers nord. 24 assemblées populaires sont organisées, des agoras rassemblant 30 à 250 personnes, avec des prises de paroles jugées parfois violente, d’habitants « tellement privés de la parole », que « quand ils prennent la parole, ils la prennent vraiment ».

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Mohamed Ben Saada (à droite), avec Kamel Guemari (fondateur de l’Après M) et Bénédicte Gomis (militante France insoumise)

De ces assemblées populaires, émergent 101 propositions pour les quartiers populaires de Marseille, rédigées par Mohamed Bensaada. L’objectif : « faire de l’entrisme des idées chez les partenaires de gauche ». Mais ces propositions fuitent avant d’être diffusées, et les acteurs font l’expérience de la « grosse inefficacité de la démocratie direct », de la difficultés de trancher des décisions dans des agoras de 250 personnes, et font le choix d’un modèle d’organisation « beaucoup plus feutré ». En 2016, le syndicat des quartiers populaires de Marseille est créé, basé sur « la cooptation et la confiance », sur le modèle d’associations politiques.

Tentative de revitaliser le PCF à partir des quartiers populaires

Mohamed Bensaada est alors militant du Parti communiste marseillais. Avec un père ouvrier et une mère femme de ménage, Mohamed Bensaada se sent de « tradition ouvrière ». En 2017, Mohamed Bensaada soutien à fond la candidature de Jean-Luc Mélenchon au sein du parti communiste de Pierre Laurent. Le front de gauche, l’ancêtre de l’Union Populaire, a réalisé des très gros score aux élections départementales de 2015 dans les quartiers nord : 27% à Fond vert, 33% à la Busserine. Incomparable aux scores de Pierre Laurent ou Marie George Buffet, candidats PCF à la présidentielle.

Mohamed Bensaada tente alors de revitaliser le PCF à partir des quartiers populaire. Il s’heurte à une certaine idéologie, préférant la classe populaire au singulier, aux classes populaires au pluriel. Mohamed Bensaada tente de convaincre d’ouvrir une cellule au sein des quartiers nord, « au milieu du volcan, la vitalité est là, il suffisait d’ouvrir un local avec une machine à café », échec.

« J’ai toujours cru à l’hybridation entre organisations politiques structurées et quartiers populaires » : Mohamed Bensaada

Mais Mohamed Bensaada ne baisse pas les bras, il a « toujours cru à l’hybridation entre organisations politiques structurées et quartiers populaires. C’est ce qu’on essaye de porter avec nos petits bras et nos petites cervelles. La thématique des quartiers populaires, contre le misérabilisme et le paternalisme d’une partie de la gauche ».

Mohamed Bensaada ne croit plus aux mouvements autonomes, mais en la formation de cadres issus des quartiers populaires, au sein de l’Union Populaire, « une machine de guerre incroyable ». Mohamed Bensaada en fait l’expérience autour de lui : « tu as 30 à 40 copains qui vont te pousser à fond. Quand tu restes dans un truc autonome, tu passes à côté du rapport de force et de la vraie substance politique ».

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Mohamed Ben Saada

Le collectif « on s’en mêle », réseau national d’acteurs des quartiers populaires, a été créé début 2022 pour se mêler des élections présidentielle et législatives. Mohamed Ben Saada a beaucoup de respect pour le collectif, mais il regrette son timing, son arrivée trop tardive, à 2 mois et demie de la présidentielle, à la fin de la discussion. S’il ne croit pas en « la légitimité érigée en principe fondamental. La légitimité est extrêmement subjective. Il y a la légitimé du terrain, et il y a la légitimité en interne », Mohamed Ben Saada croit que des gens comme lui, avec son positionnement, « va faire des émules », et a la volonté de travailler avec les acteurs du collectif « on s’en mêle ».

Mohamed Bensaada veut porter le droit au logement, l’écologie populaire et la légalisation du cannabis à l’Assemblée nationale

Mohamed Bensaada, est candidat dans la 3ème circonscription de Marseille (12ème, 13ème et 14ème arrondissements), et a toutes les chances de devenir député. Il a grandi dans la cité du parc Corot, « le pire de ce que tu peux faire en logement urbain », et il compte bien porter la question du droit au logement à l’Assemblée. Sans oublier l’écologie populaire, potentielle mine d’or en terme d’emplois, de formation et de retombées vertueuses pour les quartiers populaires. Et enfin, un combat qui lui tient particulièrement à cœur : la légalisation du cannabis.

Une légalisation sociale du cannabis, avec pour objectif d’éviter une légalisation libérale, sur le modèle de ce qui se passe pour le CBD, injuste socialement, qui bénéficierait au capital et pas au travail. L’enjeu est de taille. La tranquillité publique pour les habitants des quartiers populaires, victime d’une « guerre qui ne dit pas son nom ». Mohamed Bensaada passe un message : « nos petits frères sont morts, et les victimes ne bénéficieraient pas de la légalisation ? ».

Une légalisation du cannabis sous contrôle de l’État, proposition de loi portée par les députés insoumis à l’Assemblée nationale, outil de prévention et de redistribution des richesses, générateur potentiellement de milliards d’euros de recette pour l’État. Un des nombreux combats que Mohamed Bensaada veut porter pour les quartiers populaires, pour la capitale de la rupture, et pour l’ensemble de la société, comme futur député du peuple.

Par Pierre Joigneaux.