Le racisme environnemental, c’est la double peine : subir l’injustice sociale et l’injustice écologique. Quand les quartiers populaires suffoquent tandis que les quartiers aisés profitent d’un air plus pur, ce n’est pas un accident, mais le résultat d’un système. L’organisation urbaine des inégalités tend effectivement à concentrer les projets les plus polluants au niveau des quartiers où habitent les classes populaires, souvent démunies économiquement et disposant donc de moins de moyens pour se défendre, s’adapter, ou s’échapper.
Le concept est né en 1987 aux Etats-Unis, où Benjamin Chavis, un ancien assistant de Martin Luther King, analyse le positionnement des installations de stockage et de traitement des déchets. Il met alors en évidence le fait que ces sites extrêmement polluants sont surtout situés proches des quartiers populaires où vivent les minorités ethniques états-uniennes. Notre article.
La lutte contre l’extrême droite et la montée de ses idées, au cœur de la mobilisation du 22 mars, à laquelle 500 organisations appellent, dont LFI, est indissociable de la défense d’une écologie populaire, universelle et efficace face au réchauffement climatique et à la dégradation de l’environnement. Notre article.
Le racisme environnemental imprègne nos sociétés jusqu’à l’apparition d’une écologie nationaliste à la vision essentialiste, qui exclut celles et ceux qui subissent le plus durement cette crise, et qui sous prétexte de relocalisation en profite pour transposer son concept de préférence nationale. Cela traduit toute l’hypocrisie de leur approche et leur incapacité profonde à saisir l’universalité de l’enjeu.
Quartiers populaires : corps abîmés et environnement contrôlé
En France, les inégalités face au changement climatique s’expriment dans les quartiers populaires au travers d’une détérioration continue de l’environnement. Ces quartiers sont souvent victimes d’une plus grande pollution de l’air, comme c’est le cas à Paris, où elle se concentre dans les arrondissements du nord parisien et dans les villes périphériques. Dans son ouvrage Faites mieux ! Vers la Révolution citoyenne, le leader de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, aborde également le sujet, au travers des risques liés à la pollution lumineuse et à la pollution sonore croissante dans nos villes.
Les quartiers populaires sont ainsi particulièrement vulnérables, et leurs habitants subissent une surexposition aux nuisances : surmortalité accrue liée à la pollution de l’air (EHESP), pollution sonore perçue comme deux fois plus intense qu’ailleurs (Observatoire des inégalités)… Une réalité environnementale brutale, qui abîme les corps et fragilise les vies. Une dynamique semblable a été étudiée concernant les “gens du voyage” (i.e., Roms, Manouches ou Sintis, Gitans, Yéniches, …).
Le juriste William Acker a démontré dans son ouvrage Où sont les « gens du voyage » ? Une histoire actuelle de l’antitsiganisme, la proximité systématique entre les aires dédiées aux gens du voyage et des infrastructures telles que les déchetteries, incinérateurs ou usines de traitement des eaux. A côté de Rouen, lors de l’incendie de l’usine Lubrizol en 2019, l’aire d’accueil de gens du voyage attenante n’a même pas été évacuée (Libération).
Face à cette réalité, induite par des facteurs aussi structurants et écrasants que les conséquences de l’industrialisation et du consumérisme mondialisé d’une part, et, d’autre part, par l’héritage de la colonisation (excusez du peu), les commentateurs habituels font au mieux preuve d’indifférence ou étalent parfois leur insensibilité décomplexée, par exemple en s’indignant de l’usage des bouches d’incendie lors des vagues de chaleur en Seine-Saint-Denis, sujet « léger » où l’on retrouve pourtant toute la lourdeur de l’arsenal répressif (5 ans de prison et 75 000 euros d’amende). Au-delà des articles sensationnalistes des colonnes du Figaro, le milieu militant et politique n’appréhende pas toujours avec justesse le rapport des quartiers populaires à l’écologie.
La politologue Fatima Ouassak le pointe dans Quartiers populaires, conscientisation écologique et libération : « […] Dans les milieux militants et politiques, on préfère s’interroger sur les raisons pour lesquelles les classes et quartiers populaires, pourtant les plus touchés par le désastre écologique présent et à venir, ne s’intéressent pas à l’écologie. […] Ces questions ainsi formulées […] traduisent un rapport paternaliste néocolonial et un mépris de classe vis-à-vis des quartiers populaires, considérés au mieux comme un laboratoire où on peut venir expérimenter des projets pourtant pensés ailleurs, au pire comme un territoire et une population à civiliser. »
La mobilisation prend pourtant de l’ampleur chez les premiers concernés : de plus en plus de collectifs, tels que Banlieues Climat, mettent en lumière le racisme environnemental et portent des solutions concrètes adaptées aux réalités de ces territoires. L’association, fondée par des jeunes issus de ces quartiers, œuvre pour donner une voix aux populations souvent invisibilisées dans les débats écologiques et vise à concilier justice sociale et écologie, en soulignant l’importance d’une transition écologique inclusive. Le fondateur Féris Barkat souligne par exemple l’absence de la communauté scientifique dans les quartiers. Ensemble, ils créent donc la première école populaire du climat à Saint-Ouen en 2024. C’est cette écologie populaire, qui part des besoins et des expériences des quartiers populaires, que défend également Fatima Ouassak, dont l’association Front de Mères a créé la première maison de l’écologie populaire.
Les populations d’outre-mer, grandes victimes du racisme environnemental
En France, c’est dans les Outre-mer que le racisme environnemental a pris sa forme la plus violente. Les logiques d’État conduisant à détruire les terres en toute impunité sont effectivement très souvent liées à des logiques coloniales. Un exemple notable de racisme environnemental en France est le scandale de la pollution au chlordécone aux Antilles françaises : utilisé dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe entre 1973 et 1993, il est pourtant interdit aux États-Unis dès 1976.
Il a contaminé durablement les sols, les rivières et les chaînes alimentaires locales, exposant les travailleurs des plantations et plus globalement les populations antillaises à des risques sanitaires accrus, notamment des taux élevés de cancers de la prostate. Plus de 90 % des Guadeloupéens et des Martiniquais adultes sont aujourd’hui contaminés au chlordécone. En 2023 la justice française reconnaît un « scandale sanitaire » mais prononce un non lieu.
Comme le souligne le chercheur Malcom Ferdinand, « Le processus autour du chlordécone porte la marque d’une justice coloniale » : son utilisation aux Antilles découle d’une volonté de consacrer le territoire à la monoculture d’exportation. Encore aujourd’hui, l’industrie est largement dominée par les békés, des créoles blancs descendants des premiers colons en majorité esclavagistes.
1% d’entre eux possède 40% de l’économie répartie entre 8 familles en Guadeloupe et Martinique. Ils détiennent en effet la majorité des terres, et obtiennent des dérogations comme en 2009 où des arrêtés préfectoraux dérogatoires leur permettent de poursuivre les épandages aériens de pesticides malgré une directive européenne les interdisant.
Malcom Ferdinand parle d’une « double fracture de la modernité ». Il existe une fracture environnementale entre la nature et l’homme, ainsi qu’une fracture coloniale opposant les privilégiés aux minorités. Il constate que les personnes des milieux militants et académiques analysent l’une de ces fractures indépendamment de l’autre, ce qui est contraignant et réducteur, à l’heure où un travail unificateur de toutes les luttes justes et solidaires est nécessaire.
Le projet écologique de l’extrême droite est profondément raciste
Un temps ouvertement climato-sceptique, le RN ne l’est plus vraiment depuis le tournant des années 2020. En 2022, leur livret écologie se donne même le luxe d’afficher des ambitions de « décarbonation » – il faut cependant ne pas perdre de vue que cela reste le fond dominant de l’extrême droite sur l’écologie malgré cette façade, par exemple quand Vincent Bolloré diffuse allègrement du contenu climatosceptique dans ses médias, tel que sanctionné par l’ARCOM en Juillet dernier.
S’il n’est pas toujours directement lié au racisme environnemental, le climatoscepticisme nuit à tout le monde, en particulier aux populations les plus exposées et minorisées. Mais l’extrême-droite dénonce une surpopulation des pays du sud qui serait responsable des émissions de gaz à effet de serre et menacerait les pays riches de submersion migratoire pour échapper aux conséquences climatiques. Quand l’écologie sert de support au délire raciste.
Dans son programme 2022 pour « l’écologie française », le RN pose un cadre qui se veut rassurant, évoquant dès ses premières lignes la préservation de la « qualité de vie » et la « joie de vivre », et fustigeant « l’écologie punitive ». L’extrême droite exclut par ailleurs les populations victimes du changement climatique de son projet au niveau national comme international, et instrumentalise le sujet en permanence. Marine Le Pen pose avec un petit chat dans les bras mais ne se préoccupe jamais de la souffrance animale.
L’agriculture conventionnelle se rend coupable de cruautés dénoncées par les lanceurs d’alertes (L214, CIWF..) mais aucune prise de position dans ce cadre n’a été rendue publique par le RN. Cette inaction se retrouve plus largement dans les votes du RN : coupes budgétaires drastiques dans son contre-budget pour 2025, affectant négativement la transition énergétique, votes contre le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) ou contre des réglementations visant à lutter contre la déforestation au Parlement européen…
Au-delà de l’instrumentalisation et de l’hypocrisie de la ligne de l’extrême-droite sur l’écologie, son approche « localiste » et identitaire de l’écologie prônée par le RN met en avant la priorité nationale et culturelle, ce qui peut conduire à l’exclusion des minorités ethniques et culturelles du projet écologique. Cette vision restreint la diversité et limite la participation de toutes les composantes de la société aux initiatives environnementales. Elle se retrouve notamment dans l’effrayant concept de « biocivilisation » qui promeut la supériorité de la civilisation blanche et appelle à réduire les autres populations (Reporterre).
A l’international, le même schéma se répète
Alors que les partis racistes promettent une forte répression de l’immigration, sous couvert de raisons budgétaires alors qu’il a été démontré de nombreuses fois le bénéfice économique, intellectuel et culturel qu’elle apporte (Parlons immigration en 30 questions, François Héran), ainsi que l’improbabilité économique et technique d’appliquer de telles mesures, les valeurs portées par la France Insoumise consiste depuis toujours à mener une politique au delà des frontières, afin que chacun se sente bien chez soi.
Ainsi l’inhumanité d’une telle décision, consistant à renvoyer des personnes dans des conditions terribles ne doit plus devenir un sujet de débat. Il s’agit de s’approprier ces enjeux avec une vision à long terme, en traitant les causes injustes de ces déplacements plutôt qu’en les culpabilisant avec des dynamiques d’objectification. En particulier, lorsque ces mouvements sont le fait d’accords économiques et commerciaux inégaux, d’un passé colonial encore marqué ou d’actes de déstabilisation politique par les pays occidentaux.
Bien que leurs émissions de gaz à effet de serre soient minimes, la mortalité due aux inondations, la sécheresse et les catastrophes climatiques ont été jusqu’à 15 fois plus élevées dans les pays des Suds ces dix dernières années, selon le sixième rapport du GIEC. C’est là que se trouvent les populations les plus vulnérables au changement climatique. L’indifférence des décideurs politiques face à ce constat consensuel est susceptible d’être nourri par un mépris pour ces populations : des personnes essentiellement noires, maghrébines, latinos, asiatiques, etc. La lutte pour la justice sociale ne peut se faire avec succès sans la lutte pour la justice climatique.
Faire front commun, avec une première étape ce 22 mars
Il devient plus urgent que jamais de poursuivre notre mobilisation contre les causes de la dégradation écologique dont le dérèglement climatique sans perdre l’espoir, d’engager le mouvement citoyen, et de continuer à militer pour ces causes humanistes que nous servons depuis si longtemps. Il est nécessaire de trouver les solutions pour que tous ensemble nous puissions faire front commun contre l’oligarchie économique responsable de cette situation.
Par le groupe thématique « Planification écologique » de LFI