Outre-mer. Alors que de nouveaux sabotages ont été observés sur le réseau de distribution d’eau potable en Guadeloupe, entraînant une coupure d’eau pour un habitant sur trois (Guadeloupe la Première), la question de l’accès à l’eau réémerge continuellement dans les territoires et départements d’Outre-mer.
La cause réside principalement en la vétusté extrême du réseau, le taux de fuite estimé avoisinant les 70 %. Alors même que la fréquence des coupures s’accélère, elles ne sont pas prises en compte dans les factures d’eau, dont le prix augmente chaque année.
Loin de se résorber, la crise de l’eau dans les territoires ultramarins s’aggrave. L’Insoumission revient sur le caractère politique de ces crises chroniques resultats d’un sous développement et d’un abandon de l’État. Notre article.
En Guadeloupe, un manque d’investissement drastique dans un réseau vétuste
La Guadeloupe enregistre des coupures d’eau de plus en plus fréquentes. La cause réside principalement en la vétusté extrême du réseau, le taux de fuite estimé avoisinant les 70 %. La quasi-totalité du réseau doit donc être rénovée. Mais la distribution est gérée par le Syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe, le SMGEAG. Le syndicat mixte subit la liquidation soudaine de tous les organismes de gestion de l’eau ayant eu lieu lors de sa création, en 2021.
Sous-financé, 50 % de son budget est versé par le département et la région de la Guadeloupe et le reste par les communes composant les établissements publics de coopération intercommunale membres du syndicat mixte. Alors même que la fréquence des coupures s’accélère, elles ne sont pas prises en compte dans les factures d’eau, dont le prix augmente chaque année. Ainsi, le taux d’impayés est passé de 23 % en 2021, année de la mise en place du SMGEAG, à 43 % fin 2023 (Reporterre). Une situation qui aggrave la situation, le syndicat mixte croulant peu à peu sous les dettes, et voyant ses ressources économiques s’amenuiser à mesure que les habitants refusent légitimement de payer pour un service défaillant.
Pourtant, le titre V de la loi portant création du SMGEAG mentionne bien : « En cas de rupture de l’approvisionnement des usagers, le Syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe prend toute mesure propre à garantir un droit d’accès régulier à l’eau » (Loi du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance des services publics d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe).
Mais face au manque d’investissement de l’État à travers la région et le département, suite à la fusion de tous les organismes de gestion de l’eau, le droit le plus fondamental, l’accès à une eau potable, est bafoué en Guadeloupe. Les sabotages et vols sur le réseau de distribution contribuent également à ce problème, mais la raison structurelle reste le manque criant d’investissements dans les services publics.
Pour aller plus loin : Outre-mer : « la crise de l’eau est sans précédent », alerte l’UNICEF
Outre-mer : une gouvernance de l’eau catastrophique à l’origine des crises récurrentes en Martinique
En Martinique, le début de l’année 2024 était également marqué par des coupures récurrentes sur le réseau de distribution. Si la sécheresse a été citée comme le principal facteur de la crise de l’eau, là encore des raisons politiques et économiques sont à la source du problème.
La sécheresse record de 2024 a mis en tension le réseau de distribution d’eau martiniquais. Le déficit de précipitations a été jusqu’à 70 % inférieur à la moyenne des 30 dernières années (Préfet de la Martinique, 29 juillet 2024). L’arrêté du 5 avril 2024 plaçait alors la Martinique en zone d’alerte sécheresse renforcée, avant qu’un second arrêté ne place l’île en situation de crise sécheresse. Ces mesures instaurent des restrictions de consommation d’eau dans toute l’île. Les habitants ont alors dû être approvisionnés en bouteilles d’eau.
La gouvernance de la gestion de l’eau en Martinique est là encore en cause. Les infrastructures gérées par la SME, filiale de Suez, ne respectent pas les normes réglementaires et introduisent des pollutions dans les rivières, menaçant également la biodiversité (Blast, 22 juillet 2024). Alors que la situation est connue depuis plus d’une décennie, les communes martiniquaises continuent de déléguer la distribution de l’eau à des opérateurs privés comme Suez, alors même que ceux-ci ne respectent pas leurs engagements en matière de normes environnementales et d’approvisionnement des populations.
En 2018, le Préfet de Martinique attribue la propriété des deux usines de retraitement de l’eau potable à Suez, alors même que ses chiffres de rendement sont contestés, et qu’aucune instance indépendante n’a pu prouver qu’ils reposaient sur des sources fiables. Ainsi, Suez revend l’eau traitée à la régie publique de la Communauté d’agglomération du centre de la Martinique (CACEM) à un prix démesuré, et favorise avant tout ses clients (dans le sud) lors de périodes de sécheresses.
Selon la régie publique, la rénovation de l’ensemble du réseau permettrait à l’île de supporter les événements arides, y compris la sécheresse de 2024. Ainsi, le manque de dialogue entre les élus des communautés d’agglomération (Martinique la Première, 25 avril 2024), et les intérêts privés de Suez bloquent toute politique de rénovation du réseau. Alors que le changement climatique dérègle de plus en plus le cycle de l’eau, et qu’il est urgent d’agir pour les infrastructures de distribution d’eau, aucune politique d’ampleur n’est menée sur l’île.
À Mayotte, les intérêts privés de Vinci sapent toute politique publique ambitieuse
Alors que 221 cas de choléra avaient été observés et que cinq personnes étaient décédées de la maladie à Mayotte en 2024, aucune politique publique d’ampleur n’a été engagée afin de permettre l’accès à l’eau potable sur toute l’île. Lors de la sécheresse de 2023, les retenues collinaires fournissant 80 % de la population atteignent un seuil critique et les habitants doivent alors attendre des heures sous un soleil de plomb afin d’avoir accès aux distributions d’eau (UNICEF, 21 mars 2024). Ici plus qu’ailleurs, au-delà de la sécheresse, c’est la démographie qui est ciblée comme bouc émissaire par les autorités publiques afin de justifier le manque d’investissements.
La peur d’un « appel d’air » créé par l’augmentation des ressources des services publics et d’une augmentation des migrations venant des autres îles de l’archipel des Comores est l’argument-phare des pouvoirs publics sur place. Mais « l’appel d’air » est déjà là (ROINSARD, Nicolas, Une situation postcoloniale, Mayotte ou le gouvernement des marges, CNRS Editions, 2022.), et à moins de faciliter l’arrivée d’épidémies ou de fragiliser encore la population sur place, les autorités doivent investir afin de respecter les droits les plus fondamentaux.
Là encore, la qualité du réseau d’eau est en cause. Les fuites constituent 25 à 30 % du volume distribué (Le Monde, 2 septembre 2023) et les 140 millions d’investissements prévus en 2017 et alloués par l’État et l’Union européenne ont été gérés de façon désastreuse. La cause provient là encore d’une gestion privée du réseau. La Société mahoraise des eaux qui gère la distribution est une filiale du groupe Vinci, et le marché d’extension a été attribué en 2017 à la Sogea-Vinci Construction, une autre filiale du groupe.
Une situation de monopole où les investissements publics vont directement dans les mains du privé, sans que les investissements pour les rénovations ne soient observés. Ainsi, la chambre régionale des comptes enregistre des recettes pour Vinci multipliées par 2,3, passant de 11 millions à 25,8 millions (Chambre régionale des Comptes de Mayotte, 14 octobre 2019), alors que la qualité du service, elle, se dégrade. Pire encore, les solutions apportées par l’État sont des investissements dans des usines de dessalement qui polluent les eaux du lagon, et ainsi le reste du territoire (et notamment les ressources halieutiques).
Face à une crise de l’eau de plus en plus grande, garantir le droit à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène est une nécessité
Reconnaître l’eau et la protection de l’ensemble de son cycle, confier la maîtrise du cycle de l’eau aux régions afin d’allouer la gestion à l’échelle des bassins versants, renforcer les agences de l’eau, transférer les salariés vers des comités de cogestion publique et citoyenne et nationaliser les actifs des grands groupes privés sont autant de mesures prônées par la France Insoumise dans son livret thématique sur l’eau appartenant à son programme, l’Avenir en commun. C’est en renouvelant massivement les canalisations et en accélérant les travaux de rénovation des réseaux que l’on réussira véritablement à garantir l’accès à l’eau courante en Outre-mer, quoi qu’il en coûte.

