Ce mercredi 13 mai, la loi contre la haine en ligne, aussi appelée loi Avia, du nom de la députée LREM qui l’a portée, a été adoptée en catimini à l’Assemblée Nationale. Cette loi fait peser de grandes menaces sur la liberté d’expression. Explications.
Le débat a duré quelques dizaines de minutes, dans une procédure accélérée qui interdisait le dépôt d’amendements. On peut s’interroger sur cette soudaine précipitation. Peut-être faut-il chercher du côté du véritable contenu du texte. Les associations de défense de libertés numériques, tout comme les militant⋅es contre les discriminations, ont expliqué que cette loi était dangereuse. L’opposition était donc massive. Mais le gouvernement a une nouvelle fois piétiné le Parlement. Celle loi va permettre aux autorités de censurer sans contrôle.
Au cœur de la loi Avia : l’exclusion du juge
Le cœur de la loi Avia est très simple. Il oblige les plateformes à retirer les contenus illégaux, en les menaçant d’énormes amendes si elles ne le font pas. À première vue, cela peut sembler logique. La loi française interdit très justement l’injure à caractère raciste, sexiste ou homophobe, et pas la critique politique. C’est ce derrière quoi se sont cachés les députés LREM.
En pratique, cela signifie tout simplement que les juges sont exclus de l’application des lois sur le liberté d’expression. Les plateformes doivent juger elles-mêmes de ce qui est illégal. Le juge n’intervient que pour condamner les plateformes lorsqu’elles ne le font pas. Si une plateforme autorise un contenu parce qu’elle estime qu’il n’est pas illicite, et qu’un tribunal dit ensuite le contraire, elle risque une grosse sanction.
Par contre, si la plateforme décide dès le départ de censurer le contenu, elle ne prend aucun risque. Rien ne vient condamner une censure abusive. Le comportement logique des plateformes sera de supprimer un contenu dès qu’il y a le moindre doute sur un propos. Les conséquences de cela sont doubles. Le contournement du juge ouvre la voie à une censure hors de tout contrôle. Pour ne rien gâcher, les méthodes de modération engendrée par la loi mettent en danger les minorités qu’elle prétend protéger.
Une censure sans contrôle
N’importe qui peut faire un signalement à une plateforme. Cela inclut bien entendu la police, que la loi cite en tant « qu’autorité administrative ». La plateforme doit forcément examiner ce signalement. Si la police signale un contenu « manifestement illicite », quelles plateformes prendront le risque d’une grosse amende en le laissant en ligne ?
Cela est d’autant plus inquiétant qu’au dernier moment, les auteurs de cette loi y ont introduit une nouveauté : un délai spécial d’une heure pour la suppression des propos en lien avec le terrorisme, en plus du délai de 24h pour les propos haineux. Or, on sait comment le motif de terrorisme a été détourné par le passé. Depuis que la loi permet sous ce motif l’assignation à résidence sans procès, le ministère de l’Intérieur l’a plusieurs fois utilisée contre des militants écologistes.
Ce qui est vrai avec les assignations à résidence l’est aussi avec la censure. Sans le contrôle du juge, le ministère de l’Intérieur peut faire ce qu’il veut. Il y a quelques mois, la police a par exemple signalé à Google une caricature d’Emmanuel Macron le faisant paraître sous les habits du dictateur Augusto Pinochet, en prétendant qu’elle était raciste.
Une loi qui ne protège personne
Au mieux, cette loi ne sert à rien pour les minorités qu’elle prétend protéger, et pire elle risque même de les mettre en danger. C’est ce qu’a souligné Danièle Obono lors de son intervention à l’Assemblée nationale, où les députés insoumis ont voté contre.
Cela tient à plusieurs raisons. La première d’entre elles est la manière dont la modération des grandes plateforme fonctionne. Celle-ci est principalement assurée par des algorithmes, ou par des personnes peu formées sur les dynamiques réelles des discriminations.
Les algorithmes sont très inefficaces, et les exemples sont nombreux. En particulier, les algorithmes sont très mauvais pour différencier un discours de haine homophobe, sexiste ou raciste d’un discours de lutte contre cette haine. En poussant au durcissement des filtres, la loi va entraîner la censure massive des contenus produits par les victimes elles-mêmes. C’est ce qu’ont dénoncé des militants LGBTI, féministes et antiracistes dans une tribune publiée en février, et signée par plusieurs députés insoumis⋅es.
La question de l’illégalité d’un propos est complexe. Elle ne se règle pas avec des algorithmes ou des travailleurs sous pression payés au clic. Coïncidence, les anciens attachés parlementaires de Laetitia Avia, rapporteure de la loi, l’accusent d’avoir tenu des propos racistes et homophobes. La députée s’est défendue en appelant à prendre en compte le contexte : c’est justement le métier d’un juge.
Cette loi dangereuse se dissimule donc derrière un coup de communication hypocrite. Le gouvernement n’est pas du tout à la hauteur de la lutte contre le racisme, sur des questions comme le travail ou l’accès au logement. Cette année, la France a perdu 6,8 points dans le classement européen des droits humains des personnes LGBTI. Le rapport, publié le jour même du vote de la loi, met directement en cause la politique d’Emmanuel Macron depuis 2017.
Par Jill Royer