« Besoin de monde pour demain matin, 5h. Je ne peux pas refuser » : la grande précarité des travailleurs intérimaires

La précarité des travailleurs intérimaires est une réalité. Emplois à courte durée, faibles stabilité et visibilité, stigmatisation dans les entreprises… Elle est l’un des symptômes du capitalisme dans lequel la productivité est un enjeu majeur pour assurer la compétitivité et la croissance des entreprises au profit du capital et non des travailleurs. De plus en […]

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La précarité des travailleurs intérimaires est une réalité. Emplois à courte durée, faibles stabilité et visibilité, stigmatisation dans les entreprises… Elle est l’un des symptômes du capitalisme dans lequel la productivité est un enjeu majeur pour assurer la compétitivité et la croissance des entreprises au profit du capital et non des travailleurs. De plus en plus utilisé, le recours aux services des travailleurs temporaires dans les grandes sociétés, notamment dans le secteur industriel, ne fait que participer à l’accroissement des dividendes plutôt qu’à la pérennisation des effectifs salariaux.

Quelques chiffres : 40 % des travailleurs temporaires gagnent moins de 1063 euros par mois contre 11 % des CDI (INSEE). En 2024 (source DARES), 715 500 personnes étaient en contrat intérimaire en France, soit 2.5 % des travailleurs contre 569 314 en 2004 et 520 024 en 2014. Notre article.

La réalité de la précarité

40 % des travailleurs temporaires gagnent moins de 1063 euros par mois contre 11 % des CDI (INSEE) ¼ des salariés en contrat court n’a plus d’emploi dans les trois mois. Précarité, de quoi parle-t-on ? D’emplois de courte durée, d’un manque de stabilité et de visibilité, des périodes sans emploi plus récurrents (5 mois/an sans emploi en moyenne), d’une stigmatisation dans les entreprises, moins d’accès à la formation, manque de missions, moins d’accès aux droits sociaux, car peu syndiqués de la part la précarité de leur statut…

En 1992, le Fonds d’Action Sociale du Travail Temporaire est mis en place. Cette association à but non lucratif se consacre à l’amélioration des conditions de vie des salariés intérimaires (logement, santé, prévention, mobilité, budget, famille, social), afin de pallier différents freins de retour à l’emploi des travailleurs temporaires en cas de difficultés soudaines.

Dans la pratique, il est assez difficile de mobiliser les aides surtout dans les territoires ruraux : « nous avons effectué une demande de mise à disposition d’un véhicule pour un de nos intérimaires qui était en panne, mais l’agence de location partenaire était à 70km du lieu de résidence, la personne ne pouvait pas se déplacer », souligne Ophélie, chargée de recrutement dans la Somme, « pour une demande d’aide pour un logement, il faut un nombre d’heures minimum qui est souvent difficile de cumuler pour une majorité des personnes chez nous ».

En 2024, le FASTT a mobilisé 38.1 millions d’euros d’aides financées par les accords de branches avec les agences de travail temporaire (gérées par les différents partenaires sociaux). Le problème de difficultés liées à la précarité est bien réel. Néanmoins, il devrait relever d’une solution étatique et non associative.

LFI se pose en défenseurs des personnes précaires. Favoriser l’embauche en CDI classique et empêcher les employeurs d’utiliser le CDII comme un moyen de précariser encore plus les travailleurs, voilà l’un des objectifs des insoumis concernant l’emploi. Cela passerait notamment pour le renforcement des droits des intérimaires, l’imposition d’un vrai salaire minimum garanti entre les missions, la limitation de l’usage des contrats précaires et l’encadrement strictement la sous-traitance.

Concernant l’entreprise ?

« Un de nos clients, une grande enseigne de logistique, compte environ 120 intérimaires pour un effectif total de 150 salariés, les intérimaires sont en poste pour de la longue durée si tout se passe bien, nous ne comprenons pas l’intérêt de ne pas embaucher » explique Ophélie.

Tout d’abord, l’entreprise n’a pas à supporter les coûts liés à l’embauche d’un CDI et peut parfois bénéficier, en plus, d’avantages fiscaux. Elle peut, sous certaines conditions, bénéficier de certains allègements des charges sociales de façon à diminuer le coût de la main d’œuvre. Cependant, le coût d’un travailleur intérimaire pour une entreprise est plus élevé qu’un salarié en CDI. En effet, plusieurs éléments de facturation sont à prendre en compte : le salaire brut de l’intérimaire, les charges sociales, les différentes indemnités (précarité, congés payés) et aussi le taux de facturation appliqué par l’agence d’intérim. Alors comment expliquer ce choix ?

D’abord, la gestion du recrutement : dans le cadre de l’utilisation de contrats intérimaires, l’entreprise utilisatrice n’a pas à gérer le volet recrutement (sourcing, entretiens…) mais aussi les formalités administratives (contrat de travail, accueil sécurité, mutuelle…) supportées par l’agence d’intérim. C’est un gain de temps essentiel pour l’entreprise, donc un gain d’argent.

Ensuite, la flexibilité : En effet, faire appel à des travailleurs intérimaires permet aux entreprises de réagir rapidement en cas de fluctuation d’activités (surcroit de commandes, absences…). À la fois pour pallier un besoin, mais aussi pour diminuer l’effectif total de la société en cas de baisse d’activité de façon très rapide : « ce client ne fait que des contrats à la semaine, ce qui est déjà bien, d’autres font des contrats à la journée… ».

Alors que 6,1 % des salariés vivent sous le seuil de pauvreté, les plus grosses entreprises françaises ont distribué un montant jamais vu de dividendes estimés à 98.2 milliards d’euros en 2024. Le secteur industriel représente 39 % de l’emploi en intérim, suivi par la construction et le transport/logistique. Ces 3 secteurs représentent approximativement 80 % du marché de l’intérim. D’après l’INSEE, l’intérim génère un chiffre d’affaires d’environ 29 milliards d’euros en 2020, soit 10 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des services aux entreprises.

Pour aller plus loin : Des patrons du CAC 40 gagnent 1 453 fois plus que leurs salariés, Macron complice

Il semble évident que le recours à ces salariés précaires est essentiellement exercé par les grandes entreprises et non par les TPM/PME. Compte tenu des records indécents des dividendes versés, pourquoi faudrait encore maintenir nombre de travailleurs dans la précarité pour gaver des actionnaires ?

« Réveil à 3h30, heureusement j’habite à proximité. Le plus dur ce matin, c’est l’heure de lever mes filles à 4h15 » – La précarité au jour le jour, la veille pour le lendemain (témoignage)

« Il est 17h45, mon agence me contacte, besoin de monde pour demain matin 5h pour du conditionnement. Je ne peux pas vraiment refuser, mais j’espère que ce sera pour au moins quelques jours…. Bon, 17h45, je peux peut-être encore contacter le périscolaire pour la cantine de ma plus grande et je vais voir la nounou pour la deuxième (elle n’a que 18 mois, ce n’est pas évident). Je prépare tout ce petit monde à mon absence de demain…

Réveil à 3h30, heureusement, j’habite à proximité. Le plus dur ce matin, c’est l’heure de lever mes filles à 4h15 pour les déposer chez nounou…

4h40 : J’arrive le cœur lourd et la gorge serrée sur ce parking. Je ne suis jamais venue ici, mais les mamans de l’école connaissent bien, je pense que tout le monde y est passé comme on dit. Pas très bonne réputation, mais je verrais bien.

4h 50 : Je suis la foule, et rentre. Une « marraine » nous prend en charge. Elle nous emmène dans les vestiaires où les casiers ne sont pas suffisamment nombreux. Ils sont donc réservés pour les embauchés. Je croise les doigts pour retrouver mon portable, mon sac, mes affaires une fois mon poste terminé. Elle nous montre l’endroit pour badger, mais s’interrompt : un composant est manquant dans les livraisons de ce matin. Elle attend les directives. Nous, on ne dit trop rien. On est une vingtaine à attendre.

5h30 : le verdict tombe : l’entreprise n’a pas le nécessaire pour nous mettre en poste, nous devons repartir. « Non non ne badgez pas, ce n’est pas nécessaire puisque vous rentrez… » Sur le coup, nous, on ne percute pas, on doit repartir rapidement, on ne peut pas stagner ici « pour des raisons de sécurité… »

5h45 : je remonte dans ma voiture et pense à mes filles… si j’avais su.

8h30 : J’appelle mon agence d’intérim. Personne n’est encore au courant. Elles auront surement un mail dans la matinée. Mais, au fait, mon déplacement est payé ? Et le temps passé là-bas ? « Non, voyons, vous n’avez même pas badgé »…

Par Madeleine Rosier

Crédits photo : « Manifestation du 5 décembre 2019 (pour la défense des retraites) », Jeanne Menjoulet, Wikimedia Commons, CC BY 2.0, pas de modifications apportées.

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