Une vague de suicides étudiants frappe notre pays depuis de nombreuses semaines. Les images de queues interminables d’étudiants se succèdent sur les réseaux sociaux. La précarité et le manque de moyens à l’Université ne cessent d’être dénoncés par les syndicats étudiants et enseignants. Mais Frédérique Vidal, la ministre fantôme de l’enseignement supérieur, dénonce l’«islamo-gauchisme ». Une grossière diversion.
C’est ce 15 février, sur le plateau de CNEWS, que Frédérique Vidal a dégoupillé. La ministre de l’enseignement supérieur a déclaré vouloir demander au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de faire une enquête sur « l’islamo-gauchisme » qui « gangrène » selon elle l’Université et « l’ensemble de la société ». Une ministre macroniste reprenant le vocabulaire de l’extrême droite ? Elle n’est malheureusement pas la première.
La police de la pensée à l’Université
Le ministre de l’Éducation nationale avait annoncé la couleur le 24 octobre dans le JDD : une chasse aux sorcières contre les « islamo gauchistes » qui « gangrènent » l’Université. Mot pour mot le discours de la ministre de l’enseignement supérieur ce 15 février sur CNEWS. Jean-Michel Blanquer s’était servi à l’époque de la loi de « programmation pluriannuelle de la recherche » (LPPR).
Comme nous le soulignons dans un récent article, en plus de précariser encore un peu plus la recherche française, la LPPR vise à instaurer la police de la pensée à l’Université. Dans la nuit du 29 octobre dernier, lors de son passage au Sénat, un amendement soumettant « les libertés académiques » au « respect des valeurs de la République » est passé. Derrière la jolie formulation, c’est bien la liberté académique qui est attaquée. Conditionner les libertés académiques au respect de telle ou telle valeur politique, extérieure au champ scientifique, c’est détruire les libertés académiques. C’est une mise au pas, caractéristique d’un pouvoir autoritaire forçant les universitaires à se soumettre à lui.
Qui va juger de l’adéquation ou non d’un enseignement ou d’une recherche à ces « valeurs de la République » ? Qui va pouvoir attaquer en justice les universitaires censés ne pas les respecter ? En Roumanie, au Brésil, les études de genre sont rendues illégales. Personne n’est dupe, c’est bien les militants antiracistes et féministes que Jean-Michel Blanquer a dans le viseur. Plus de deux mille chercheurs lui ont répondu dans une tribune publiée dans le Monde refusant la police de la pensée à l’Université. Un autre aspect de la loi concerne la répression de la mobilisation étudiante : jusqu’à 3 ans de prison et 45 000€ d’amende en cas de contestation.
Une nouvelle diversion face à la misère et aux suicides étudiants
La stratégie de diversion du gouvernement est grossière. En avril, c’est un jeune de 23 ans qui s’est suicidé sur le campus d’HEC. Fin août, c’est un étudiant de 25 ans qui s’est suicidé sur le campus de l’Université de la Rochelle. En août et en septembre deux étudiants se sont suicidés en Nouvelle Calédonie. À la rentrée ce sont un étudiant en école d’architecture et un autre à l’IEP de Toulouse qui ont mis fin à leurs jours. En septembre et en novembre, deux étudiants se sont suicidés à Montpellier. Le 9 janvier un étudiant a essayé de se suicider en se défenestrant à l’Université Lyon 3. Quatre jours plus tard, ce 13 janvier, de nouveau à Lyon, une étudiante a également essayé de mettre fin à ses jours en sautant de la fenêtre de sa résidence universitaire. Au delà de l’ampleur abyssal des chiffres, les témoignages sont déchirants. Ils se sont multipliés ces dernières semaines sur les réseaux sociaux avec le #étudiantsfantômes.
L’insoumission a publié un cri d’alerte d’un de ces étudiants. En voici un passage : « C’est le cœur lourd que je viens à vous aujourd’hui. Le cœur lourd et meurtri que je lance cet appel. C’est le cœur lourd que je vous annonce qu’aux alentours de 2h du matin, le 9 janvier 2021, un bruit sourd et fort se fit entendre au sein d’une résidence universitaire. Le bruit de l’éclatement d’une vitre qui vint briser le silence de la nuit suivi, des éclats de verre sur le sol, d’un hurlement, d’un bruit sourd suivi d’un silence et, pour la dernière fois le cri d’un étudiant, camarade d’amphithéâtre, exprimant la douleur qu’il ressentait étendu
sur le sol. Vous l’aurez malheureusement compris. Nous ne pouvons simplement tourner la tête. Nous ne pouvons simplement croire que nous faisons actuellement le maximum pour les étudiants. »
La diversion est grossière.
Par Pierre Joigneaux