Légion d’honneur de Macron à Sissi : des intellectuels renvoient leurs décorations

Emmanuel Macron a remis la décoration la plus élevée de l’ordre de la Légion d’honneur… au dictateur égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Malgré la volonté de l’Élysée de tout faire pour tenir secrète cette décoration, les images de la honte ont fuité et ont franchies les Alpes. Des intellectuels italiens ont décidé de rendre leur décoration.

La remise de la décoration la plus élevée de l’ordre de la Légion d’honneur attribuée à… Sissi (à l’abris des caméras)

La « grand’croix » de la légion d’honneur. La dignité la plus élevée de l’ordre de la Légion d’honneur est attribuée à… Abdel Fattah al-Sissi. Le dictateur au pouvoir en Égypte ? Lui même. Non vous ne rêvez pas. Emmanuel Macron a décoré lui même le président égyptien lors de sa visite à Paris du 7 au 9 décembre, à l’abris des caméras. L’Élysée avait en effet soigneusement interdit l’accès du palais à la presse.

« Pas le souvenir d’avoir déjà vu un diner d’État qui ne soit pas couvert par la presse » avait alors affirmé Jacques Witt, photojournaliste depuis une trentaine d’années. Plusieurs journalistes s’étaient en effet émus la semaine dernière de devoir « aller sur le site internet d’un régime autoritaire pour savoir ce qu’il se passe à l’Elysée. » La cour du palais de l’Élysée est en effet habituellement ouverte aux médias pour leur permettre de filmer et photographier. Cette fois-ci : rideaux.

Et quand on se penche sur la situation égyptienne, on comprend mieux ce que l’Élysée a voulu cacher. Al-Sissi gouverne l’Égypte d’une main de fer depuis 2014. L’armée est omniprésente, partout, tout le temps. La répression est totale. La moindre critique contre le maréchal al-Sissi ? La prison. Et bien souvent la torture. Humoristes, journalistes, caricaturistes, avocats… le moindre post Facebook peut vous envoyer en prison. Comme pour ces médecins égyptiens ayant critiqué la gestion sanitaire de l’épidémie de Covid-19. Les associations estiment donc à 60 000 le nombre de prisonniers politiques dans les geôles égyptiennes. Le simple mois d’octobre a vu 49 personnes se faire exécuter en Égypte.

60 000 prisonniers politiques, exécutions, torture, censure… les droits de l’homme pèsent peu face aux juteux contrats d’armement

« On est stupéfait que la France déroule le tapis rouge à un dictateur alors qu’il y a plus de 60.000 détenus d’opinion aujourd’hui en Égypte ». Ces mots sont ceux d’Antoine Madelin, un des responsables de la FIDH (Fédération internationale des droits humains). Avec 16 autres associations, dont Amnesty International, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) ou encore l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), la FIDH et la France insoumise ont condamné cette visite du maréchal Sissi en France. Les associations défenseuses des droits de l’homme dénoncent notamment, outre les 60 000 prisonniers politiques, les exécutions, la torture, la censure, le contrôle de la presse, de la télévision et des éditeurs, la répression contre l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR) mi-novembre. 

Alors pourquoi Emmanuel Macron dresse-t-il le tapis rouge à Abdel Fattah al-Sissi ? Selon les 17 associations et ONG militantes pour les droits de l’homme : « La France a vendu quantités d’armes à l’Égypte, devançant les États-Unis pour devenir le principal fournisseur d’armes du pays entre 2013 et 2017. » Les sommes sont astronomiques. Pour la seule année 2017, la France a livré pour plus de 1,4 milliard d’euros d’équipements militaires : navires de guerre, avions de chasse, véhicules blindés, technologies de surveillance et de contrôle des foules. On comprend mieux pourquoi Emmanuel Macron dresse le tapis rouge au maréchal Sissi.

Des intellectuels italiens rendent leur légion d’honneur

De l’autre côté des Alpes, la remise de la légion d’honneur au dictateur Sissi ne passe pas. Au moment même où Emmanuel Macron remettait la « grand’croix » de la légion d’honneur à Sissi, le parquet de Rome annonçait souhaiter le renvoi en justice de quatre officiers des services de sécurité égyptiens. Suite du meurtre de l’étudiant italien Giulio Regeni en Égypte en 2016. Cet homicide avait suscité une grande émotion en Italie, le jeune homme ayant été horriblement torturé avant de mourir.

Plusieurs intellectuels italiens proches de la France, ont donc décidé de rendre leurs décorations. Corrado Augias, journaliste et écrivain de renom, s’est rendu directement à l’ambassade de France à Rome pour rendre sa décoration. L’ancien maire de Bologne et ex-dirigeant syndical Sergio Cofferati, Giovanna Melandri, ministre de la culture entre 1998 et 2001, et la journaliste Luciana Castellina ont également décidé de rendre leurs décorations à la France.

Corrado Augias a dédié son geste à « la mémoire de Giulio Regeni, le jeune universitaire torturé et tué en Égypte. Mais je le dédie aussi à la France, patrie de ma famille et des Lumières qui ont éclairé, certes, le monde, mais qui doivent être ravivées de temps en temps. » Emmanuel Macron a visiblement fait passer les juteux contrats d’armements avant les droits de l’homme. La France donne en ce moment une triste image à voir, entre cette décoration d’un dictateur et la loi liberticide Sécurité Globale condamnée jusqu’à l’ONU. Mais ils n’éteindront pas la lumière dans le pays.

Par Pierre Joigneaux.