Soignants épuisés. Alors que la seconde vague de Covid-19 frappe le pays, un rapport choc de l’Ordre national des Infirmiers publié ce dimanche 11 octobre, tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur le niveau de destruction de l’hôpital public. 57% des infirmiers se déclarent en « situation d’épuisement professionnel ». Emmanuel Macron a osé leur déclarer le 6 octobre : « ce n’est pas une question de moyens ». Les applaudissements semblent bien lointains. Les héroïnes et héros du confinement ont été vite oubliés. Ils manifesteront ce jeudi 15 octobre à travers tout le pays pour réclamer une revalorisation significative des salaires et des embauches massives immédiates. Il y a urgence. 37% des infirmiers estiment que la crise que nous traversons leur a donné l’envie de changer de métier.
57% des soignants en situation d’épuisement professionnel, « ce n’est pas une question de moyen » selon Emmanuel Macron
Qu’elle paraît loin l’époque des applaudissements aux fenêtres et aux balcons. Celle des héros et héroïnes du confinement, salués tous les soirs à 20 heures. La « guerre » contre le Covid-19 est pourtant plus que jamais d’actualité. Le Premier ministre l’a dit ce lundi 12 octobre sur France Info : « la deuxième vague est là ». En fonction du taux d’occupation des lits en réanimations, des reconfinements locaux pourraient être annoncés. Car oui, la situation dans l’hôpital public est sous haute tension. Loin des discours, des larmes de crocodile et des promesses de médailles du gouvernement, le personnel soignant est en grande souffrance.
« L’Ordre national des Infirmiers alerte sur la situation des 700 000 infirmiers de France alors que l’épidémie s’accélère à nouveau » : nom d’un rapport choc publié ce 11 octobre. Les chiffres sont éloquents. 60 000 infirmiers ont répondu à cette consultation sur l’impact de la crise sanitaire sur leurs conditions de travail. 57% d’entre eux déclarent « être en situation d’épuisement professionnel depuis le début de la crise ». C’était 33% avant la crise. Un bond énorme de l’épuisement des soignants avec « un fort risque d’impact sur la qualité des soins » pour près de la moitié d’entre eux (48%). L’enquête nous révèle que près d’un infirmier sur cinq « n’a pas pu prendre de congés depuis mars dernier ». Une montagne de fatigue accumulée depuis plus de 7 mois et le début de la crise sanitaire sans précédent que nous traversons.
« Ce n’est pas une question de moyens, c’est une question d’organisation » a osé affirmer le Président de la République le mardi 6 octobre en visite à l’hôpital Rothschild à Paris. Emmanuel Macron soulignant alors des « efforts » budgétaires sans précédent pour l’hôpital public. Pourtant, les premières discussions sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) qui viennent de débuter cette semaine à l’Assemblée nationale laissent présager une baisse de 900 millions d’euros d’économie sur le budget 2021 pour les hôpitaux. Alors même que l’hôpital public est déjà au bord de l’implosion.
Des moyens en urgence pour l’Hôpital Public
Pour Emmanuel Macron, ce n’est donc pas une question de moyens. C’est être incroyablement sourd aux revendications des soignants et personnels hospitaliers depuis des mois. Les soignants ont en effet manifesté pendant de longs mois avant l’arrivée du Covid-19 pour réclamer une augmentation de leurs effectifs, de leurs salaires, du nombre de lits, des moyens massifs face au délabrement de l’hôpital public. Réponse ? 3 400 nouveaux lits d’hôpitaux supprimés en 2019 en plein Covid-19. En 15 ans, ce sont plus de 70 000 lits d’hospitalisation qui ont été détruits par les politiques austéritaires successives. Résultat de la politique du flux tendu, de la politique du chiffre et de la rentabilité appliquées à l’hôpital public. « Vous comptez les sous, on comptera les morts » : dénonçaient les banderoles de soignants avant même la crise du coronavirus.
Les salaires des infirmiers français sont les plus bas des pays de l’OCDE. 1 500 euros net en début de carrière. La réponse du Ségur de la santé ? 90 euros d’augmentation de salaire qui devraient entrer en vigueur ce mois-ci. Une insulte. Les soignants avaient réclamé 300 euros d’augmentation pour rattraper la moyenne salariale de leurs collègues de l’OCDE. Le gouvernement vient pourtant de débloquer 100 milliards d’euros dans son plan de relance, dont 20 milliards d’euros sans aucune contrepartie pour des entreprises licenciant leurs salariés. Un rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité piloté par France Stratégie, publié ce jeudi 8 octobre, révèle que la suppression de l’ISF et l’instauration de la « Flat Tax » au début du quinquennat, ont eu pour conséquences de faire exploser les revenus des 0,1% les plus riches. On estime ainsi que les 3 milliards perdus avec la suppression de l’ISF permettraient de recruter 60 000 soignants. Chacun ses priorités.
Pendant ce temps-là, plus d’un tiers des infirmiers salariés indiquent être en effectifs réduits par rapport à la normale. Avec de lourdes conséquences. 57% des infirmiers salariés estiment ne pas disposer du temps nécessaire pour prendre bien en charge les patients. Deux tiers des infirmiers déclarent que leurs conditions de travail se sont détériorées depuis le début de la crise. Aujourd’hui ce ne sont plus les masques, mais les gants qui manquent. Les nuits de gardes sont doublées. Des infirmiers viennent travailler en étant positifs au Covid-19. Des stagiaires sont envoyés au front, confrontés à la mort sans préparations. Résultat ? Les troupes sont dévastées. 37% des infirmiers estiment que la crise que nous traversons leur a « donné l’envie de changer de métier ».
Des voix s’élèvent pourtant depuis des années pour tirer la sonnette d’alarme. Depuis 3 ans, la députée insoumise Caroline Fiat alerte sur la destruction de l’Hôpital Public. Mais ne récolte que mépris et soupirs agacés de la part des députés marcheurs. Ce jeudi 15 octobre, des manifestations sont organisées partout en France à l’appel du collectif Inter-Hôpitaux, de la CGT, SUD, des collectifs Inter-Urgences et Inter-Bloc pour demander «une revalorisation significative des salaires» et «des embauches massives immédiates». La France insoumise réclame le recrutement de 60 000 soignants et l’augmentation de 300 euros de leurs salaires ainsi que le dégel du point d’indice. Emmanuel Macron a déclaré le 12 mars dernier : « La santé n’a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires (…) Quoi qu’il en coûte ». Il y a urgence. Un soignant sur trois veut démissionner. Le risque que les soignants partent en masse et que l’hôpital public s’effondre est réel. Il faut sauver l’Hôpital Public. Quoi qu’il en coûte.
Par Pierre Joigneaux.