Planification. Il y a peu, à l’évocation de ce mot, nombre d’éditorialistes et de politiques s’évanouissaient sur les plateaux. Les chars russes étaient aux portes de Paris. Une économie planifiée ? C’était l’URSS de Staline. Aujourd’hui le président Macron, porte-étendard du néolibéralisme, crée un Haut-Commissariat au Plan. Une grande victoire idéologique. Jean-Luc Mélenchon martèle depuis des années la nécessité d’un retour de l’État planificateur, il est enfin entendu. Signe qu’avec la crise sans précédent que nous traversons, les lignes idéologiques bougent. La bataille culturelle sur la planification de la bifurcation écologique ne fait que commencer.
Le retour du Plan, une victoire révélatrice
« On vous sent très en propositions.(…) Vous êtes pour la planification et on apprend qu’un commissariat général au plan va être installé. Vous dites « il faut que l’État prenne sa place dans l’économie » et on voit des plans de relance. Est-ce que vous estimez que le climat général est en train de changer ? » Question de Françoise Fressoz, journaliste du Monde, à l’adresse de Jean-Luc Mélenchon, le 30 août 2020 sur le plateau de Questions Politiques. On parle ici d’une émission de France info, de France Inter et Le Monde. Médias sur lesquelles, ces trois dernières décennies, éditorialistes, économistes, « experts » et politiques se succèdent pour porter une tout autre vision de l’économie. Celle de la non-intervention de l’État, de la main invisible et magique du marché, de la politique de l’offre, de la mondialisation heureuse, des traités de libre-échange, de la flexibilisation du droit du travail et de la radicalisation du rapport de force du capital sur le travail. Une promotion quotidienne du néolibéralisme. Cette question de Françoise Fressoz est donc révélatrice. Certains dogmes néolibéraux, considérés comme acquis et comme du « bon sens » depuis des années dans les médias dominants, sont en train d’être remis en cause.
Le confinement avait déjà été une séquence d’ouverture d’une brèche idéologique. Rappelons-nous l’ampleur de la prise de conscience de la destruction de l’Hôpital public. Les applaudissements aux fenêtres à 20 heures, les banderoles réclamant du fric pour l’Hôpital public, mais également les images de soignants dénonçant le manque de moyens en direct sur les chaînes d’infos en continu. Le résultat de trente ans de politiques néolibérales de destruction des services publics, étalé aux yeux de tous au Journal de 20 heures. Les oubliés, exploités, premiers de corvées, les infirmières, aides soignantes, caissières, femmes de ménages, passés de l’ombre et de l’indifférence médiatique générale, au statut d’héroïnes et de héros du confinement. Les cures d’austérités dans les services publics, dictées par la Commission européenne et désormais largement remises en cause dans l’opinion. Rappelons-nous enfin de la vague des manifestations en ligne #PlusJamaisCa durant le confinement. Oui, le climat général est en train de changer. Comme il avait déjà évolué durant la bataille contre la réforme des retraites ou encore lors des Gilets jaunes.
La planification de la bifurcation écologique, l’étape suivante
Jean-Luc Mélenchon était donc l’invité d’Ali Baddou sur le plateau de Questions Politiques, ce dimanche 30 août 2020. Et, fait suffisamment rare pour être souligné, l’accueil a été chaleureux, élogieux même. Quelle mouche avait donc piqué Françoise Fressoz, Nathalie Saint-Cricq et les autres ce dimanche midi dans la Maison de Radio France ? « Philosophe », « Rassembleur », « drôle », « en propositions », « visionnaire » et même « hégémonique » sur la question de la planification ! Champagne. Il faut dire que la planification, et plus précisément la planification de la bifurcation écologique, cela commence à faire longtemps que le leader des insoumis la porte.
Dans la campagne présidentielle de 2012, la planification écologique constituait le troisième chapitre du programme du Front de gauche, L’Humain D’abord. Dans l’Avenir en Commun, le programme des insoumis depuis 2016, la planification écologique occupe là aussi une place prépondérante. Le candidat des insoumis martelait à chaque meeting de 2017 l’urgence de planifier la bifurcation écologique, de créer des centaines de milliers d’emplois dans la rénovation thermique des bâtiments, dans les énergies de la mer, l’éolien, le solaire, la géothermie etc. Depuis le début de la crise sanitaire, le président du groupe LFI à l’Assemblée martèle également l’urgence de la planification sanitaire : création d’un pôle public du médicament, réquisition des entreprises du textile, nationalisation de Luxfer, seule entreprise sur le sol européen à produire des bouteilles d’oxygène médicales, etc.
« La planification, ce n’est pas Staline, c’est De Gaulle » assène Mélenchon ce dimanche. En effet, depuis des années sur les plateaux télés, le planification est renvoyée, pour la décrédibiliser, à la figure de Staline. Ces éditorialistes, économistes et experts de plateaux, ont la mémoire bien courte. C’est le général de Gaulle qui créé le 3 janvier 1946 le commissariat général au Plan. Le premier commissaire au Plan se nomme Jean Monnet. La planification, ce n’est pas Staline, c’est bien de Gaulle et le programme du CNR de 1944 : « Les jours heureux ». Clin d’œil à l’histoire, les députées insoumises Mathilde Panot et Danièle Obono ont déposé à l’occasion de la niche parlementaire des insoumis le 4 juin dernier, une proposition intitulée : « Proposition de résolution déclarant la nécessité d’une bifurcation écologique et solidaire pour aller vers les jours heureux ». Lors du meeting de clôture des universités d’été de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon a longuement insisté sur les grands défis de la planification et la collectivisation des communs : l’eau, les routes, les ponts, les barrages, etc. En cette rentrée 2020, Emmanuel Macron a nommé François Bayrou Haut commissaire au Plan. Preuve que la planification n’est plus un gros mot. Une victoire idéologique indéniable pour Jean-Luc Mélenchon.
Par Pierre Joigneaux.